Série incontournable du monde de la bande dessinée depuis le début des années 90, la série L’Epervier n’a pas encore achevé son cycle 2. Dessinateur de Barbe-Rouge ou encore des Aigles décapitées, Patrice Pellerin consacre tout son temps dans les aventures du Chevalier Yann de Kermeur.

Avec ses histoires passionnantes, ses décors magnifiquement documentés et ses superbes personnages, L’Epervier est une saga BD précieuse car elle réussit à mêler le XVIIIème siècle et un certain goût pour l’aventure maritime.

Entretien à Saint Malo avec Patrice Pellerin, créateur de l’épopée de L’Epervier.

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Vos travaux avec Jean-Michel Charlier sur Barbe-Rouge ont-ils été une source d’inspiration pour la série l’Epervier ?
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Il est clair que sans Barbe-Rouge, il n’y aurait pas eu l’Epervier. Jeune dessinateur, j’étais passionné par le Moyen-Âge. Pour réaliser un album de Barbe-Rouge, Charlier m’a appâté en me promettant de réaliser un jour une série médiévale. J’ai alors accepté et depuis je n’ai jamais quitté l’Epoque moderne. Charlier est décédé en 1989.

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Bien que la série l’Epervier se déroule entre autres à Brest, était-ce pour vous un voyage dans le temps ?
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Avant de faire de la bande dessinée, j’ai été illustrateur historique. Pendant 5 ans, j’ai réalisé des livres scolaires notamment pour Hachette et également pour des romans. Cela m’a donné le goût du détail et de la véracité.

Natif de Bretagne, j’ai eu envie de réaliser les décors de la rade de Brest et de la presqu’île de Crozon. J’ai cependant réalisé Barbe-rouge et commencé la série l’Epervier alors que je vivais en Provence. Ce n’est qu’après que je me suis installé à Brest.

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© Patrice Pellerin

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Avez-vous trouvé des trésors ?

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Au début de la série, je devais faire mes recherches en bibliothèque. Je dépensais aussi une fortune dans l’achat de livres et pourtant, on ne pouvait pas tout trouver. De plus, il y avait très peu de documentation sur les navires ou sur le Brest du XVIIIème siècle. Le port, étant militaire, n’était pas connu par la population. C’est à partir du début des années 90, avec les événements nautiques, que les Brestois ont compris qu’il fallait valoriser leur passé. L’archéologue Jean Boudriot a publié des monographies de navires qui m’ont été très utiles.

Internet a été une véritable révolution. Les jeunes auteurs ne se rendent pas compte d’un tel bouleversement.

Lorsque j’ai dû illustrer le Château de Versailles pour l’Epervier, je n’ai pas contacté les conservateurs. J’ai fait mes propres recherches. Dans chaque domaine, la navigation ou l’architecture, il y a des techniques, un langage différent.
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Faire revivre Versailles a-t-il été le plus grand défi ?
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Oui. J’ai dessiné la Salle du conseil du Château de Versailles. Ce fut un vrai travail. J’ai même passé une journée à dessiner un tapis. Lorsque le livre est sorti, j’ai montré mon travail au Conservateur-en-chef du Château de Versailles, Christian Baulez. Il a vu le tapis et m’a demandé : « Quand se déroule votre histoire ? ». J’ai répondu en juin. Baulez a alors dit que ce n’était pas conforme à la réalité puisqu’à partir de Pâques, les tapis étaient retirés des salles.

Au fil du temps, les lecteurs ont été de plus en plus exigeants sur le plan historique. Du coup, j’essaye d’éviter les erreurs (rires). Certains de mes dessins servent comme documentation pour des historiens notamment en Guyane.

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© Patrice Pellerin

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Prenez-vous autant de plaisir à écrire, dessiner et colorier ?
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Chacun a son plaisir. Comme je réalise tout, je ne m’ennuie jamais. Ce qui avant tout prend du temps c’est le scénario. Et je n’ai droit qu’à 46 pages, pas plus. Ce qui est un vrai carcan. J’ai beaucoup appris de Charlier. J’ai beaucoup de plaisir à dessiner. Les personnages, les navires, les bâtiments prennent alors vie.

Alors que tout le monde a adopté l’informatique, je suis un des rares dessinateurs à faire encore mes mises en couleurs avec de la gouache sur des gris.
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Qui vous a inspiré le visage du chevalier Yann de Kermeur ?
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© Patrice Pellerin

Avec Charlier, j’ai dessiné 2 albums de Barbe-Rouge. Un 3ème opus était prévu. Cependant, Charlier avait toujours une multitude de projets et m’envoyait parfois une seule page de scénario. J’ai donc proposé d’écrire un synopsis. Charlier n’aurait qu’à ajouter le découpage et les dialogues. Il est venu chez moi en Provence et a été convaincu de travailler ainsi. Mais Charlier est décédé. Quelques jours plus tard, son épouse m’a contacté pour me dire qu’il aurait voulu que je termine ce troisième album de Barbe-Rouge. C’était pour moi un immense honneur et j’ai donc commencé à réaliser les premières pages. Le décès de Charlier a provoqué une bataille entre les héritiers et les éditeurs. A la page 8, j’ai pris la décision d’arrêter le projet. J’ai remboursé ce qu’on m’avait donné comme salaire et j’ai envoyé ma lettre de démission à Christine Charlier.

Je suis alors reparti à zéro mais j’ai repris des éléments de l’histoire de Barbe-Rouge. Le héros n’était pas présent mais il y avait son fils, Éric. J’ai repris une partie de son visage et en quelques minutes, j’ai ajouté une cicatrice et un nez aquilin. Yann de Kermeur dit l’Epervier était né.

Au même titre que le lecteur, je ne connaissais ni son passé ni sa personnalité. C’est avec le temps que le personnage s’est enrichi. La série l’Epervier est progressivement devenue très réaliste.
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Quelles sont les femmes de la série l’Epervier ?
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© Patrice Pellerin

Au XVIIIème siècle, la population reste majoritairement rurale. Il y a une uniformisation de la société. Les seules femmes qui se démarquent sont soit les aristocrates soit les prostituées. Elles avaient du caractère. Pour les prostituées de Brest, il fallait s’intégrer à un univers très masculin et difficile. Pour les grandes dames, tant qu’elles n’étaient mariées, elles jouissaient d’une certaine liberté. Le personnage de la Comtesse de Kermellec, est cultivée et douée pour les armes à feu mais avec son mariage, elle perd en autonomie.  Agnès est même plus à l’aise en Guyane que Marion la prostituée qui n’a jamais quitté la rade de Brest.

Pour le cycle 2, j’ai introduit de fortes personnalités comme la Princesse Mali et Aude de Séverac. Dès le début du projet, je voulais des femmes fortes. Dans la série Barbe-Rouge, elles étaient quasiment absentes. Charlier m’avait confié qu’à l’époque, la censure était importante. La loi de 1949 concernant des publications pour la jeunesse était un vrai carcan. Elle est d’ailleurs toujours en vigueur…

De plus, le dessinateur belge Victor Hubinon n’aimait pas dessiner les femmes (et les chevaux). Je me suis différencié de lui.

Au début, la série L’Epervier était notamment diffusée dans le magazine Spirou. Il y avait pourtant de la nudité. J’ai finalement arrêté d’en ajouter car cela doit avoir un sens. 
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La prochaine aventure, « Redcoat » sera-t-il un album à part ?
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Cela restera dans l’intrigue du cycle 2. L’ennemi de l’Epervier porte une tunique rouge anglaise – d’où le titre de l’album. L’intrigue se passe toujours simultanément en Bretagne, au Canada et à Versailles.

Je travaille depuis 30 ans sur cette série. Pourtant, l’intrigue se passe uniquement entre 1741 et 1743.
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Le XVIIIème siècle fait-il parfois écho à des événements qui nous sont plus proches ?
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L’Epervier est un homme des Lumières par conséquent favorable au progrès. Il est plus proche de nous. J’aimerais développer cette approche mais je n’ai que 46 pages par album.

La mini-série télévisée (2011) de Stéphane Clavier a permis d’aller plus loin.
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© Patrice Pellerin
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