« C’est détestable, cela ne sera jamais joué : il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. Cet homme [Beaumarchais] se joue de tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement » s’écrit Louis XVI en 1781 lors de la lecture de la pièce de théâtre de Beaumarchais.
« La Folle journée ou le Mariage de Figaro » a donc dès le début provoquer des émois et résonne encore de nos jours comme une dénonciation des injustices. Avec les représentations à La Scala Paris (jusqu’au 4 janvier 2026), le Comte Almaviva a « des airs d’Harvey Weinstein » et Suzanne, fiancée de Figaro, pourrait être une jeune fille de notre époque.
L’adaptation de Léna Bréban rend hommage à l’humour et à la puissance d’esprit de Beaumarchais tout en incorporant des effets percutants qui plaisent à un public contemporain. La force de « La Folle journée ou le Mariage de Figaro » réside dans son caractère (déjà) universaliste.
Philippe Torreton incarne un Figaro révolté et profond. Les mots du fameux valet « cognent, rebondissent », font rire. Cette « Folle journée » n’est donc pas terminée…
Entretien avec Philippe Torreton, ce Figaro percutant.
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En 1995, vous avez joué « Le Barbier de Séville » (Mise en scène Jean-Luc Boutté). Avec « La Folle journée ou le Mariage de Figaro », la boucle est bouclée ?
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J’avais également joué un petit rôle, le valet Guillaume, dans le troisième volet de la trilogie de Beaumarchais, « La Mère coupable ». Je n’ai joué Figaro que dans « Le Barbier de Séville et « La Folle journée ou le Mariage de Figaro » mais en effet la boucle est bouclée. Je voulais retrouver ce personnage car j’aime son esprit malin et libre. C’est un amoureux de la vie et des mots. Au fil des années, je trouve de plus en plus d’atomes crochus avec Figaro.
Beaumarchais a fait de lui le témoin des idées nouvelles du XVIIIème siècle. Figaro s’interroge : « Est-ce que cette joie que je revendique est à moi ? – Quel est ce moi que je m’occupe ? ».
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Est-ce un plaisir de faire rire avec un texte classique ?
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Même si je ne suis pas perçu comme un acteur comique, j’adore faire rire le public. J’ai joué « Les Fourberies de Scapin » ou encore Thomas Diafoirus « Le Malade imaginaire ». Même William Shakespeare introduit de l’humour dans ses textes tragiques. J’ai pu le constater en jouant dans « Henry V » ou « Hamlet ». Le rire est quintessence de sens. Une formule drôle peut résumer toute une pensée.
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« La Folle journée ou le mariage de Figaro » traite en effet de l’hypocrisie de l’Ancien régime mais aussi de la corruption de la justice et la terrible condition des femmes. Beaumarchais est-il finalement un auteur qui parle de notre époque ?
Avec Léna Bréban et Emmanuelle Roy, avez-vous voulu moderniser la mise en scène et le jeu ?
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Ce ne fut pas l’objectif car « La Folle journée ou le Mariage de Figaro » est toujours furieusement d’actualité. Nous voulions condenser l’œuvre et aller droit au but tout en conservant les enjeux et cet art du verbe. Dès les premières répliques, on parle de harcèlement, Marceline résume toute la condition féminine de l’époque en donnant écho à des luttes toujours actuelles « ah sous tous les aspects votre conduite envers nous fait horreur ou pitié »
Nous avons voulu mettre en lumière des scènes qui résonnent encore aujourd’hui. Sans entracte. Les contraintes du Festival d’Avignon nous obligeaient à ne pas dépasser les 1H50. Nous avons dû faire des choix difficiles mais Léna a réussi à conserver la substance et la profondeur de la pièce de Beaumarchais.

Nous avons voulu, Léna et moi faire un quatuor Figaro, Suzanne, Comte et Comtesse à peu près de la même génération ils ont dépassé la cinquantaine et cela rend les enjeux beaucoup plus importants. La trahison du Comte envers Figaro vient briser un compagnonnage de toute une vie. Le fameux monologue de Figaro de l’acte V devient le bilan de toute une vie. On s’éloigne alors du joli conte libertin amusant et léger vers une comédie mœurs plus cruelle.
Léna a su rassembler une belle collectivité, j’aime particulièrement cette troupe où chacun prend plaisir chaque soir d’écouter l’autre. Nous aimons échanger nos impressions et c’est cela le théâtre un art vivant qui se répète et s’entretient chaque soir sur de l’attention et de la vigilance.
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Dans la scène 3 de l’acte V, il y a le plus long monologue du théâtre d’avant-Révolution, une charge forte contre la noblesse. Est-ce un défi de le réciter avec force ?
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Je n’aborde pas ce moment à la légère. Cela demande une grande attention mais avec Léna, nous avons tout de suite été surpris par son côté stand up. Un monologue c’est un dialogue avec le public. Un monologue n’existe pas en fait. Le monologue s’adresse à quelqu’un qui ne répond pas par des mots mais par son écoute vibrante.
J’aime ce rendez-vous. Jeune, j’avais appris ce texte et je ne l’ai jamais oublié. Figaro exprime son désarroi, sa colère, son amour pour Suzanne, sa vie chaotique. Je pense sincèrement que Beaumarchais se raconte, c’est un autoportrait théâtral. Avec le prétexte Figaro, Beaumarchais dénonce l’injustice du système monarchique. Figaro n’est pas seulement le personnage du bon mot et de l’insolence c’est un être qui revendique une liberté d’entreprendre d’exister pleinement.
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Face à une situation politique tendue, devons-nous être aujourd’hui les nouveaux Chérubin, Suzanne et autres Figaro (Ou encore Robert Badinter [Philippe Torreton avait participé la veille de l’entretien à sa panthéonisation] ?
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Ce fut un grand moment d’émotion. Je me suis ensuite rendu au théâtre pour jouer « La Folle journée ou le Mariage de Figaro ». J’espère qu’il y aura toujours des grands hommes.
D’une certaine manière, c’était un écho aux écrits de Beaumarchais. « La Folle journée ou le Mariage de Figaro » a été joué à nouveau pendant la Révolution française. Certes, la pièce n’a pas participé à la révolte mais elle a su synthétiser les revendications et les inquiétudes de la seconde moitié du XVIIIème siècle.
Nous devons garder la foi en un monde plus positif. Dans « Le Barbier de Séville », Figaro dit « Je me dépêche de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». Il est toujours possible de changer les choses.
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Quelle est votre citation préférée du « Mariage de Figaro » ?
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Il y en a de nombreuses que j’aime. La formule « Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloge flatteur » est restée célèbre. J’aime particulièrement « Il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits ». Certaines tirades me font parfois penser aux vers de Paul Verlaine, « forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonché d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis, encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce Moi dont je m’occupe… » pour moi il y a du Gaspard Hauser là-dedans.
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Photo de couverture : © Salto