L’image s’est imposée comme un élément incontournable de nos sociétés. Dans la rue, sur nos murs, sur nos écrans, elle fait inlassablement partie de notre quotidien. La photographie, le dessin, la peinture se nourrissent de notre réalité afin de mieux s’en extraire et pour façonner de nouveaux univers.
L’artiste italienne Tatiana Cardellicchio joue avec notre œil, nos acquis, notre vécu et notre imagination. Ces images font la part belle à la nature, au corps mais aussi à une fantaisie certaine. Réalité et imagination se conjuguent dans ces superbes photographies. Une façon de s’évader et de revenir parmi les vivants.
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Entretien avec Tatiana Cardellicchio.
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Le monde de l’art était-il une évidence pour vous ?
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Le monde de l’art n’était pas un choix évident pour moi. J’ai d’ailleurs commencé en 2012 à exercer un métier dans le domaine de la photographie en postproduction. J’ai ensuite continué pendant plus de 10 ans dans l’univers de la mode et la publicité. Ce n’est qu’après l’épidémie de Covid, et de retour dans ma ville natale du Sud de l’Italie, que j’ai commencé mes recherches artistiques et créé un projet reflétant ma vision personnelle de la photographie.
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La plage et la mer sont-ils les lieux qui vous inspirent le plus ? Y’a-t-il une part de rêve dans votre travail ?
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La plage et la mer sont les lieux qui ont inspiré mon travail, car ce sont ceux que je fréquentais le plus lorsque j’ai commencé à réaliser mes autoportraits. En général, une grande partie de mon travail est liée aux sites naturels de ma région. Par exemple, le projet « Impatto », qui aborde le lien entre le corps et les espaces (fragiles) de la réserve naturelle. Les nouveaux projets que je développe continuent dans cette approche.
Le rêve est toujours présent dans mon rêve. Malgré la part de réalisme, je mets un point d’honneur à ce que les portraits que je réalise, et même les paysages aient une dimension intemporelle.
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Vos projets et vos approches influencent-ils votre propre style vestimentaire, votre coupe de cheveux,… ?
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Je ne considère jamais mon propre style comme une extension directe de mon travail, mais inévitablement, mes créations et mes vêtements finissent par se refléter. Je choisis souvent des tenues et des coiffures qui reflètent la même essentialité et le même naturel que je recherche dans mes images : des lignes simples, des couleurs neutres, des détails qui ne surchargent pas, mais qui accompagnent. C’est une extension cohérente de mon langage visuel.
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Est-ce la peinture ou d’autres photographes qui vous inspirent ?
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Je trouve mon inspiration aussi bien dans la peinture que chez d’autres photographes. Pour les photographies de ma dernière série, « La Dictature des Pétales », j’ai soigneusement étudié la couleur, en m’inspirant des grands maîtres de la peinture. J’aime aussi étudier les photographes contemporains dont j’admire la vision et la composition.
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Est-ce que ce sont des autoportraits ou vous incarnez des personnages ?
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Il ne s’agit ni d’autoportraits au sens classique du terme, ni d’interprétations de personnages. Je ne me mets pas en scène comme « moi-même » au sens autobiographique, ni n’assume de rôle extérieur. Mon image devient plutôt le véhicule d’idées, de suggestions, d’humeurs qui naissent d’un dialogue avec le paysage, la lumière, les pétales et la nature. Quand je parle de « dictature des pétales », j’entends la manière dont la nature impose une présence sensible, délicate et pourtant autoritaire : les fleurs, le vent et la lumière deviennent des éléments dominants qui n’attendent pas mon interprétation, mais l’accueillent, la sculptent. Je ne commande pas l’image, mais la laisse prendre forme à travers cet état d’esprit, une idée, une vibration, un écho intérieur. Donc : ni moi, ni un autre personnage, mais une idée humaine incarnée dans une humeur, suspendue entre identité, mémoire et nature.
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Les sessions d’autoportraits en extérieur sont-ils difficiles (vous travaillez seule ?) ?
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Je travaille seule. Cela complexifie techniquement toutes les séances. Je dois gérer simultanément le matériel, les temps d’exposition et la recherche du cliché idéal. Mais cette contrainte devient aussi une force. Elle m’oblige à ralentir, à observer et à me laisser guider, devenant partie intégrante du projet. L’autosuffisance technique devient un geste de liberté, tandis que la solitude devant l’objectif permet au corps d’être guidé.
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La sensualité est-elle un personnage à part entière dans votre travail ?
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La sensualité dans mon travail n’est jamais une fin, ni un artifice : c’est une présence souterraine, qui émerge lorsque le corps révèle sa vulnérabilité et sa force. Je ne la pense pas comme un personnage en soi, mais comme une conséquence naturelle du dialogue entre la peau, l’image et le regard. Elle est là, entre ornement et blessure, entre délicatesse et résistance, comme un écho qui accompagne sans jamais voler la vedette. Ma photographie n’est pas destinée à séduire, elle est destinée à interroger : et si elle apparaît parfois sensuelle, c’est parce que le corps, tout simplement, est vivant.
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Êtes-vous parfois surprise par votre propre travail ? Vous sentez-vous spectatrice ?
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Excellente question. La surprise fait partie intégrante du processus. Sur le plateau, je mets en scène les intentions, les mouvements et les couleurs, mais la photographie est une rencontre (et les rencontres comportent toujours une part d’imprévisible). Il y a des moments où le corps se comporte différemment de ce que j’imaginais, où la lumière révèle une fragilité que je n’avais pas envisagée : l’œuvre me révèle alors une vérité nouvelle. Dans ces moments-là, je suis à la fois dedans et dehors : dedans parce que je suis le médium qui génère l’image, dehors parce que je la regarde comme un spectateur qui n’en connaît pas la première ligne. Ce double rôle est précieux : il me permet de questionner ce que j’ai produit avec un regard critique et affectueux, et il me pousse souvent à changer de rythme, à poursuivre la recherche. L’exposition transforme aussi la relation : le tirage, l’escalier, la lumière dans la salle, les réactions du public font que l’œuvre continue de naître à chaque fois qu’elle est vue. Ainsi, l’œuvre n’est jamais seulement la mienne ou la leur, mais un espace vivant de découverte partagée.
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Le public perçoit différemment votre travail selon la nationalité ?
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J’ai exposé à Paris, New York ou encore à Milan. Je ne remarque pas de grandes différences dans la perception de mon travail selon l’endroit. Cette similitude est selon moi un point positif. J’ai également exposé dans des contextes très divers : dans des galeries, dans aux centres communautaire et même dans une église. Voir un public aussi varié qui s’identifie à votre travail est fascinant.
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