Véritable maître du cinéma fantastique français, Jean Rollin (1938-2010) continue de fasciner. Depuis « Le Viol du Vampire » (1968) jusqu’au « Masque de la Méduse » (2010), le réalisateur a fait place au rêve et à la beauté des corps et du surnaturel.
Malgré le mépris d’une partie de l’intelligentsia du 7ème art, l’esthétisme de Jean Rollin, ses histoires, ses affiches (certaines signées par Philippe Druillet) ou encore ses personnages féminins ont su capter une attention particulière. Jamais les vampires n’ont connu autant de liberté que dans de tels films. Jamais le mystère n’a été aussi troublant.
Entretien avec Jean-Pierre Bouyxou, scénariste, acteur des films de Jean Rollin et disparu le 2 septembre 2025.
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Peut-on ne pas comprendre les films de Jean Rollin et les apprécier tout de même ?
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Peu de personnes ont tout de suite apprécié les films. Moi-même, lorsque je suis sorti de la projection du film « Le Viol du Vampire » (1968), j’ai pensé que c’était affreux. Puis, lors du marché du film à Cannes, j’ai vu par conscience professionnelle « La Vampire nue » (1970). Même si l’œuvre était aussi mauvaise que la première de Rollin, j’ai compris qu’il s’agissait d’un acte délibérément anarchiste. Suite à mon article, Jean m’a écrit pour me remercier car pour lui j’étais le premier qui avait vraiment vu le film qu’il voulait réaliser. Je m’étais souvenu d’ailleurs qu’il avait été critique de cinéma dans le journal Le Monde libertaire.

Nous sommes ensuite devenus amis et en revoyant ses premiers films, j’ai pu finalement les apprécier. Jean est comme beaucoup d’artistes en rupture – il a été incompris et par conséquent méprisé. Au même titre que le réalisateur Jess Franco, pour apprécier son cinéma, il faut bien comprendre l’univers de Rollin. J’ai dû voir plusieurs films pour les comprendre et les apprécier.
Des réalisateurs comme Mario Mercier et Jean-Louis Van Belle. Ils ont eux aussi tourné des films anarchistes avec peu de moyens et avec des acteurs non professionnels. Par contre, Jean se foutait des modes. Il ne réalisait que des films qu’il voulait faire. Jean pensait à une image et autour d’elle construisait un film. L’art du peintre Max Ernst l’inspirait beaucoup.
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Jean Rollin a-t-il été influencé par l’œuvre de l’écrivain Georges Bataille qui avait été l’amant de sa mère ?
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Je ne le pense pas. Ils se sont côtoyés pendant des années. Jean n’était qu’un enfant mais lorsqu’on lit la correspondance de Bataille, il est présent. Jean n’a fait mention de cette relation que des années après notre rencontre.
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« Requiem pour un Vampire » (1972) est un film quasiment muet. Jean Rollin a écrit le scénario à la façon de l’écriture automatique. Est-ce le film le plus Rollin selon vous ?
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Oui en particulier pour la scène de fin avec le théâtre de guignol. Mais finalement, tous les films de Rollin sont très Rollin. Je pense tout de même que ses deux derniers films le sont encore plus – « La Nuit des Horloges » (2007) et « Le Masque de la Méduse » (2010). Dans le premier, Jean parle de lui. Le second est un hommage au grand guignol – ce qu’il adorait.
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Vous avez participé à l’écriture des « Raisins de la Mort » (1978). L’exercice a-t-il été difficile ?
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Le producteur voulait un « Nuit des Morts vivants » français. Jean a commencé à écrire l’histoire mais était en manque d’inspiration. Il n’avait aucun goût pour l’univers des zombies. Jean a tout de même eu l’idée de la jeune aveugle et du pesticide utilisé dans les vignes qui rendait les personnes malades. Je l’ai donc aidé à écrire le scénario. Nous ne voulions pas de zombies qui assiégeaient un lieu. Nous voulions raconter l’histoire d’un road movie.
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Brigitte Lahaie s’est-elle réincarnée avec les films de Jean Rollin ?
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Elle était ravie de tourner dans un film qui n’était pas pornographique. Même si les rôles étaient simples, Brigitte était terrorisée de jouer. Jean ne rassurait pas non plus… Etant anarchiste, il refusait de diriger les acteurs et les techniciens. Ce manque fait partie du style cinématographique de Jean.
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La nudité était-elle une signature des films de Jean Rollin ou était-ce une condition imposée par la production ?
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C’était en effet demandé dès le départ mais Jean n’y était pas hostile. Par rapport, aux scènes de sexe des films d’aujourd’hui, on peut dire que les films de Jean étaient loin d’être de la surenchère.
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Vous avez joué dans « Le Masque de la Méduse » – le dernier film de Jean Rollin. Quelle était l’ambiance ?
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Jean savait qu’il allait mourir. L’ambiance était chaleureuse car il était couvé par tout le monde. A l’exception de son épouse, Simone, il s’agissait d’une équipe plus jeune autour de Jean. Il restait toujours aussi tenace et passionné. Cela a bouleversé son entourage. Sur un autre tournage, une ambulance venait tous les 2 jours pour prendre soin de Jean.
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Jean Rollin décède en 2010. Il est pourtant ignoré lors de la séquence des disparus à la Cérémonie des César. Est-ce du mépris de la part du cinéma français ?
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Oui. A l’exception de Jean-Marie Sabatier, il était méprisé par la critique spécialisée. Jamais les Cahiers du Cinéma ou Positif n’ont écrit une ligne élogieuse au sujet de Jean. Même de nos jours, son cinéma est ignoré. Jean est par contre très apprécié dans les pays anglo-saxons, en Italie, en Espagne. J’ai pu me rendre au festival underground de Lausanne. En apprenant qui j’étais, le réalisateur américain Stephen Sayadian (alias Rinse Dream) est venu me voir pour me dire toute l’admiration qu’il avait pour Jean Rollin. Le cinéma fantastique français a toujours été apprécié à l’étranger et pas en France.
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