Mannequin, illustratrice, photographe… Ambre Renard a fait le choix de la multiplicité. Une vie peut en effet offrir une multitude de possibilités et d’identités. Ambre Renard est clairement une créatrice (le nom même est un pseudonyme). Elle peut être narratrice, actrice mais également artisane – tant son parcours est riche d’événements.

L’image est le personnage principal de l’univers d’Ambre Renard. L’artiste regarde là où on ne regarde pas. Il est parfois formidable s’approcher de l’inconnu et peut-être, oui peut-être, de se reconnaître…
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Entretien avec Ambre Renard.

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Vous êtes dessinatrice, mannequin et photographe. Êtes-vous quelqu’un qui aime la multiplicité ?

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Je suis quelqu’un qui me lasse extrêmement vite des choses. Ce qui me rend toujours très enthousiaste à la nouveauté et très angoissée par la routine. Multiplier les activités me permet de ne jamais m’ennuyer !
Chacun de mes métiers se répondent et chacune de mes expériences m’aident à créer autrement. Le dessin m’a apporté une grande compréhension de l’image, du cadrage et de la narration. Le mannequinat lui, me permet de vivre de l’intérieur des projets différents des miens et de faire des rencontres qui sont des sources intarissables d’inspiration.
Je me suis mise à la photo moi-même récemment et j’ai l’impression que c’est une manière de m’exprimer qui me permet de réunir et de concrétiser tout ce qui a composé mon parcours jusqu’ici.
Mes activités sont toutes très différentes les unes des autres et pourtant je les trouve très complémentaires !

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© Ambre Renard

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Pourquoi avoir adopté un pseudonyme ?

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Quand j’ai fait mes tout premiers shootings, j’ai partagé les images sous mon vrai nom. C’était sur Facebook à l’époque. Un jour, j’y ai posté des photos de lingerie et je me suis aperçue, en quelques semaines à peine, que le milieu dans lequel j’évoluais professionnellement à ce moment-là, ne comprenait pas ces images. En séance de dédicace de bande dessinée, certaines personnes ont commencé à me parler de mes sous-vêtements. Comme la situation a été désagréable pour moi, j’ai scindé mes comptes sur les réseaux sociaux et j’ai pris un pseudo.
Aujourd’hui je ne cache pas que s’en est un, et nombreuses sont les personnes qui connaissent ma véritable identité, mais j’ai la sensation que le simple fait de mettre « Ambre Renard » en avant, envoie un message fort aux personnes qui voudraient tout mélanger.
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Le dessin (la bande dessinée) a-t-il toujours été une évasion ? Une façon de rêver ?
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Étrangement, la photo me fait plus rêver que le dessin. Elle a cette propension à m’étonner, à me faire lâcher prise, à aller vite, beaucoup plus que ne le fait le dessin pour moi, sur lequel je peux passer des jours à tenter d’arriver exactement à l’image que j’ai en tête (spoiler : je n’y arrive jamais!). J’ai toujours dessiné. Je pense que si on demandait les archives de mes dessins à mes parents, il n’y aurait pas de période de « vide » et je crois qu’il a toujours été évident pour moi, parce que particulièrement accessible et valorisé dans ma famille. Mais depuis mon adolescence, il a été très « challengeant » pour moi, nécessaire et « habituel » mais presque douloureux. Je m’accorde beaucoup plus de liberté en photographie.

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© Ambre Renard

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Au début des années 2010, vous devenez mannequin. Quel fut le déclic ?

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Je détestais qu’on me prenne en photo ! S’en était maladif, ma phobie des caméras pouvait vraiment pourrir ma vie sociale, je détestais mon image.
Alors un jour, j’en ai eu marre, j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai voulu faire un shooting, un vrai, avec quelqu’un qui ferait des photos de moi que je serais capable d’aimer.
Je crois que j’avais trouvé une annonce sur Vivastreet à l’époque. Un photographe y disait rechercher des modèles sur ma ville. J’ai sauté le pas, j’ai publié les images sur Facebook, j’ai eu d’autres propositions, je me suis prise au jeu puis j’ai été contactée par des agences. Le mannequinat pour moi, est une aventure réellement lumineuse pour laquelle je n’ai jamais calculé grand-chose.

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Le mannequinat est-il devenu au fil du temps un univers d’expression (alors que vous n’êtes pas le photographe) ? Il semble que vous avez adopté une attitude forte.
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Oui, très clairement. Me voir dans les yeux de personnes dont j’admire le talent à forgé l’image que j’ai de moi.
Les milliers de photos que j’ai maintenant dans mes disques durs m’ont permises de prendre du recul sur moi-même et sur mon image. J’ai défini grâce à elles ce que je voulais donner à voir de ma personne et comment la façon que j’ai de vivre mon corps pouvait résonner visuellement, dans mes attitudes et dans mes expressions.
Le mannequinat finalement, c’est de l’acting subtil, de la mise en scène silencieuse. On peut y concevoir de grands personnages.
J’apprends énormément sur moi-même à chaque shooting et la façon que je vais avoir de m’y exprimer n’est jamais identique à la précédente. Là encore, j’aime à ne pas être trop dans le contrôle. Quand je me retrouve sous un objectif, je sais que s’offre à moi un terrain de jeu extraordinaire.
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Votre nudité est-elle brut ?
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Dans ma carrière, j’ai très rapidement posé nue. J’ai été élevé dans une famille où la nudité n’a jamais été honteuse et où le corps est respecté pour ce qu’il est, dans sa réalité. Pour moi, la nudité n’a rien de sexuel et j’aime qu’elle soit synonyme de liberté plus que d’intimité.
Le nu peut être intemporel, il se débarrasse des règles sociétales du vêtement. J’aime le dépouiller des codes du « sexy », j’aime que ne soit pas déposé sur la représentation d’un corps ce qu’il devrait être ou ce qu’il devrait faire. Je crois que ce dépouillement permet une présence sans filtre, ou en tout cas avec le moins de filtre possible, et que c’est ce qui me fait du bien à voir et à vivre actuellement.
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© Ambre Renard
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[Sans titre] 2018 est un livre qui a pour point de départ la maladie. Est-ce une œuvre intime ? Que dit le texte que l’image ne peut exprimer ?

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[Sans titre] 2018 est sans nul doute ce que j’ai produis de plus intime de toute ma vie.
En 2018, je suis tombée gravement malade. Un syndrome nerveux m’a fait passer 4 années au lit. Le parcours médical et personnel que j’ai traversé a été éreintant et à la sortie de cette épreuve, j’ai eu le besoin de matérialiser quelque chose, de transformer la douleur et la peur en un objet concret que je pourrais toucher, que je pourrais donner, dont je pourrais me débarrasser. Le livre a été cet objet, il a été imprimé en 100 exemplaires et m’a permis de clore ce douloureux chapitre.
Dans ce livre, il y avait des dessins, des photos et des textes, tirés des centaines de pages de cahier que j’avais noirci durant ces 4 années râpeuses.
Il était essentiel pour moi que des mots soient posés sur mon parcours, parce que si ces années ont été une sorte de blackout visuel et créatif (je n’avais pas accès à grand-chose d’autre qu’à la vue des quatre murs de ma chambre et à ma playstation), j’ai énormément écrit et pensé.
J’ai tenté de mettre de l’ordre dans beaucoup de mes émotions durant cette période et ce qu’il reste de ce cheminement sont des amas de mots, plus ou moins élaborés, couchés sur le papier.
De façon plus pragmatique, je crois que le texte impose une certainement temporalité à la lecture que ne permet pas l’image. On peut passer très rapidement sur une photo ou sur un dessin en ayant la sensation d’en avoir capté le message. Le texte lui nous oblige à la lecture, il impose un rythme, il mobilise peut-être d’avantage de notre attention pour en capter l’essence.

Le rapport avec le lecteur ou la lectrice en est forcément impacté et je trouve ça passionnant.

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© Ambre Renard

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L’autoportrait est-il une manière de revenir à soi-même ? une manière de définir sa propre image ?

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Je suis arrivée à l’autoportrait pendant ma maladie justement. Moi qui avais l’habitude de voir mon image très régulièrement grâce à mes nombreux shootings, je ne croisais même plus les miroirs chez moi, tant mon corps était devenu uniquement source d’inconfort. Mon corps et mon visage étaient presque devenus irréels et cette perte de repère me déstabilisait beaucoup.
J’ai donc commencé à poser l’appareil photo de mon copain sur un trépied et je me suis assise en face, par terre, parce que je tenais trop difficilement debout. La confrontation a été extrêmement violente pour moi. Je me souviens avoir fondu en larmes à plusieurs reprises. Je voyais ma maladie sur mon visage et je me souviens m’être dit que je n’arriverai jamais à m’en sortir.
Pourtant j’ai persévéré, j’ai fait plusieurs séries, j’ai cherché à me réconcilier avec cette image qui m’échappait.
Aujourd’hui je continue les autoportraits avec beaucoup de curiosité. Je les vois comme de petites pierres posées comme autant de témoins de mon évolution, physique et mental.
C’est une façon de me regarder le nombril oui, et une façon de me connecter à ma créativité sans aucun facteur extérieur qui puisse parasiter ma vision des choses.
Tester avec moi-même c’est non seulement éviter beaucoup de contraintes, mais c’est retrouver beaucoup de mon intimité.
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© Ambre Renard

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Photographier les paysages et les détails du quotidien – est-ce une façon d’exprimer un état d’esprit ?

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Il faudrait que je me pose la question de manière spécifique à chaque image, pour savoir si mon état émotionnel influe sur ce que je vois et sur ce que je prends en photo lors de mes voyages. J’imagine que oui, très certainement, mon œil et mes émotions sont forcément liées, mais ce que j’identifie de mon procédé de se pose pas en ces termes.
J’aime à dire que mes photos argentiques (tous mes paysages sont sur pellicule) sont une sorte de collecte d’images qui me permettent, mises bout à bout, de définir un monde dans lequel j’aime me réfugier.
Ce monde est dépeuplé d’humains, il est assez minimaliste. Mes images vont bien plus s’attarder sur une lumière que sur un storytelling, bien plus sur une texture ou une forme que sur un plan d’ensemble. Ce n’est pas une recherche consciente, je suis attirée par de petits détails sur le moment, je penche la tête pour regarder différemment et je vais parfois jusqu’à la totale abstraction.
Je crois que je sélectionne les photos qui m’étonnent le plus et, toutes ensemble, elles deviennent un paysage qui me rassure, empruntées à la réalité mais éléments d’imaginaire.
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Que souhaitez-vous à présent ?

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J’ai eu tout récemment un nouveau projet éditorial mais la stratégie n’est pas encore rodée et il est reporté. Il verra sûrement le jour sous une autre forme, dans quelques temps. Je remets les choses à plat et suis dans une phase de réajustement nécessaire.
Ce qui est sûr, c’est que mon envie est de sortir mes images des écrans. Tout mon travail en tant que photographe s’oriente de la sorte en ce moment : je suis en train de creuser vers des choses plus plasticiennes, j’interroge l’impression, les papiers, je joue des déchirures et des superpositions de matières.
A une ère où le numérique prend de plus en plus de place, j’ai de mon côté le besoin d’aller vers ce que l’on peut toucher, ce que l’on peut abîmer, ce qui n’est jamais parfait.
Dans mon viseur il y a des publications magazines, de l’édition et pourquoi pas, de l’exposition.

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© Ambre Renard
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Photo de couverture : © Jon Verleysen

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