Adaptation du roman de Bérengère Cournut, « De Pierre et d’os » (Aire libre 2025) est une bande dessinée qui laisse une grande place aux personnages et aux paysages grandioses du cercle arctique. Uqsuralik, jeune inuite, est séparée de sa famille et va vivre de multiples épreuves.
Avec « De Pierre et d’os », le dessinateur Jean-Paul Krassinsky explore la nature et les traditions de l’Arctique de façon originale et brute. Uqsuralik affronte seule les éléments mais également les dieux. Voici une bande dessinée qui fait la part belle au voyage et aux émotions.
Entretien avec Jean-Paul Krassinsky.
.
.
.
.
Vous débutez votre carrière comme illustrateur et story boarder. Est-ce que ces différentes expériences ont été bénéfiques pour la suite ?
.
.
.
.
Oui. Le story board en particulier. Je travaillais dans le monde de la publicité. C’était un exercice qui m’obligeait à savoir tout dessiner et souvent de tête. A l’époque, il n’y avait ni internet ni smart phone.
J’ai également appris à dessiner directement à l’encre. Cela peut vous apporter une certaine aisance.
.
.
.
.

.
.
.
.
L’animal est-il un véritable personnage dans vos histoires ?
.
.
.
.
J’ai toujours été passionné par les animaux. Dans mes albums, à l’exception de « Pierre et d’os », ils sont cependant très humanisés. En tant qu’observateur, je me sers beaucoup des traits de caractère de l’animal. La bande dessinée animalière a une histoire très riche, qui trouve son origine dans la littérature, notamment dans les fables d’Esope ou de La Fontaine.
.
.
.
.
« De Pierre et d’os » est votre première adaptation de roman. Est-ce que ce fut un défi ou finalement un exercice enrichissant ?
.
.
.
.
Adapter un roman en bande dessinée est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. « De Pierre et d’os » est arrivé à point nommé.
L’exercice est différent du scénario pur. Doit-on trahir ou non le récit initial ? J’ai voulu une adaptation fidèle du roman de Bérengère Cournut. La grande problématique du projet était de savoir ce que j’allais enlever du récit. « De Pierre et d’os » est un livre dense, il fallait faire des choix tout en respectant scrupuleusement le récit.
Je travaille actuellement sur une autre adaptation de roman. L’histoire étant plus courte, je me permets d’ajouter davantage de choses personnelles.
.
.
.

.
.
.
Vous avez pu consulter les documents du Muséum d’Histoire Naturelle et en particulier le Fonds Paul-Emile Victor. La démarche est-elle devenue scientifique ?
.
.
.
.
Rigoureuse, en tout cas. Même pour un récit contemporain, j’aime me documenter. « De Pierre et d’os » n’est pas une simple histoire d’aventure ou de survie. Le récit comporte également des éléments mystiques. Adopter un style et un ton réalistes m’a permis d’intégrer les aspects fantastiques liés aux croyances inuites d’une manière naturelle.
.
.
.
.
Comment avez-vous imaginé le visage d’Uqsuralik ?
.
.
.
.
Ce fut une longue réflexion. Uqsuralik vieillit tout au long du récit. Qui plus est, il fallait la distinguer facilement des autres personnages féminins. Après quelques recherches, j’ai eu le déclic en voyant le visage de la chanteuse islandaise Björk, avec ses sourcils épais. J’ai renforcé ce détail pour rendre Uqsuralik immédiatement reconnaissable.
.
.
.

.
.
.
.
L’imaginaire inuit tient une grande importance dans le récit. Pour l’illustrer, vous vous êtes inspiré de vos références (Le Muppet Show et Max & les Maximonstres). Est-ce une façon d’apporter de la tendresse ?
.
.
.
.
Les Inuits vivent chaque jour avec les esprits. Par conséquent, je voulais que le lecteur ait lui aussi une certaine proximité avec ces êtes mystiques, un sentiment de quotidienneté. J’aurais pu certes être plus réaliste mais j’ai préféré une approche syncrétique, pas si éloignée du fonctionnement de l’imaginaire inuit. Ici, les références occidentales se marient avec les croyances inuites.
.
.
.
.

.
.
.
.
Le vieux devait-il être physiquement repoussant ?
.
.
.
.
Le vieux est un personnage marqué par la vie. Je me suis inspiré des traits de l’acteur Jacques Dufilho. Le roman ne fait pas de mystère sur sa nature. Par conséquent, je pouvais sans problème appuyer son aspect antipathique.
.
.
.
.
La spiritualité de « De Pierre et d’os » fait-elle écho au « Crépuscule des idiots » ?
.
.
.
.
Tout dans « De Pierre et d’os » est montré à hauteur du personnage. Ce que le lecteur voit, c’est ce que Uqsuralik voit dans ses songes chamaniques. Il y a de la poésie dans « De Pierre et d’os » tandis que « Le Crépuscule des idiots » est avant tout une farce. Dans ce dernier album, je m’en prenais surtout à la religion organisée et non à la foi.
« De Pierre et d’os » est l’album le plus sérieux que j’ai pu réaliser. J’ai pris la décision de ne pas introduire d’humour. C’était aussi une façon pour moi de me renouveler.
.
.
.
.
La nudité a une part majeure dans « De Pierre et d’os ». Est-ce une façon d’aborder la transformation ?
.
.
.
.
Les Inuits vivent en harmonie avec leur environnement. Et contrairement à ce qu’on peut imaginer, ils n’ont que rarement froid. Dans la chaleur de l’igloo ou de la maison d’hiver, ils peuvent vivre nus. J’ai donc dessiné la nudité de façon naturaliste. Les corps ne sont pas érotisés, ce n’était pas le propos. J’ai néanmoins appris, en me documentant, que les Inuites portent parfois des strings en peau de phoque ! Et dans certaines régions du Groenland, telle une identité ancestrale, certaines femmes continuent de se faire tatouer le visage, encore aujourd’hui.
.
.
.
.

.
.
.
.
Le navire arrivant au Groenland à la fin de l’album peut-il faire écho à l’actualité ?
.
.
.
.
Le Groenland a toujours été un enjeu pour les Etats-Unis depuis bien longtemps. Dès la Seconde Guerre mondiale, l’armée y a installé des bases. « De Pierre et d’os » fait involontairement référence à l’actualité.
.
.
.
.
Souhaitez-vous vous rendre un jour en Arctique ?
.
.
.
.
Après plus de 3 ans de travail sur « De Pierre et d’os », je rêve surtout d’une belle plage de cocotiers et d’un grand soleil (rires). Un jour peut-être, j’irai, par curiosité. Pour « De Pierre et d’os », je me suis tant documenté que j’ai nourri un imaginaire propre, une vision personnelle du Groenland. La bande dessinée permet ce type de voyages, sans quitter sa table à dessin.
.
.
.
.
Que dessinez-vous à présent ?
.
.
.
.
Je travaille actuellement sur une adaptation d’un roman noir, se déroulant dans la région de Nancy. Cela change du Pôle nord !
.
.
.
.
