Nos voisins belges ont du talent – encore plus lorsqu’ils sont révoltés. Jan Bucquoy est un artiste-activiste depuis toujours. L’anarchisme est son combat, l’injustice l’ennemi à abattre. Metteur en scène de théâtre, scénariste de bande dessinée, réalisateur, propriétaire de bar libertaire, performeur de l’extrême,.. Jan Bucquoy est multiple afin de mieux s’exprimer (et de se faire entendre).

« Le Bal du rat mort » (1980), « La Vie sexuelle des belges 1950-78 » (1994), « Fermeture de l’usine Renault à Vilvoorde » (1998), « La Dernière Tentation des Belges » (2021)… Toutes ces œuvres développent une véritable sincérité et une belle liberté artistique.

Entretien avec Jan Bucquoy, Belge libre.

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Vous dites avoir choisi une carrière artistique pour « éviter d’aller à l’usine » mais finalement avez-vous vraiment quitté le milieu ouvrier (usines Usinor et Vilvoorde) ?

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Je n’ai jamais voulu quitter mon milieu. Je reste toujours très sensible à l’injustice. Un grand nombre de personnes sont exploitées.

Malgré l’intoxication des médias, la fin des bistrots où les prolétaires se retrouvaient et la manipulation avec l’ère du numérique, la lutte des classes perdure.    
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Avec votre théâtre à la fois expérimental et provocateur, étiez-vous un révolutionnaire faisant écho à mai 68 et à la Nouvelle vague ? Est-ce votre période la plus française ?
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Même si j’ai des origines ouvrières flamandes, je me suis en effet bien adapté à la culture française. J’y reviens même de nos jours. La Belgique n’a pas connu de véritable mai 68. Le théâtre a été une façon pour moi d’expérimenter les nouvelles pensées. Karl Marx n’avait pas connu Sigmund Freud et Jacques Lacan. Je les ai unis sur une scène de théâtre.

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Qu’exprimez-vous avec la bande dessinée ?

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Lorsque j’ai commencé à écrire des histoires, la bande dessinée était le médium du pauvre. Je tentais de gagner de l’argent. La bande dessinée était également une forme populaire. La vidéo n’existait pas encore et je voulais explorer de nouvelles idées – notamment avec « Le Bal du rat mort ». Des ouvriers me disaient qu’ils m’avaient lu car j’écrivais des bandes dessinées. De nos jours, celles-ci ont beaucoup changé. La BD est devenue trop proche du roman.
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« La Nuit du bouc » – le fantastique est-il anarchiste ?

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Le fantastique vous donne en effet une grande liberté créative. 

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Le cinéma est-il une continuation de la bande dessinée ?
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Avec la BD, j’ai pu expérimenter les champs contre-champs avant même de devenir réalisateur. Lorsque vous racontez une histoire, ce qui est important c’est ce que vous montrez dans le cadre.  Le cinéma a l’atout d’être un ensemble d’images qui bougent. J’ai toujours été fasciné par les vieux films. Nous continuons de les regarder alors que l’ensemble des acteurs et figurants sont morts. La pellicule, au même titre que la photographie, a pu préserver une part de vivant.   
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Original Cinema Quad Poster – Movie Film Posters

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Le personnage de Tintin vous a fasciné. Mettre en scène sa sexualité a-t-il le premier coup d’Etat ?

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Pour moi, Tintin a toujours été l’image enfantine du fascisme belge. Je rappelle qu’Hergé s’est inspiré de Léon Degrelle, le collaborationniste nazi. En montrant la sexualité de Tintin, j’ai voulu percer son innocence.  Un grand nombre de personnes m’ont dit : « Tu as tué mon innocence ! » (rires).

L’Etat belge a intégré l’image de Tintin dans nos passeports. Il fait clairement partie de l’identité du pays. Et pourtant, Tintin a des parts sombres.
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La décapitation du buste du roi Baudouin aux débuts des années 90 est-elle mieux comprise aujourd’hui ?
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A l’instar de Tintin, j’ai voulu secouer les consciences. Attaquer l’image royale peut vous envoyer en prison pendant 5 ans. Mon acte n’était pas anodin. C’était une façon d’assassiner le roi des Belges sans effusion de sang. J’ai donc été arrêté et mis en cellule. Cependant, tout s’est apaisé. Le procureur du roi m’a convoqué et m’a dit : « On n’enferme plus Voltaire ». J’ai donc été libéré.

De nos jours, la famille royale est moins populaire parmi la population belge. Par conséquent, mon action est jugée moins condamnable qu’à l’époque. Je suis parfois salué par des jeunes lorsque je prends le métro à Bruxelles – même à Paris (rires). Même si je reçois quelques soutiens, je reste pour une bonne partie de la population belge l’ennemi public numéro 1. 
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Avec la photo où vous réalisez un nu frontal avec le sexe en érection, avez-vous atteint la provocation ultime ?
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Cette photographie a été réalisée en 1990 pour une exposition au Cirque d’Hiver de Liège. Elle était exposée parmi d’autres œuvres réalisées par des artistes comme Ben.

J’ai voulu montrer une image différente du réalisateur intellectuel assis derrière un bureau. Ce fut un grand scandale. J’ai été démonté par la presse. Le journal belge Le Soir demandait ma détention. Un procès a eu lieu à cause de cette photo. Le rapport de police me décrivait comme « un homme sorti des cavernes » qui incite les enfants aux pires actes. Tout le matériel avait été saisi par la justice. En réponse, d’autres artistes ont exposé des photos de mes propres images dénudées.   
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Votre participation à l’entartage sous la direction de Noël Godin du producteur français Daniel Toscan du Plantier a-t-elle eu des conséquences ?
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Sa réaction a en effet été terrible. Toscan du Plantier, propriétaire d’UniFrance, a tout fait pour que mon court métrage « Crème et Châtiment ou l’Entartement de Toscan du Plantier au Festival de Cannes » (1997) soit déprogrammé partout. Le film de 5 minutes ne pouvant pas être projeté, je mimais les scènes devant le public.

Toscan du Plantier a ensuite voulu porter plainte. Je l’ai alors présenté comme un censeur et les choses se sont arrêtés.

Au hasard des circonstances, j’ai également entarté à Cannes Philippe Douste-Blazy alors ministre français de la culture.
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Pourquoi avoir brûlé l’œuvre de René Magritte ?

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Dans sa dernière lettre de 1967, il écrit qu’à notre mort, nous allons tous devenir cendres. J’ai eu alors eu l’idée de bruler une des gouaches de Magritte. J’ai ensuite récupéré les cendres et je les ai vendues. C’était ma façon de faire écho aux propos de Magritte : Un jour ou l’autre nous serons tous réduit en cendres.
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Lolo Ferrari a-t-elle été une muse ?

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Une muse de la liberté. Elle a osé changer son corps malgré l’avis général. Il y avait beaucoup d’hypocrisie autour de Lolo Ferrari. Je me souviens qu’au Festival de Cannes, les gens crachaient sur elle alors qu’elle était photographiée par tous les paparazzi lors de la montée des marches.  

Lolo a joué dans mon film « Camping Cosmos » (1996). J’ai trouvé que c’était une bonne actrice. Lolo était très professionnelle sur le plateau. C’est son image de grosses poitrines qui épouvantait. Lors de la sortie de « Camping Cosmos », des caissières de supermarché disaient à leurs clients de ne pas aller voir le film.  

J’ai le projet de réaliser un biopic sur Lolo Ferrari.
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 A quand le Grand soir ?

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Il faut que les artistes sortent de leur confort pour enfin être dans l’action. Il y a beaucoup d’injustices dans ce monde. Il est temps d’y mettre fin et de reprendre le lien avec le public populaire. Le Grand soir c’est le plus beau projet.  
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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC

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