« J’étais un demi-dieu et aujourd’hui, je suis un chômeur. » se désole Paul McCartney au moment de la séparation des Beatles en 1969. Il devient alors pour la presse et l’opinion publique le méchant de l’histoire. Touché par les événements, « Macca » va se ressaisir et fonder avec son épouse, Linda et Denny Laine, les Wings. Plus qu’un nouveau projet, le groupe sera pour McCartney une véritable résurrection musicale et morale.

Le dessinateur Hervé Bourhis raconte cet épisode christique dans « Paul » (2025- Editions Casterman). Plus qu’une biographie, c’est aussi une véritable plongée graphique du début des années 70. Bourhis retranscrit la chute et la remontée de McCartney tout en montrant son quotidien. « Paul » est une vraie réussite.

Entretien avec Hervé Bourhis.
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Que représentent les Beatles dans votre vie ?

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J’éprouve une grande fascination pour eux depuis l’âge de 14 ans. Ma famille n’écoutait pas vraiment de la musique. Mon frère aîné aimait le rock mais pas les Beatles. Ma passion est venue par le livre. Je connaissais très bien les membres du groupe, leurs photos et leurs histoires avant même d’écouter leur musique.

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Leur histoire fait-elle trop d’ombre à celle des Wings ?

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Si les Wings n’avaient pas été une émanation des Beatles, cela aurait été plus simple. La presse musicale de l’époque détestait Paul McCartney et adorait John Lennon. Cependant, au bout de 5 ans, l’album « Band on the run » étant une œuvre de qualité, il a fini par être apprécié.

Chaque album des Wings a une vraie originalité. McCartney voulait toujours se démarquer des Beatles. De plus, il n’y avait vraiment que trois membres : Paul, son épouse photographe Linda McCartney et Denny Laine, ancien guitariste et chanteur des Moody Blues. En réalisant « Paul », je me suis mis à réécouter les chansons. J’ai pu apprécier davantage certaines. J’aime beaucoup les albums des Wings des années 70.
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Était-ce aussi une façon d’explorer graphiquement les années 70 ?

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J’ai en effet souvent dessiné cette époque. Je crois que nous avons tous un lien mystérieux avec notre année de naissance. 1974 c’est la mienne. J’étais déjà là mais je n’ai aucun souvenir. Juste des photographies. Par conséquent, il y a une envie d’explorer cette époque oubliée. 1974 c’est aussi 6 ans après Mai 68. Il y a comme un flottement, une transition.
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Londres, Lagos, l’Ecosse sont-ils des personnages ?

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Les chapitres ont d’ailleurs pour nom les lieux. Ce fut un vrai plaisir de faire des recherches notamment à propos de Lagos en 1973. Les lieux sont pour Paul McCartney un certain état d’esprit. Au début de l’album, il a l’impression d’être abandonné par tous.

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La basse Hofner fait-elle partie de l’identité de Paul McCartney ?
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Oui. Juste après la séparation des Beatles en 1969, pendant deux ans, Paul ne veut plus utiliser cette basse. Elle rappelle trop le groupe. Il reprend la basse Hofner car elle était légère et donc parfaite pour les concerts. La basse est finalement volée. Ecœuré, Paul change alors de marque.

La basse Hofner originale est retrouvée tout à fait par hasard des décennies plus tard. J’ai trouvé l’anecdote amusante et très bien pour la fin de mon album.
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Bouc émissaire, surmené, présumé mort, « au fond du gouffre »… Paul est-il une victime dans cette aventure ?
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Il est possible de le voir ainsi.  Il est clair qu’il a été le Beatle le moins bien traité par le public et la presse au moment de la séparation.
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Avez-vous hésité à représenter Paul McCartney en train de se droguer ?

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On ne peut aborder Paul sans parler de la drogue et d’alcool. Je ne voulais pas éluder de telles images. Paul est plus rebelle qu’on ne peut imaginer.

En dehors de cela, graphiquement, j’ai eu beaucoup de difficultés à le dessiner. Paul a un visage élastique (rires).
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Qui est John Lennon dans votre histoire ?

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Ayant souffert durant son enfance, John n’a jamais été quelqu’un de stable. Je le dessine comme quelqu’un de froid et de sombre.
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Vous êtes-vous inspiré de ses propres dessins ?

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C’est possible. J’ai toujours aimé le style de John. Pour « Paul », ma plus grande inspiration graphique a été le dessin du film « Yellow Submarine » (1968).
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« Paul » est-il également l’histoire d’amour entre Paul et Linda ?

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Absolument. Les Wings c’est aussi un duo amoureux. Linda a toujours été le grand soutien de Paul. Je pense que par amour, ce dernier lui a demandé d’intégrer les Wings – Linda n’était pourtant pas musicienne. C’est un couple et une famille qui vivent très bien ensemble. John Lennon a toujours caché ses enfants – en particulier son premier fils, Julian. Les McCartney ont toujours été unis.
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Que révèlent les doubles pages ?

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Je voulais sortir des cases habituelles. « Paul » est une bande dessinée pop éclatée. Philippe Druillet m’inspire beaucoup. Jeune, je n’étais pas spécialement un admirateur. Suite à l’exposition Druillet à Angoulême, j’ai pu apprécier davantage ce style totalement libre.

J’ai également beaucoup aimé le travail de l’illustratrice Magali Le Huche pour le livre « Nowhere Girl » (2021). Je dois avouer que j’étais très jaloux de ses double-pages sur les Beatles.
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Selon vous, le groupe Wings reflète-t-il la partie la plus libre de Paul McCartney ?

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C’est en tout cas l’identité de Paul McCartney. Les Wings c’est lui + d’autres. Après les Beatles, Paul recherchait avant tout de l’indépendance. Les Wings c’est aussi le seul moment où il a laissé ses musiciens composer eux-mêmes.
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 Ce fut un vrai plaisir de retranscrire les couvertures d’album ?

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Elles font toute partie de nos souvenirs. J’ai donc opté pour un style très réaliste. Ce fut très agréable de reprendre notamment la couverture « Ram ». J’aime faire correspondre mon dessin à ce que je raconte. Lorsque les scènes sont sombres, j’adopte un style grave. Quand c’est comique, c’est souvent le cas avec Paul McCartney, je choisis un ton cartoonesque. Tout vient naturellement.
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Y’aura-t-il une suite ?

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La période qui suit ne m’intéresse plus. Paul ne fait plus de tournées. 1969-1973 sont des années héroïques. Je voulais raconter ces moments de « résurrection ».
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