L’univers graphique de Valentine Sarrazin frappe par sa singularité et son goût pour le (beau) mystère. Les corps, les formes et les couleurs accompagnent le spectateur, l’entraînent dans une métamorphose ambiguë. Le sauvage se redécouvre à travers les pinceaux de Valentine Sarrazin, également dessinatrice de bande dessinée.

En une seule image, les histoires s’enchaînent, se cognent à notre propre réalité. Le rêve n’est finalement pas si lointain quand on fait appel à l’art…

Entretien avec Valentin Sarrazin, illustratrice des corps.

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BD, peinture, illustration… Le dessin était-il une évidence ?

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Vers l’âge de 7 ans, j’ai commencé avec les carnets de personnages que nous devions habiller. Depuis, je n’ai jamais arrêté de dessiner. Même si des pauses de plusieurs semaines ou mois peuvent arriver, je réfléchis à de nouveaux concepts ou à de nouveaux personnages et je m’applique à nourrir mon cerveau avec de l’art.

De nos jours, je réalise bien plus de peintures et je tente de maintenir un rythme qui me rende heureuse.
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© Valentine Sarrazin
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Le cinéma vous inspire graphiquement ?

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Oui. En particulier les films du cinéaste soviétique Andreï Tarkovski. Il fait confiance à son cadre et réalise des scènes comme en apesanteur. J’ai un goût pour la lenteur. Cela m’inspire puisque je peins des moments intimes.
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Est-ce la bande dessinée qui vous a fait dériver vers la peinture ?

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Après mes études en bande dessinée, j’ai participé au projet BD « Déraisons d’Etat – Virus à l’Elysée » (2022). Je m’occupais du dessin et de l’encrage. J’ai des regrets sur ce projet, je manquais de maturité et j’aurais sûrement pu rendre un travail dont je serais plus fière aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que cette expérience a cristallisé ce besoin que j’avais de sortir des cases.  J’ai donc voulu m’orienter vers un univers plus indépendant, plus libre. La bd a été cruciale afin de m’apprendre une certaine discipline envers moi-même et surtout elle m’a permis de lancer plein de pistes, d’essayer des techniques vers lesquelles je ne serais peut-être pas allée avant.

Je pense tout de même que je reviendrai tôt ou tard à la bande dessinée. J’ai juste besoin de temps.  
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© Valentine Sarrazin
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La nature est-elle un personnage à part entière dans votre univers graphique ?

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J’ai en fait commencé la peinture lorsque je séjournais dans la région du Verdon. J’y vais tous les étés depuis ma naissance, c’est un lieu qui m’a toujours beaucoup inspiré. Lorsque vous vous promenez, vous pouvez remarquer que la roche peut être orange et les lacs très bleus. Même s’il y a beaucoup de fantaisie dans mon travail, je m’inspire beaucoup de la nature et si elle ne figure pas toujours littéralement sur ma toile, elle en est le systématiquement le catalyseur. Je vis en milieu urbain alors je surcompense peut-être un peu en peignant une nature qui surgit de partout, une chaleur lourde et des corps au repos.  

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Comment choisissez-vous vos couleurs ?

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Je travaille essentiellement avec de l’acrylique sur toile, cela implique un travail rapide puisque la peinture sèche très vite. Lorsque je commence une toile, je ne fais pas de maquette, je pose ma composition au pinceau et je place rapidement mes premiers aplats. Il y a une grande part d’imagination et d’improvisation, je n’ai pas de soucis à recouvrir une partie du tableau si elle ne me plait pas. Je m’adapte finalement à la couleur d’une fleur puis j’harmonise. Généralement, je vais placer ma première couleur puis je travaille avec sa complémentaire, puis une déclinaison de la première couleur et ainsi de suite. Je ne souhaite jamais d’œuvres dites froides. Je travaille dans une pièce qui manque de lumière alors je choisis toujours des couleurs chaudes et intenses – même le bleu.
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© Valentine Sarrazin

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Que révèlent les corps quand ils sont dessinés ?

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Tout au long du processus, ils peuvent évoluer. Je pars d’une figure belle et fine pour au final arriver vers un corps plus massif. Mes corps ont cela de vivant qu’en prenant de l’âge sur ma toile ils prennent également du poids, ils s’affalent un peu plus, se simplifient. En un sens mes œuvres se réalisent d’elles-mêmes puisque mon manque de préparation en amont (pas de croquis ou d’idée directrice) me laisse libre d’aller où bon me semble. Comme je me laisse aller, il m’arrive de découvrir mon propre travail.

J’expérimente beaucoup – notamment sur tablette où les possibilités sont multipliées mais je reviens toujours sur la toile. Il manque une certaine corporalité à la tablette que j’ai du mal à pardonner.

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Y’a-t-il des autoportraits ?

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Même si je suis souvent mon propre modèle, je ne considère pas que je réalise des autoportraits. Mon corps et mes poses sont juste le point de départ, une sorte de facilité puisque je sais exactement comment je dois me placer pour avoir la photo qui me servira de modèle. Ensuite je rajoute de la masse là où j’en veux et inversement. Je refuse de passer des heures à chercher la bonne photo de pose sur internet. 

Je préfère dessiner les femmes mais de temps en temps je me rappelle moi-même à l’ordre et me force à dessiner un homme… A la fois parce que ce ne sont pas de (si) mauvais sujet mais également afin de ne pas perdre la main techniquement. Malgré tout, je trouve plus de douceur et de sérénité dans un corps féminin.
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© Valentine Sarrazin
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Y’a-t-il une musique que vous conseilleriez pour regarder vos toiles ?

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J’écoute actuellement la chanson « Low Sun » d’Hermanos Gutiérrez. L’ambiance peut correspondre à ce que je peins.

Étonnement, j’écoute peu de musique en travaillant. Par contre, pendant mes dernières sessions de peinture, j’avais des podcasts sur des histoires d’horreur en fond sonore (rires).
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Aimez-vous l’étrange ?

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© Valentine Sarrazin

J’ai toujours aimé les contes et les mythologies. J’aime être confrontée à des choses que je ne comprends pas entièrement et je pense que le mystère a une grande importance dans l’art de manière générale.

Des artistes comme Zdzislaw Beksiński, Philippe Druillet, Serge Brussolo, Andrei Tarkovsky, et bien d’autres m’ont donné à voir plein d’histoires fantastiques qui ont façonné mon imaginaire et ma façon d’appréhender l’art. Le bizarre a cette drôle de façon de vous alpaguer, que vous aimiez l’œuvre ou non.

Comme je suis une artiste qui ne veut pas tout expliquer, je laisse très souvent le public interpréter mes peintures. C’est assez surprenant, j’entends souvent que les gens trouvent mon travail beau mais de temps en temps une idée sort du lot. Quelqu’un m’a un jour écrit que mes peintures lui rappelaient la maladie d’un proche et cela m’a émue qu’une fleur peinte dans un moment de joie puisse avoir cette mélancolie chez un autre. 
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Que souhaitez-vous explorer à présent ?

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J’espère exposer davantage afin de faire mieux connaître mon travail.

J’aimerais également diriger mon style encore plus vers le surnaturel. Il y a encore tant à raconter. J’ai aussi écrit un scénario de bande dessinée que je garde au chaud depuis quelques années. Il faut que je trouve le temps d’élaborer le style dans lequel je souhaite l’adapter.
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© Valentine Sarrazin

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Image de couverture : © Valentine Sarrazin

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