Le monde de Maïc Baxane est envahi par l’encre noire et les couleurs (fluos). Photographies se complètent par le dessin, la provocation et les références à la pop culture et à l’univers LGBTQI+. L’artiste (dessinatrix, graphiste, DJ) aime les métamorphoses et les mutations et joue avec notre regard ainsi que notre rapport avec l’affiche. Nos imaginaires communs n’ont jamais été aussi bien illustrés que sous la forme des affiches-images de Maïc Baxane. De plus, l’humour s’invite…
Entretien avec Maïc Baxane, artiste de la lutte.
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Dès le début de votre vie d’artiste, l’image se devait-elle d’être provocatrice ?
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Mes années aux Arts Déco de Paris ont coïncidé avec ma rencontre avec les milieux punk, queer et féministe. J’ai découvert les fanzines et l’état d’esprit DIY (Do It Yourself). A l’époque (fin 2004), le courant n’avait pas la même ampleur qu’aujourd’hui. C’était assez discret mais tous mes travaux scolaires ont ainsi été influencés par le féminisme radical et la théorie queer. Je me destinais à devenir graphiste et non plasticienne. Je suis sortie de l’école avec l’envie de continuer dans le militantisme.
Dans les années 2012, une déferlante d’homophobie s’est installée avec la Manif pour tous. J’ai voulu répondre par la provocation. Avec mon nouveau pseudonyme, Maïc, je présentais en sérigraphie la Vierge Marie sous un préservatif. C’est finalement suivant le spectateur qu’il y a provocation ou non. En 2014, j’avais réalisé une fresque dans l’espace public où le sexe femelle était remplacée par une gueule féline. Je craignais la réaction des passants. L’œuvre a finalement été bien accueillie dans le quartier mais c’est la Police qui a jugé que c’était indécent et l’a retirée (de nuit, en dehors de tout cadre légal).
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Pourquoi le pseudonyme Maïc Baxane ?
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Maïc est un prénom breton, un dérivé de Marie. Une partie de ma famille étant originaire de Bretagne, je l’ai choisi. Au début de ma carrière, je m’appelais Maïc Batmane (J’avais ajouté le E pour marquer mon appartenance à la classe sociale des femmes). Puis, avec les années, j’ai compris que Batman ne me parlait pas du tout (cette référence à un super-héros solitaire, apprécié de certaines sphères mascus, était devenue envahissante) – je l’ai donc barré et mon pseudonyme est devenu Baxane.
Je continue d’utiliser mon nom d’état civil pour mes activités de design graphique plus institutionnel. J’ai deux activités, deux champs d’expression et cela me convient.
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Chimères, monstres, animaux… Sont-ils les plus beaux modèles ?
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J’ai toujours aimé les figures et les interactions entre les humains et les bêtes. Issue du milieu urbain et membre d’une famille sans animaux domestiques, j’ai mis du temps à me familiariser avec la faune. Nous avons un lien complexe avec les êtres vivants. Nous mangeons des animaux mais nous vivons avec eux. Ils se mélangent avec les humains. C’est un grand sujet artistique avec des tabous. Notre société n’accepte pas encore le deuil lié à la perte animale.
J’ai également un goût pour les animaux qui ne sont pas aimés comme la hyène, le serpent, la pieuvre ou la chauve-souris. Dès que vous les étudiez, vous êtes saisis par leurs modes de vie et leurs caractéristiques. Je suis passionnée par les sciences. J’y trouve de la magie. Mon corps est plein de tatouages d’animaux décriés.
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Quel est le rôle de vos couleurs ?
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Les originaux de mon travail illustratif sont en noir & blanc mais il est vrai que j’aime travailler avec les couleurs à l’étape de leur édition sous forme de multiples (sérigraphie ou risographie). Quant aux dessins aux pastels et stylos Bic, ils sont travaillés directement en couleurs très saturées. Les fluos sont un sujet intéressant. Liés au mauvais goût, ils sont pourtant présents dans la Nature. Notre œil n’y prête pas attention. La fluorescence est cantonnée à la prévention (gilets, notices,…) ou le rapport à l’enfance, ou la fête.
J’aime lier ces couleurs méprisées à l’homosexualité. Je dessine donc des figures queers à haute visibilité.
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Quel est votre rapport au sacré ?
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Issue d’une famille catholique et homophobe, j’ai pris la décision en 2005 de me faire débaptiser auprès de l’évêché. Féministe, je n’acceptais pas cette période où les intégristes venaient prier devant les centres IVG.
Je me suis ensuite réapproprié l’image du sacré. Il y a de la sensualité dans la religion catholique. Dans les églises, vous pouvez voir des saints en plein extase. On peut déceler des figures queers telles que Sainte Wilgeforte (elle est barbue), Sainte Barbe ou Saint Sébastien. Je m’autorise à utiliser le blasphème sous la forme de l’humour.
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L’autoportrait demande-t-il plus de précision ?
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Je n’ai pas l’objectif de me fermer aux autres. Je fais au contraire partie d’une communauté. L’autoportrait est juste le matériel le plus accessible, le plus disponible et le plus simple. Il n’y a pas de question de droit et le modèle est toujours là.
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Quel est votre rapport avec la photographie ?
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La plupart de mes œuvres reposent sur des photos. J’aime d’ailleurs conserver le cadrage. Pour le projet « Pisseurses », je voulais garder ce côté quotidien et spontané de la photo. Il y a un grand espace artistique avec la photographie. Avec le pastel et le travail de couleurs et de lumière, j’y apporte de la magie. C’est un exercice que je réalise depuis maintenant 3 ans (on m’avait offert une boîte) et qui relève des Beaux-arts et donc loin de ma formation de design graphique. Par conséquent, c’est une technique que je considère être encore en train d’explorer tant on peut la travailler de nombreuses manières.
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Votre travail peut-il être musical ?
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Certaines de mes œuvres ont pour titres des paroles ou des titres de chanson et j’aime intégrer de la musique lorsque je poste mes créations sur Instagram. J’ai également une activité secondaire de DJ.
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« Pisseurses » (Editions du Réel – 2025) est-il une expérience artistique joyeuse ?
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Absolument. Uriner est un geste que nous faisons tous et toutes, tous les jours et pourtant nous le cachons. « Pisseurses » est une envie d’exposer.

Il y a une pluralité de visages, de lieux et de saisons qui rendait le projet unique. Il y a de la joie mais aussi de la timidité voire des regards de défi. Il m’arrivait de recevoir les photos à 3 heures du matin. Cela signifiait que les personnes le faisaient à la sortie des bars.
J’ai pu prendre quelques photos mais dans leur majorité, je recevais les images par mail. Je me suis moi-même mise en scène : en slip de bain à Marseille l’été et dans la neige l’hiver.
Je voulais exposer les visages car le livre devait capter une part d’intimité, de camaraderie et de joie. Il fallait garder le regard à celui ou celle qui prend la photo.
Le projet « Pisseurses » était aussi une revendication de reconquête de la rue.
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Y’a-t-il une joie de rassembler avec les Sale Art Salons ?
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Depuis quelques années, il y a une explosion des salons d’illustration et bien souvent, j’ai connu des déconvenues. La place était payante alors qu’il ne s’agissait juste que d’une table. Parfois, on me demandait de ne pas exposer certaines œuvres car l’événement était grand public.
Je voulais mettre en avant au contraire la scène punk, faire découvrir de nouveaux artistes et développer des thèmes originaux. Les Sale Arts Salons fonctionnent car le public sait ce qu’il va voir.
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Quels sont vos envies ?
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Même si je suis quelqu’un d’assez pessimiste, je n’utilise pas l’art pour traduire mes pensées les plus sombres. Dessiner, telle une thérapie, me donne une certaine joie. Je peux exprimer la rage mais pas la dépression et la haine.
J’aimerais m’orienter vers le sujet du feu. Nous vivons une époque très noire où tout crame. Le feu peut certes être destructeur mais il peut symboliser également le renouveau.
Je voudrais reprendre le travail des chimères au stylo Bic.
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Devons-nous toujours rêver du beau grand soir ?
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Oui et c’est pour cela que je reste connectée aux milieux queers. Ils sont une forme de résistance aux genres masculin et féminin. Un jour, peut-être, ces derniers vont disparaître.
Cependant, il est clair actuellement que nos sociétés s’orientent vers le fascisme. Heureusement, il y a encore des affrontements et beaucoup de résistances. Tout n’est pas perdu.
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