Dessinateur et conteur depuis les années 70, Jean-Claude Servais a toujours pris le soin de la délicatesse graphique et de la narration soignée. Chez ce fier gaumais, la nature est un véritable personnage à part entière– une puissance à apprécier et à préserver.
Artiste des journaux et magazines Spirou, Tintin et (A Suivre), Jean-Claude Servais a toujours montré une belle originalité et une rare authenticité dans le trait. Le personnage Tendre Violette, sa « fille », reste un personnage intemporel tant elle incarne une certaine beauté sauvage et une grande liberté.
La série « La Faune symbolique » (Editions Dupuis) met elle aussi en valeur une nature mythique et somptueuse. Les animaux ont eux aussi leur histoire! Le renard est rusé et le cerf est roi. Le tome 3, « Le Corbeau, la Corneille et la Colombe », paraît le 17 octobre 2025.
Entretien-portrait avec Jean-Claude Servais, illustrateur de nos natures.
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Avant d’être dessinateur, êtes-vous un observateur voire un conteur ?
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Dès l’enfance, je réalisais des dessins qui se suivaient car je voulais déjà raconter des histoires. J’aimais les aventures de Jerry Spring et de Bernard Prince. Je suis clairement de l’école belge. Jijé a beaucoup inspiré mon style.
Je vais commencer dans les prochains jours une nouvelle bande dessinée. J’ai gardé la même énergie et la même démarche.
Je n’ai jamais accepté les commandes. Même lorsque je réalise une affiche, je laisse libre cours à mon interprétation.
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Vous commencez votre carrière sous le pseudonyme de Jicé. Aviez-vous également un autre style, différentes inspirations ?
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Je n’étais qu’un étudiant de 18 ans. Il y avait des artistes comme Jijé, Jidéhem ou Hergé. Je me suis intégré à la mode des pseudonymes. Mes amis m’appelaient JC donc il était logique que j’utilise le nom de Jicé. J’ai créé avec ce pseudonyme pour la rubrique carte blanche du magazine Spirou et pour « les découvertes Dupuis ». Il m’est arrivé de signer également sous le nom de Gil Verse – c’était une idée du directeur de la rédaction de Spirou, Thierry Martens. Il pensait que le public pouvait confondre Jicé avec Jijé.
J’ai vite abandonné les pseudonymes pour mon vrai nom, Jean-Claude Servais. A l’époque, je travaillais chez Tintin et (A suivre).
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Y avait-il une certaine effervescence au sein de l’équipe d’(A Suivre) ?
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C’était l’époque où j’ai réalisé les premières planches de Tendre Violette. Gérard Dewamme écrivait les textes mais nous discutions toujours du scénario. J’ai rencontré Jean-Paul Mougin, rédacteur en chef d’(A Suivre), à la Gare de l’Est, à Paris, afin de présenter notre travail. Il n’a fait aucune critique et a juste dit qu’il fallait que je continue. J’ai ensuite repris le train pour la Belgique.
Le premier chapitre de Tendre Violette est paru dès le numéro 15 d’(A Suivre). J’étais entouré de grands artistes comme Hugo Pratt ou Jacques Tardi qui étaient plus âgés que moi. J’étais encore un gamin. L’équipe d’(A Suivre) était très sérieuse. J’avais l’impression d’être le Provincial. J’étais plus à l’aise chez Dupuis et au Lombard lors des salons BD.
Finalement, depuis cette époque, j’ai gardé les mêmes thèmes : la Nature, les légendes et l’Histoire.
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Le fantastique est-il un personnage à part entière dans votre univers ?
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Je vis en Gaume, pays de féérie et de mystères. Cette petite région se situe entre les Ardennes, le Luxembourg et la Lorraine française. C’est ainsi qu’on l’appelle le pays des trois frontières. Les ambiances peuvent être différentes entre ces régions. Nous avons une multitude de contes et j’aime m’en inspirer. Je n’aime pas faire des récits historiques rigoureux. Il m’est arrivé de réaliser des albums sur Godefroid de Bouillon ou Orval, mais en intégrant des personnages fictifs et en apportant une part de fantastique. Cela me donne plus de liberté dans la narration et dans le dessin.
J’aime emmener le lecteur dans mon univers.
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Reproduire des lieux, décrire le passé et la nature, retracer les frontières et les franchir… Est-ce finalement votre plus grand plaisir en tant qu’auteur ?
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Le fantastique se nourrit du réalisme. Je prends du plaisir à écrire les scénarios et faire un moment de bascule. Le fantastique s’immisce dans l’histoire. Parfois, le lecteur ne s’en rend pas compte. S’il accepte de suivre, pour moi c’est gagné. Je n’aime pas les grandes ruptures.
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Iriacynthe, Isabelle, Violette, Fanchon, Guenièvre, Lova, Hélène,… Que représentent les femmes dans votre univers graphique ?
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Alors que l’Ardenne est un pays de diables et de sorciers, comme l’a bien montré Didier Comès, la Gaume est le lieu des fées. La Semois, rivière qui prend sa source à Arlon, a été décrite par les poètes comme féminine. J’ai toujours aimé dessiner la sensibilité et la sensualité des femmes, leur chevelure qui se mêle aux feuilles de la forêt.
En outre, j’ai vécu entouré de femmes. J’ai 4 sœurs et une multitude de cousines.
Les femmes que je dessine ont toujours un fort caractère. Lors des rencontres avec le public, j’ai pu constater que de nombreuses femmes se reconnaissaient dans mes femmes de papier.
Quand je propose une couverture pour un nouveau livre sans femme dessinée, les commerciaux et mon éditeur m’en font le reproche.
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Comment est née Tendre Violette ?
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Avec Gérard Dewamme, nous terminions le service militaire. Nous étions amis mais nos personnalités étaient à l’opposé l’une de l’autre. J’étais timide. Quant à Gérard, c’était un anar extraverti. Nous voulions tout de même travailler ensemble. Ce sont nos deux personnalités qui ont permis la naissance de Tendre Violette. Le titre pouvait paraître gentil mais la couverture montrait des combats.
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Vous êtes-vous retrouvé dans l’adolescence de Godefroid de Bouillon ?
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Avec cet album, je voulais surtout montrer la ville de Bouillon, son château, ses gens et la réalité historique que nous connaissons aujourd’hui sur les croisades. Je ne voulais pas montrer un beau chevalier comme Sirius l’avait fait pour le magazine Spirou, c’était une autre époque. Je ne souhaitais pas non plus dessiner la dure réalité des croisades.
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Avec Le Renard et le Cerf, vous vous êtes plongé dans l’histoire des animaux. Est-ce une façon de leur donner un certain rang ?
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C’est un exercice méticuleux qui me permet d’étudier des légendes de tous les pays. Je les adapte ensuite dans mon style. Qu’importe les cultures et les civilisations, les animaux ont inspiré une quantité d’histoires et de légendes. Qu’elles soient européennes, amérindiennes ou autres, elles sont très proches.
Ces récits s’inspirent de la réalité de l’animal. Le renard a toujours été perçu comme rusé et c’est vrai. J’aime intégrer dans mon histoire des témoignages, des observations de gardes forestiers, de naturalistes.
Cependant, il faut faire des choix. Certaines légendes ne sont pas adaptables dans mon style de dessin réaliste.
L’album « Le Corbeau, la Corneille et la Colombe » vient de sortir, c’est le troisième tome de « La Faune symbolique ». Je travaille actuellement sur le chat dont les légendes évoquent l’Enfer, les sorcières, l’Egypte ancienne…
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Quelles sont vos envies ?
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Mes envies ? Je voudrais revenir vers la collection « Aire libre » pour réaliser deux albums plus intimes et personnels, autour de ma rivière, la Semois, qui traverse la Gaume et se jette dans la Meuse, en France, sous le nom de Semoy. Cela me permettra de raconter des histoires de jeunesse.
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Image de couverture : © Jean-Claude Servais