Depuis le XIXème siècle, l’affiche accompagne le music-hall, le théâtre et le cinéma. Véritable passerelle entre l’œuvre de scène et le spectateur, elle présente mais surtout nourrit l’imagination de tous. Avec le titre, le sous-titre et les noms d’artistes, l’image fait partie intégrante du plaisir. Il arrive même que l’affiche soit plus réussie que le spectacle lui-même…
Laurent Melki est un artiste qui a accompagné la révolution des cassettes vidéo. Dès les années 80, il a su redonner vie avec son pinceau à des films et a imposé son style si particulier et si aventureux. Les monstres, les vamps et les stars comme Jean-Paul Belmondo ou Jean-Claude Van Damme ont eu leur « illustrateur ».
Entretien avec Laurent Melki, créateur d’images.
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Le dessin est-il plus passionnant que le cinéma ? (20 affiches/400 jaquettes)
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Les deux s’entrecroisent. A l’âge de 12 ans, je me rendais sans cesse au cinéma. Je voyais le film une première fois – pour l’émotion. Puis une seconde fois afin de me concentrer davantage sur l’aspect technique. Les films d’horreur avec leurs trucages regorgent de plein de petits détails. Cela m’émerveillait.
Comme j’ai toujours aimé dessiner, je me suis mis à coucher sur le papier ce que j’avais vu sur grand écran. Très vite, j’ai réalisé de la bande dessinée d’épouvante. Mon style était proche de celui de Jean-Marc Laureau dit Loro. Il signait toujours avec un trèfle – quant à moi j’écrivais Elem pour Laurent Melki. On peut voir d’ailleurs sur les premières jaquettes que j’ai réalisées mon monogramme.
Avec la charge de travail, je me suis lassé de la bande dessinée et je me suis concentré sur l’image. Les couvertures et les affiches sont souvent accrocheuses. Elles disent beaucoup, stimulent l’imagination et parfois traitent d’aspects qui ne sont pas dans le livre ou le film (rires). Une seule et même image peut raconter une histoire… et se doit de le faire !
Quand j’ai débuté ma carrière de dessinateur, il n’y avait pas encore les cassettes vidéo. C’est Jean-Jacques Vuillermin qui m’a mis le pied à l’étrier avec Hollywood vidéo. L’arrivée des cassettes dans les foyers a été une révolution et une révélation pour moi. J’ai réalisé l’affiche de « Creepshow » (1982) ou « La Baie sanglante » (1971) alors que j’étais encore étudiant. Elles étaient partout dans la rue. Au début, je réalisais 4 affiches ou jaquettes vidéo par mois.
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L’affiche est-elle un exercice difficile (car elle doit être à la fois fidèle au film et attirer le passant) ?
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Je dis souvent que je dessine en seule image le film que j’adorerais voir. Il y a par conséquent un lien fort avec le passant. Je dois avouer que j’ai réalisé beaucoup d’affiches sans avoir vu le film. La plupart des spectateurs ne m’en veulent pas car, même s’ils n’ont pas aimé le long métrage, ils ont aimé mes illustrations. La jaquette les avait séduits.

L’art de l’affiche c’est de mettre le maximum d’impact. Avec le film d’horreur, on peut même ajouter l’outrance. Je prenais toujours beaucoup de temps à réaliser une affiche. Je me suis même amusé à me représenter en vampire sur l’affiche de « Central Park Driver » (1987) alors que je n’étais évidemment pas dans le film, tout comme « Les Gants blancs du diable » (1973), « Île de cauchemar » ou plus dingue, l’affiche de « Freddy 3 – Les Griffes du cauchemar » (1987) où je me suis dessiné à la place de l’ado dont je n’avais pas la photo, en plein centre de l’affiche ! Pour le coup, je partageais l’affiche avec Freddy Krueger ! (rires)
Il y a dans mes images beaucoup de thèmes. La fin des années 70 a été une période très rock’n roll alors que la télévision et ses trois uniques chaînes étaient encore en noir & blanc et où tout était gris. Il fallait alors mettre un peu de couleurs dans tout ça et je m’en suis donné à cœur joie et c’est peut-être là que mes affiches ont marqué et ont éclaboussé les vidéo clubs.
Dans mes dessins, il y a certes des explosions et du sang mais ce n’est jamais gore. J’ai fait une proposition d’affiche pour la ressortie de « 2 000 Maniaques » (1964). C’est un film d’une grande violence et j’ai proposé une image plus adoucie. J’ai joué avec les lettres du titre. Le réalisateur américain, père du cinéma gore, Herschell Gordon Lewis a aimé l’affiche et l’a validée.
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L’affiche « Sœurs de sang » (1973) a-t-elle été un défi ? Les images relèvent parfois de l’intime.
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Les années 80 permettaient plus de liberté artistique dans l’espace public. Je n’ai jamais été inquiété par mes affiches. « Sœurs de sang » est un cas particulier car les deux visages représentés entre la tête de mort c’est celui de ma mère ! Toute ressemblance avec un film de psychopathe est absolument assumée ! J’ai toujours aimé intégrer une part de moi-même. Mon épouse a dû souvent poser pour des affiches de films de zombies. Je ne l’en remercierai jamais assez.
Je ne recevais pas non plus beaucoup de photos des films. De temps en temps, je regardais ces films dans des conditions difficiles. La qualité d’image était bien souvent médiocre. Il fallait donc que je me débrouille avec de l’allégorie et de l’ésotérique. Le défi : trouver un symbole fort pour l’illustrer. « Sœurs de sang », « Pyromaniac » (1979), « Mais qu’avez-vous fait à Solange ? » (1972) ou encore « La Dernière maison sur la gauche » (1972) en sont de bons exemples.
Contrairement aux autres illustrateurs, je n’utilisais pas l’aérographe. Je faisais tout au pinceau.
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Les titres et les taglines étaient-ils aussi passionnants à imaginer ?
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C’était la cerise sur le gâteau. J’adorais trouver les formules. J’avais inventé la tagline de « Pyromaniac » : « Suppliez-le pour qu’il vous tue d’abord ! ». J’adorais les films de revenants donc j’y ai ajouté des mains horribles qui menacent le spectateur.
Il m’est arrivé de proposer une nouvelle image ou un nouveau titre à des films des années 60 qu’il fallait relifter. Cela trompait le spectateur mais le jeu était amusant. Pour les sorties cassettes, j’ai inventé des titres comme « Bay mad » ou « Abominator » (1969) et je dessinais les affiches. Bien souvent, l’image ne correspondait pas à l’histoire du film (rires) et le directeur du magazine Mad Movies et ami Jean-Pierre Putters s’empressait dans la rubrique « Tonton Mad vs la flying jaquette » de relever la supercherie.
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Quel est votre lien avec le monstre (Creepshow, Freddy, Central Park driver, zombie,…) ?
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Nous avons tous un lien avec les peurs et les traumatismes. Le monstre fascine tout le long de notre vie. Les spectateurs sont séduits par la qualité de l’image mais aussi par le sujet de l’affiche. Qu’importe le film, j’ai toujours voulu réaliser des œuvres d’art en dessinant nos pires cauchemars pour mieux les apprivoiser.
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L’arme (à feu et blanche) est-elle devenue une signature ?
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Elle est de forme phallique. Il n’est pas anodin de l’accompagner de jeunes filles dévêtues et d’un maniaque au log couteau. Les affiches des films Rambo par l’artiste italien Renato Casaro m’ont beaucoup marqué. Les muscles saillants perlés de sueur et les armes démesurées ont mis en valeur Stallone est l’ont érigé au rang de star internationale. Tout comme les affiches très commerciales et agressives de Belmondo.
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Quelles sont les femmes de vos affiches (bien souvent vos personnages principaux) ?
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Elles sont certes souvent dénudées mais ce sont des femmes fortes. J’aime associer la sensualité à la force. Comme le docteur Frankenstein, il m’arrivait de mêler les bras d’une mannequin (ou de ma femme !) et la tête d’une actrice. Pour la sortie en cassette de « La Nuit des morts-vivants » (1970), j’ai intégré une belle femme sous la menace de bras de zombies. Elle n’est pas dans le film… La poitrine de cette femme est visible. Pour la ressortie de la cassette au début des années 90, j’ai dû la couvrir avec un léger découpage. Ce qui était acceptable en 83 ne l’était plus en 93… Allez comprendre !
Pour un poster central du magazine Lui, j’ai dessiné Anne Sinclair en Diane quasiment nue. Ses flèches se terminaient par des micros. Anne Sinclair n’a pas aimé l’image et a porté plainte contre Lui. Le poster central a dû être retiré ainsi que les affiches des kiosques.
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Avez-vous des liens particuliers avec des acteurs (Jean-Paul Belmondo, Jean-Claude Van Damme, Brigitte Lahaie) ?
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J’étais surtout un artiste des jaquettes. Puis, j’ai eu une demande de Fil à films de réaliser les affiches de la plupart des gros films de Bebel. Belmondo souhaitait aussi que je dessine les affiches de ses films des années 80. C’était un artiste exceptionnel et un être charmant. Ma première affiche pour Bébel c’était « Le Solitaire » (1987) puis il y a eu « Le professionnel » (1981) et « Peur sur la ville » (1975) pour ne citer qu’eux. Vers la fin de sa vie nous étions devenus assez proches et il m’appelait « son illustrateur ».
Avec Jean-Claude Van Damme, j’ai réalisé l’affiche de « Cyborg », je ne l’ai jamais rencontré mais je sais qu’il l’a appréciée particulièrement puisqu’il l’a partagée sur ses réseaux sociaux. Quant à Brigitte Lahaie, bien avant que je réalise son affiche de « L’exécutrice » (1986) nous partagions avec l’ami Dick Rivers l’honneur d’être de jury au festival du grand REX, un grand moment ! (rires)
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Comment choisissez-vous les couleurs ?
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Pour des films comme « Creepshow », j’ai donné beaucoup de place au rouge mais en règle générale, ma couleur reste le bleu nuit, souvent tranché de lasers. C’est un dosage très précis. Ce n’est pas le bleu Klein, c’est le bleu Melki ! J’ai notamment utilisé ce bleu pour les affiches du cirque Bouglione. On ne choisit pas ses couleurs, ce sont elles qui vous choisissent. Nous, les illustrateurs, on est fait comme ça.
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Y’a-t-il eu des exceptions ?
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Oui pour le rappeur Venom. Nous nous connaissons depuis 14 ans. Venom a souhaité une fois que je réalise un dessin dans les teintes rouge. Ce fut un défi pour moi mais le résultat est … rougeoyant.
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Que pensez-vous des affiches d’aujourd’hui ?
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Alors que je suis un artiste maximaliste, l’époque est minimaliste. Il faut montrer le moins possible car on a peur de la polémique. De nos jours, Hollywood ne veut plus montrer d’explosions à l’extérieur des cinémas. L’affiche de « Mission : Impossible – The Final Reckoning » (2025) est un bel exemple de retenue. Mes affiches avec les revolvers dirigés vers le public ne seraient même pas envisageables aujourd’hui.
Les productions n’ont même plus de budget pour cela. Quelle tristesse ! C’est pour ça qu’on a une uniformisation par le bas de la communication artistique. Pourtant un grand nombre de gens se souvient avant tout des films grâce à leurs affiches. C’est un marqueur, ce sont les bornes d’une vie.
Ce qui est amusant c’est que je me sers de l’intelligence artificielle pour animer mes affiches. Pendant des dizaines d’années, elles étaient immobiles et je leur ai donné vie – maintenant elles font du cinéma. (vous pouvez lez voir vivre sur ma chaîne YouTube, mon compte Facebook Laurent Melki ou bien sur mon site ww.melki.org)
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Que souhaiteriez-vous faire à présent ?
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Je réalise des pochettes de vinyles, comme pour Venom, ou le groupe de beast métal Californien Vorlust ou bien celle de la tournée Américaine du génial Dabeull, maître du Funk. J’aimerais également continuer à réaliser des affiches de cinéma, maintenant que les cassettes n’existent plus!
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© Brieuc Cudennec
Photo de couverture : © Laurent Melki