Grand spécialiste, écrivain, scénariste, réalisateur, acteur,… La vie de Jean-Pierre Bouyxou a été palpitante, passionnante, multiple (agissant parfois sous les pseudonymes de Georges Le Gloupier et Claude Razat),… Provocateur avec ses attentats pâtissiers, passionné du 7ème art et amoureux de la liberté, il a toujours voulu faire des ravages. Décédé le 2 septembre 2025, Jean-Pierre Bouyxou laisse une production gigantesque, un univers fantastique où l’écrit et l’image sont intrinsèquement liés. La passion est heureusement infinie.

Propos recueillis auprès de Jean-Pierre Bouyxou en 2023.

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Vous débutez comme journaliste en 1966 dans le quotidien bordelais « La France ». Vous y introduisez le personnage fictif Georges Le Gloupier. Pour quelles raisons ?

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Le prénom Georges était très courant à l’époque. Le Gloupier venait d’une bande dessinée de mon enfance. Le nom m’avait fait rire et je l’ai gardé en mémoire. Chaque année, des gloupiers se réunissaient dans un congrès national au bois de Boulogne. Ils taillaient des pierres pour en faire des sphères parfaites. En les jetant dans un lac, ces dernières faisaient « gloup gloup ».

Des années après, en tant que journaliste à « La France », j’ai inventé le personnage Georges Le Gloupier. Je me lassais d’écrire sur des courses automobiles ou des faits divers. Je m’arrangeais pour citer au moins une fois par jour Georges Le Gloupier. Il pouvait être champion du monde de patins à roulettes, grand philosophe ou homme politique. Personne ne se rendait compte de l’absurdité. Le Gloupier pouvait même être l’auteur d’un livre très savant adoré par l’écrivain Jean Rostand. L’œuvre (en argot et en alexandrin !) traitait de la vie sexuelle des hannetons.

Puis, Noël Godin a adoré l’idée et nous avons commencé à utiliser Georges Le Gloupier pour nos attentats pâtissiers. Il convenait parfaitement à notre « terrorisme » libertaire.

J’ai directement participé à celui contre le danseur Maurice Béjart. Il a été la seconde victime de Georges Le Gloupier après Marguerite Duras. J’ai ensuite participé à ces << attentats >>en emmenant Noël sur le « lieu du crime », en couvrant sa retraite ou en installant sa fausse barbe dans les toilettes. Je suis également celui qui a rédigé le manifeste de l’attentat pâtissier. 
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Vous avez inventé un autre pseudonyme – Claude Razat. Qui est-il ?

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Le premier fanzine où je travaillais s’intitulait Mercury. Jean-Pierre Fontana, futur grand écrivain de science-fiction, l’éditait. Nous étions peu. Les écrits de fiction étaient souvent signés par des pseudonymes. Au départ, j’écrivais sous mon vrai nom puis j’ai écrit ma première nouvelle en utilisant un faux nom. Razat était le nom du hameau où vivaient mes grands-parents en Dordogne.
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Dès le départ, vous écrivez sur la science-fiction ou sur le fantastique. Est-ce que ce sont les plus beaux genres cinématographiques ?
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J’ai toujours été passionné par le fantastique. Ma grand-mère me racontait des histoires à la Barbe Bleue. J’ai toujours aimé les images de châteaux en ruine, les pleines lunes et les cimetières abandonnés. « Frankenstein » (1931) de James Whale a été le film que j’avais le plus envie de voir. Je connaissais le mythe écrit par Mary Shelley et celui écrit par Bram Stoker – « Dracula ». Une séquence était passée à la télévision. Ma famille n’avait pas de télé – j’ai vu l’extrait chez un ami voisin. J’ai tout de suite aimé l’ambiance et je rêvais de voir le film. De plus, j’ai adoré lorsque j’ai pu le voir enfin.
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Le cinéma érotique est-il le genre le plus décrié car il fascine ?

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Ce « vieux con » de François Mauriac disait que le cinéma avait fait une génération de voyeurs. Le genre a s’est juste démocratisé avec les années 60. L’époque a permis des sursauts de libertés. La France avait été mise à l’écart à cause du puritanisme. Le Pétainisme a été remplacé par le Gaullisme conservateur. Tout film avec même une nudité légère était classé interdit au moins de 16 ans. Cette atmosphère grise ne pouvait que révolter.

Pour moi, l’élément déclencheur c’est le premier numéro de Midi-Minuit fantastique en 1962. La revue avait été fondée par l’artiste Jean Boullet et Eric Losfeld. Midi-Minuit fantastique traitait aussi bien de l’érotisme, de la science-fiction que de l’horreur (le cinéma bis).

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Vous avez également réalisé des films pornographiques comme « Entrez vite… vite je mouille » (1978). Était-ce avant tout par provocation ou le film est un cinéma comme un autre ?

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Malgré le mépris et la ghettoïsation, il s’agit d’un genre cinématographique comme un autre. Je suis également par essence un provocateur. J’ai également la chance de réaliser des films X parce qu’on me le proposait. Le rythme de tournage était soutenu – il fallait tourner en une journée et demie voire en une journée.

Jean Rollin devait réaliser deux films en trois jours. Il m’a alors demandé de l’aider à en tourner un. Nous devions faire mutuellement l’assistant de l’autre.
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Vous avez réalisé un documentaire « Les Vamps fantastiques » (2003) sur les femmes et l’horreur. Sont-elles les créatures les plus effrayantes ?
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C’est le mariage du fantastique et de l’érotisme. Dans ce mélange, les femmes sont autant fascinantes qu’effrayantes.
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Vous avez également écrit sur les hippies (« L’Aventure hippie » 1995). Quel fut le lien entre cette nouvelle communauté et le cinéma ?

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Issus principalement des grandes villes, les hippies avaient eu pour habitude dès leur jeunesse d’aller au cinéma chaque semaine. Enfants du surréalisme et de l’avant-garde, ils aimaient les genres comme l’érotisme ou le fantastique. Malgré le manque de moyens, les hippies se sont mobilisés pour laisser place à leur créativité artistique. Nous manquions de connaissances techniques – Qu’importe. Nous avons travaillé en tant qu’autodidactes. Sans argent et expertise, des films ont pu se réaliser. Les hippies ont fait du cinéma comme les punks, la génération suivante, ont fait de la musique.
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Pour quelles raisons Métal Hurlant a autant captivé ?

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Le magazine était une rupture totale avec le monde de la bande dessinée. Le type de graphisme était novateur et Métal Hurlant puisait son inspiration ailleurs – loin des créations de dessinateurs comme Hergé ou Edgar P. Jacobs.

Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manœuvre m’ont demandé d’écrire un article sur Lovecraft. J’ai également dirigé avec Jean-Paul Nail Ciné Fantastic – revue petite sœur de Métal Hurlant car éditée par les Humanoïdes associés. Nous n’avons réalisé qu’un seul numéro.

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Vous avez également été rewriter pour Paris Match.

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A mon grand étonnement, j’ai rencontré des gens formidables qui travaillaient pour ce magazine. Nous avions eu une grande liberté d’expression au même titre que j’ai pu avoir dans Hara Kiri ou Siné Hebdo. J’ai certes écrit sur Jean-Paul Belmondo et Alain Delon mais c’était surtout pour dire qu’ils avaient essentiellement tourné dans des films de merde. Mon dernier article dans Paris Match a été écrit à la mort de Jean-Luc Godard. Je lui ai rendu hommage en rappelant qu’il venait de la droite et qu’il n’a ensuite jamais renié d’être d’extrême gauche – et jusqu’à la fin. La rédaction ne m’a jamais reproché quoique soit.

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Comment êtes-vous devenu le scénariste de la série Le JAP avec Carlos ?

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Mon ami Didier-Philippe Gérard venait de perdre son complice Claude Mulot (alias Frédéric Lansac). Le scénariste avait été victime d’une noyade à Saint-Tropez. Didier-Philippe n’aimait pas écrire seul. Par conséquent, il m’a demandé de l’aide pour écrire de nouveaux films.

Le producteur de la série TV Nestor Burma a contacté Didier-Philippe. Il avait demandé au réalisateur Didier Kaminka une bible [un ensemble d’écrits afin d’orienter les premiers épisodes] pour un projet avec le chanteur Carlos. Kaminka avait demandé une grosse somme d’argent et avait produit un travail inexploitable. Par conséquent, on appelait en catastrophe Didier-Philippe. Par contre, il devait réfléchir au concept bénévolement. Didier-Philippe m’appelle alors à la secousse. N’ayant jamais travaillé pour la télévision, j’accepte.

Carlos faisait alors une publicité pour la boisson Oasis. Cela nous a inspiré l’histoire d’un aventurier au soleil – Capitaine Bardi. Nous travaillons d’arrachepied et avons de bonnes relations avec Carlos. La production apprécie notre bible mais le tournage devait se faire en France métropolitaine. Par conséquent, l’idée tombe à l’eau et nous devions nous remettre au travail. Dès que nous avions un concept, la production refusait car l’idée était prise par une autre chaîne… Nous n’avions plu d’idées. Puis un de nous lance : Juge d’Application des Peines (rires). Le projet a été accepté. Nous avons rencontré pendant quelques heures un vrai juge d’application des peines afin de nous inspirer.

Dès le lancement, j’en ai eu assez et je suis parti du projet.
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Vous êtes membre à vie du jury du Festival International du Film Grolandais La principauté est-elle un espace de libertés nécessaire ?
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L’univers me plaît. J’ai participé à mon premier jury lorsque le festival était encore à Quend. Le lieu avait été choisi car la ville était considérée comme la plus sinistre du bord de la Mer du Nord (rires). Quend a ensuite refusé d’accueillir à nouveau les Grolandais. Le festival s’est alors installé à Toulouse et est devenu le Fifigro.

Benoît Delépine et Gustave Kervern m’ont nommé avec Noël Godin juré à vie. Je rappelle tout de même que depuis quelques années il n’y a plus de jury. Un « dictateur » est nommé chaque année…
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Vous avez été acteur dans « Vortex » (2021) de Gaspar Noé. Est-ce un film d’horreur ?

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Oui. Je dirais même qu’il s’agit d’un des films les plus glaçants que j’ai jamais vus.

J’ai été membre d’un jury pour le prix très spécial d’un festival de cinéma. Je voulais le décerner à « Seul contre tous » (1998), premier long métrage. J’ai dû insister pour que le jury accepte ma proposition. Depuis ce jour, je suis devenu l’ami de Gaspar.

Un soir, il m’appelle car il avait besoin le lendemain matin de silhouettes pour son film « Vortex ». Le fait est amusant car je me suis retrouvé à jouer avec Dario Argento. C’est un réalisateur que je n’ai jamais aimé. J’avais d’ailleurs écrit dans Ciné Fantastic un brulot à propos de son film « Suspiria » (1977). J’ai lancé : « il y en a marre de tes procédés foireux, Argento la pute ». Pendant des années, une haine terrible de la part de ses fans est alors tombée sur moi.

Sur le tournage de « Vortex », j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet avec Argento et rappeller que j’écrivais alors pour la revue Ciné Fantastic. Soudainement, Dario rétorque : « Argento la pute » et se mit à rire. Nous nous sommes très bien entendus.
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© Brieuc CUDENNEC

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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC

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