Dans les rues de Varsovie, de Copenhague, de Lisbonne ou de Paris, un scaphandrier aux mille couleurs attire l’œil. Malgré sa grosse armure, le personnage, sorti de l’eau, est débonnaire et même pacifiste. Il est le personnage de Mihas Mishuk, artiste biélorusse. Pour ce réfugié vivant en Pologne, le street art a été une nouvelle façon de s’exprimer, d’échanger avec le reste du monde.
Abimé par la vie, le scaphandrier a envahi les villes pour transmettre un message de paix et de tolérance.
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Entretien avec Mihas Mishuk, créateur-migrant.
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Vous considérez-vous comme un artiste de rue ou juste comme un artiste ?
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Je suis juste un artiste qui expose de temps en temps ses œuvres dans la rue. Je fais du street art pendant les mois les plus chauds (surtout l’été). Ce sont des périodes où je n’aime pas vraiment peindre des paysages, car la nature est plutôt monotone en termes de couleurs. L’été est donc propice au street art, et le reste du temps, je peins des paysages.
De plus, en tant qu’immigré, il est beaucoup plus difficile de percer dans la communauté artistique locale, de rencontrer des artistes, des galeristes et, avant tout, du public. Il faut donc aller chercher son public soi-même, dans la rue.
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Vous peignez en effet aussi des fronts de mer et des maisons. Êtes-vous avant tout un spectateur ?
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C’est vrai en partie. En dessinant des paysages urbains, je documente, je capture des instants. Cependant, je ne dirais pas que je suis un simple spectateur. C’est plutôt… une façon d’explorer le monde. Pour moi, le dessin s’immisce entre le toucher et l’odorat. Et encore une fois, en tant que migrant, le street art et les paysages sont pour moi des moyens de faire vivre l’espace qui m’entoure, d’explorer la ville. De plus, créer est une bonne thérapie.
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Qui est ce scaphandrier ? Est-ce une sorte d’autoportrait ?
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Oui. Ce personnage a une longue histoire. Tout a commencé en 2013. Je traversais une période assez étrange de ma vie. Je venais d’obtenir mon diplôme de l’Académie des Beaux-Arts de Biélorussie et je ne savais pas quoi faire ensuite. Vous obtenez un certain niveau de compétences mais brusquement vous êtes laissé à votre propre sort. L’artiste se laisse porter par le courant, sans savoir où il va atterrir. Et c’est ainsi qu’on devient ce scaphandrier, emporté par le courant de la vie, débarquant vers des lieux étranges et inconnus.

Le scaphandre est comme une armure qui vous protège du monde extérieur. C’est ainsi qu’est né ce personnage – une sorte d’homme dans une coquille – qui, à bien des égards, me symbolisait à l’époque. Je faisais des dessins du scaphandrier chez moi. Je me baladais en ville et je les collais à différents endroits. Ces promenades m’aidaient à surmonter l’incertitude et me permettaient de me distraire. Ce monde lui était au départ inconnu mais progressivement le scaphandrier a pris ses marques.
Au fil du temps, quand la vie est devenue moins incertaine – et, malheureusement, quand j’ai arrêté de faire de l’art (je venais de trouver du travail) et j’ai abandonné mon personnage. Cette cassure a duré 7 ans. En 2020, dans mon pays d’origine, la Biélorussie, les élections présidentielles ont été truquées. Des manifestations de masse ont éclaté. Les autorités les ont alors réprimées. Des violences et même des tortures ont été commises. J’ai dû quitter mon pays. En exil, j’ai alors retrouvé cette incertitude et une grande précarité. Je ne savais pas de quoi demain serait fait. Le scaphandrier est donc revenu. D’une certaine manière, tout comme moi, c’est un migrant, trimballé à travers différentes villes. Nous sommes nombreux à vivre ainsi aujourd’hui. À ce jour, le scaphandrier a été collé dans les rues de 11 pays et 20 villes.
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Les couleurs ont-elles une signification ?
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Un jour, ma mère m’a demandé quel était le sens de ce scaphandrier. J’ai répondu : C’est juste un scaphandrier avec plein de couleurs car j’ai utilisé toute la peinture que j’avais autour de moi. J’improvise. Il m’arrive de restaurer des scaphandriers “blessés” dans la rue : si quelqu’un arrache un bras ou une jambe, je les répare avec des “prothèses” prélevées sur d’autres scaphandriers. Cela donne des figures multicolores. Cela peut également représenter la diversité et d’une certaine manière la liberté. Depuis que le scaphandrier est devenu migrant, je souhaite délivrer des messages.
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La sirène que porte parfois le scaphandrier est-elle une « demoiselle en détresse » ?
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Absolument pas. C’est d’abord une guerrière : elle a une épée. La sirène sait se défendre… C’est aussi le symbole de Varsovie. Le scaphandrier-migrant s’est lié d’amitié avec la sirène de Varsovie (Syrenka). C’est ma façon de m’intégrer et de communiquer avec la population locale. À Varsovie, c’est une sirène. À Vilnius, c’est le loup de fer. À Paris, c’est un navire ou la Tour Eiffel (lors de ma dernière visite, j’ai collé cette version).
Je ne veux pas être perçu comme un paria. Le scaphandrier et la Syrenka ont certes des origines différentes, mais ils peuvent vivre ensemble, interagir et apprendre de leurs différences.
Pour moi, c’est aussi un défi artistique intéressant : intégrer mon personnage à une figure locale pour que le tout soit harmonieux et fonctionne parfaitement.
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Quelles sont les réactions des passants ?
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Ceux qui remarquent la scène réagissent généralement positivement. Les enfants adorent le scaphandrier. Mais le plus souvent, une autre règle s’applique : plus vous êtes rapide dans le collage, plus vous avez des chances de rester anonyme et d’éviter toute animosité.
On m’a dit que des gens avaient même inventé un jeu : ils parcourent la ville en collectant en prenant des photos mes scaphandriers. C’est comme des Pokémons. D’autres n’aiment pas le street art car c’est pour eux du vandalisme. D’une certaine manière, ils ont raison. C’est du vandalisme mais en tant qu’artiste, je l’aborde non pas sous l’angle du code administratif, mais comme un moyen pour les gens de se réapproprier l’espace public.
Ici, à Varsovie, par exemple, il y a une rue – la préférée de ma copine – bordée d’immeubles typiques de l’architecture stalinienne. Sur la partie supérieure, il y a toute cette grandeur socialiste mais les parties basses des façades sont recouvertes de graffitis. Pour nous, qui sommes issus de l’un des derniers témoins vivants de la terreur stalinienne, ce contraste est magnifique voire inspirant. L’époque communiste est révolue, plus sacrée. Avec l’art, la jeunesse s’est réappropriée le lieu.
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Quels sont vos projets ?
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Vivre, grandir, continuer à créer. J’aimerais trouver de nouvelles idées. Mon principal projet pour l’instant est de trouver ma place et de comprendre ce qui m’attend. Peut-être que lorsque j’aurai enfin trouvé ma place, le scaphandrier disparaîtra à nouveau, comme en 2014.
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