Dernière représentante du casting de « La Grande bouffe » (1976), mystérieuse Arlette dans « Le Dernier Métro » (1980) ou encore terrible Julie Poissonnard dans « Au bon beurre » (1981), Andréa Ferréol a su incarner les femmes dans toute leur diversité, complexité et sensibilités. Dans « La Passion dans les yeux » (2016- Editions L’Archipel), cette native d’Aix-en-Provence s’était déjà racontée. Andréa Ferréol vit les instants de façon intense. Compagne d’Omar Sharif, elle n’a jamais arrêté d’aimer – le cinéma autant que le théâtre. Dans l’opéra perdu de Rameau, « Samson », Andréa Ferréol a su incarner à Aix-en-Provence puis à l’Opéra comique de Paris de façon prodigieuse la mère du colosse.
Amoureuse du bassin méditerranéen et artiste internationale, cette grande actrice a encore tant à raconter.
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Entretien avec Andréa Ferréol.
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Chanteuse lyrique, chef d’orchestre, dessinatrice… Vous vouliez dès votre enfance devenir artiste. Afin que vos parents acceptent que vous deveniez actrice, vous commencez une grève de la faim (8 jours). Est-ce la vie culturelle d’Aix-en-Provence qui vous a donné cette énergie ?
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C’est le hasard de la vie. Même s’il est vrai qu’à l’âge de 12 ans, j’ai découvert l’opéra avec le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence. J’étais subjuguée par les voix. Ne pas avoir été chanteuse d’opéra est le grand regret de ma vie. Je viens de réaliser cependant une partie de mon rêve puisque dans « Samson », je chante avec les chœurs backstage. Je ne peux faire que trois notes mais j’en suis très heureuse. Les autres participants m’ont alors donné un surnom, Maria Kalachnikov. Je le vois comme un hommage (rires).
J’ai fait les beaux-arts d’Aix. J’ai pu faire la connaissance d’une très belle femme, un vrai modèle de Modigliani. Elle m’a proposé de suivre des cours du soir de théâtre. J’ai aimé l’idée. Rentrée après 20h à la maison, j’ai pris une grande gifle donnée par mes parents car je n’avais pas dit où je me trouvais.
J’ai continué à suivre les cours de Martial Rèbe qui enseignait le vieux théâtre français. La jeune femme, quant à elle, est partie et moi je suis restée.
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Pour incarner Andréa, cet « ange de la mort » de « La Grande Bouffe », vous avez cinq repas par jour et prenez 20 kilos. Vous devenez rousse. Au lieu de dissuader ces 4 hommes de se tuer, votre personnage les accompagne. Que représente Andréa ?
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Elle est à la fois la femme, l’ange de la mort, l’épouse, la maîtresse, l’amie, celle qui sait faire don de soi. Elle ne s’oppose pas au destin de ces hommes. Andréa est avec eux, pour eux. Elle les accompagne naturellement jusqu’à la mort.

« La Grande Bouffe » a été un tournant pour moi. Le scandale l’a amené à être diffusée partout. Ma carrière aurait été très différente sans « La Grande Bouffe ». J’ai eu la chance bénie de travailler avec les plus grands metteurs en scène français, allemands, italiens ou grecs. Je dois tout à Marco Ferreri.
Aujourd’hui, je suis la dernière survivante de « La Grande Bouffe ». Même une grande partie de l’équipe technique a disparu. Quand je regarde ma filmographie, j’ai l’impression de voir un cimetière. Heureusement qu’il existe encore des personnalités comme Catherine Deneuve ou Gérard Depardieu.
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« Je suis chez moi en Italie ». Vous avez tourné avec des réalisateurs comme Francesco Rosi, Comencini, Ettore Scola, Liliana Cavani. Avez-vous une relation particulière avec le monde méditerranéen ?
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Absolument. Native d’Aix-en-Provence, je suis une Provençale. Tous mes grands amours ont été du bassin méditerranéen. J’aime le soleil et les oliviers. J’ai tourné pour le cinéma italien mais aussi pour le cinéma grec. D’ailleurs, c’est une autre façon de jouer. Les tournages étaient très bruyants alors qu’en Europe du nord, il faut être concentré et silencieux pendant que l’on tourne.
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Que ce soit avec Rainer Fassbinder ou Volker Schlöndorff, le cinéma allemand était une sacrée expérience ?
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Pour « Despair » (1978) de Rainer Fassbinder, on m’a appelée au téléphone et demandée si je parlais anglais. J’ai répondu que oui alors que ce n’était pas le cas. Comme je suis folle, je me suis rendue le lendemain aux Champs Elysées. Je suis entrée dans une école de langues en demandant de voir le directeur. Je demandais de pouvoir parler anglais en l’espace de deux mois. J’ai commencé les cours immédiatement. C’était du 4-6 heures par jour. Depuis « Despair », j’ai pu tourner d’autres films en anglais.
Le cinéma allemand a été un défi. J’aime me bousculer. Prendre 20 kilos ou apprendre une nouvelle langue – cela me plaît. Fassbinder était une force de la nature. Il m’impressionnait beaucoup. Fassbinder dormait très peu, produisait, montait ses films seul. Il est mort d’épuisement.
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« Le Dernier métro » (1980) est un film-hommage au théâtre. Avez-vous le souvenir d’un moment de troupe ?
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Habituée aux tournages bruyants d’Italie, je me retrouve sur un plateau très silencieux. Truffaut tenait à cette ambiance. J’étais même déstabilisée au départ.
Presque tous les soirs, François Truffaut nous proposait de voir les rushes. Catherine Deneuve m’accompagnait. La voiture garée, nous nous arrêtions dans une boutique pour acheter du fromage. Je n’ai pas revu Catherine depuis le tournage du « Dernier métro ». L’ambiance était joyeuse et amicale comme en effet dans une troupe de théâtre. Nous dînions tous ensemble. Lors de la cérémonie des César de 1981, « Le Dernier métro » a obtenu toutes les récompenses sauf pour moi et Heinz Bennent. Truffaut nous a alors rendu hommage dans la revue Le Film français.
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« Les Monologues du vagin » ont-ils été une renaissance théâtrale ?
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Nous portions la bonne parole et cette ambiance féminine était très bien. Je regrette que de nos jours il n’y ait plus de représentations de ce texte.
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Comment avez-vous réagi face au mouvement metoo ?
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J’ai toujours trouvé ces violences abominables. J’ai été l’amie de Maria Schneider. Le tournage du « Dernier Tango à Paris » a été une horreur pour elle. Toute sa vie, Maria a été traumatisée.
J’ai eu une seule fois dans ma vie une agression. Un acteur m’embrassait et s’est permis d’introduire sa langue dans ma bouche. Cela m’a tellement perturbée que j’ai demandé à ce que le tournage s’arrête, prétextant de me rendre aux toilettes. L’équipe a compris que quelque chose était arrivé. J’ai raconté l’épisode à l’assistante. Au cours de ma vie, j’ai eu la chance de travailler avec de vrais gentlemen. Même si j’étais la seule actrice dans « La Grande Bouffe », le réalisateur et les quatre acteurs ont été d’un formidable respect et d’une grande attention pour moi.
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Auriez-vous aimé jouer avec Omar Sharif ? (vous consacrez les 30 premières pages de vos mémoires à lui)
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Il a été un compagnon merveilleux mais je dois avouer qu’il était difficile. J’ai connu Omar pendant 34 ans. Il pouvait être solitaire et je sais qu’il pouvait être violent sur les plateaux de tournage. Je ne regrette pas de ne pas avoir joué avec lui. Parfois, il ne faut pas mélanger vie privée et vie professionnelle.
Omar me manque beaucoup. Ce fut une amitié amoureuse extraordinaire.
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Qu’est-ce qui vous étonne le plus chez Paul Cézanne ?
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Son évolution artistique. Au départ, Cézanne a une peinture très couillarde. Au fil du travail, il devient le père de la modernité. La série de « La Montagne Sainte-Victoire » a progressivement un style très dépouillé.
Je faisais une interview à propos d’Aix-en-Provence avec un journaliste d’un grand média. Il m’informe qu’un sculpteur a réalisé une statue de Cézanne. Curieuse, je me suis rendue dans l’atelier de cet artiste avec le directeur de l’Atelier Cézanne. Nous avons décidé d’offrir la statue à la ville d’Aix-en-Provence. Pour cela, nous avons monté une association. La statue a été installée en 2006 et cette année, la ville d’Aix a décidé d’organiser une immense exposition sur Cézanne. Mon festival, Les flâneries d’art contemporain dans les jardins aixois, auront lieu les 20, 21, 22 juin 2025. Nous rendrons hommage nous aussi à Cézanne. Il y aura notamment une conférence et un spectacle sur l’amitié avec Emile Zola,…
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Avec « Samson » composé par Jean-Philippe Rameau, le tragique et le sulfureux est à redécouvrir ?
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« Samson » avait été écrit par Voltaire mais la majorité des textes a été perdue. Avec ce qui est resté et d’autres écrits, le chef d’orchestre Raphaël Pichon et le metteur en scène Claus Guth ont réalisé un opéra en 2024 avec la musique de Jean-Philippe Rameau. « Samson » est un spectacle fantastique. J’incarne la mère du colosse juif. Elle raconte l’histoire en prose. Ce fut pour moi une grande joie de jouer cet opéra sur la scène du Festival d’Aix-en-Provence, au Palais de l’Archevêché. Après l’Opéra comique de Paris, j’espère que nous pourrons jouer « Samson » dans le reste de l’Europe.
Mon rêve d’opéra avait déjà existé avec les films « L’Incorrigible » avec Jean-Paul Belmondo et « Le Fantôme de l’Opéra ». Au théâtre, j’ai pu le faire au TNP avec « La Princesse Turandot ». J’étais entourée de nains et lilliputiens et j’étais installée à deux mètres de haut. L’après-midi, nous jouions pour les enfants. L’ambiance était incroyable. Le soir, la salle était très silencieuse car l’ambiance était intellectuelle.
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Quels sont vos projets ?
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Je suis à l’affiche du film « Le Choix du pianiste » (2025). J’y parle un peu russe et yiddish. J’aimerais me remettre dans des projets barjos. J’ai toujours aimé la folie.
L’été prochain, je jouerai une actrice dans une comédie de boulevard, « Amours, gloire et secrets » au Théâtre de Passy.