« Le genre épistolaire est à la fois spectaculaire et intime, et, comme au music-hall, j’y fais se succéder avec irrévérence le tragique et le burlesque, ce qui est depuis toujours mon terrain de jeux préféré. » Patrick Chesnais
Au théâtre Lucernaire de Paris jusqu’au 10 novembre, Patrick Chesnais déploie avec verve et humour (décapant) toutes les variations de l’art de s’excuser. Ou pas. L’acteur s’adresse à ses proches, ses amis, mais aussi à des institutions, à des lieux et même à la vie. Des personnalités telles que Delphine Seyrig, Mathilda May, Jean-Pierre Marielle ou encore Naomi Watts sont racontées.
Entretien avec Patrick Chesnais, infatigable conteur.
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Votre fille, Emilie, met en scène la pièce, la première personne qui est citée c’est votre fils, Ferdinand. Vous parlez également de votre mère, de Mémé la Garenne, de votre épouse Josiane et enfin de votre petit-fils, Eliott. « Les Lettres d’excuses » sont-elles aussi des lettres d’amour ?
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L’idée initiale de mon éditeur était que j’écrive des lettres à des personnes que j’aimais. Au fil du temps, j’ai pensé que l’exercice était plus intéressant avec des excuses. Par les disgressions et autres envolées, les écrits se transformant finalement en lettres d’amour. Certains passages du livre ne mentionnent même pas d’excuses.
Cependant, je me repends en direction des personnes que j’ai aimées et que j’aime toujours. La pièce de théâtre ne reprend qu’une partie des textes que j’avais écrits, je me mets ainsi en scène.
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Vous écrivez également à celles et à ceux que vous avez pu blesser. Est-ce une façon d’avouer que dans la vie on peut être maladroit voire cruel ?
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En effet, on peut développer une certaine de forme de cruauté sans en avoir conscience. Cela se génère avec un manque d’inattention ou par égoïsme.
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La scène, avec le rire du public, est-elle le lieu du réconfort ?
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Une représentation où les spectateurs ne rient pas est pour moi un échec. Dans « Les Lettres d’excuses », je prends certes à témoin le public mais je fais également en sorte qu’il se sente concerné. Mes témoignages peuvent faire écho à ce que les spectateurs ont pu aussi vivre ou ressentir. L’épisode de Mémé la Garenne avec son placement en maison de retraite parle à un certain nombre de personnes.
J’ai toujours aimé faire rire sur scène même avec des sujets graves. Pour « Les Lettres d’excuses », j’ai notamment joué lors du Festival d’Avignon. Ce fut une ambiance unique. Je sentais le public ravi d’être là. Les rires étaient fréquents et à chaque séquence j’étais applaudi. Le public à Paris est différent. Dans toute représentation théâtrale, il y a une interaction. La salle du théâtre Lucernaire est petite, cela facilite le dialogue avec les spectateurs. Pendant plus plus d’une heure, on respire ensemble.
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Les excuses peuvent-elles être utilisées pour dire que finalement nous n’avons pas tout à fait tort ?
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En effet. Il s’agit d’une construction sémantique afin de rentrer dans le lard et de rire sur ce qui est dramatique. L’excuse est dans certains cas une litote de la politesse.
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Vous racontez la mésaventure avec Mathilda May. Vous a-t-elle finalement pardonné votre erreur ?
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Bien entendu. Il n’y a pas eu mort d’homme non plus. J’ai oublié de revenir sur scène. Mathilda a dû attendre seule sur scène pendant un certain laps de temps. Ce fut un fait de jeu comme on dit dans le sport. Aujourd’hui, cette histoire fait rire le public.
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Avez-vous eu parfois la tentation de vous excuser d’avoir joué dans un mauvais film ou dans une mauvaise pièce ?
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Je devrais surtout m’excuser auprès de moi-même alors… C’est plus rare au théâtre. Mais il est vrai que l’on peut se tromper. Un film peut au départ être un beau projet et au final cela devient un ratage complet. On peut toujours trouver toutes les excuses du monde – même s’excuser de ne pas avoir d’excuses.
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Avez-vous réussi à accepter les excuses d’autrui ?
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C’est un exercice laborieux. Il faut une certaine force et un sacré équilibre pour excuser. Le fait de faire son mea culpa permet un rapprochement avec l’autre. C’est un début de connexion.
Il m’est arrivé de m’excuser et d’excuser.
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Vous avez fait la voix de Willem Dafoe pour la version française du film « At Eternity’s Gate » (2018). Pour interpréter Vincent Van Gogh, avez-vous dû être miséricordieux ?
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Il n’est pas non plus le personnage qui s’est sans cesse excuser. « At Eternity’s Gate » a été réalisé par Julian Schnabel. C’est un ami. J’ai joué dans le film mais la production souhaitait sortir un long métrage plus court, mes séquences ont été coupées au montage. Schnabel m’a alors demandé si je voulais doubler Willem Dafoe pour la version française.
A la fin des séances d’enregistrement, Julian m’a fait un très beau compliment. Il m’a dit qu’avec ma voix, je n’avais pas été Willem Dafoe mais Van Gogh.
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A la fin de la représentation des « Lettres d’excuses », vous avez récité la fable de La Fontaine, « Le Loup et l’Agneau ». Est-ce le cas à chaque fois ?
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Je récitais cette fable à mon fils lorsqu’il était enfant. Pour les premières représentations des « Lettres d’excuses », je ne le faisais pas. Ma fille, Emilie, a suggéré de réciter « Le Loup et l’Agneau ». Cependant, je ne le fais ni le vendredi ni le samedi car il y a un spectacle sur la même scène juste après. Le décor doit être changé. Je vous conseille donc de venir voir « Les Lettres d’excuses » tous les jours sauf le vendredi et le samedi (rires).
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« Les Lettres d’excuses » traite également d’une jeunesse éteinte – celle de votre fils, de cette jeune suicidée Juliette mais aussi de Guillaume Depardieu.
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C’est vrai. Je parle également de ma vieillesse tout en pensant que je suis toujours jeune. Même quand j’avais une cinquantaine d’années, on disait que j’étais un éternel adolescent.
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Après les excuses, que voulez-vous faire ?
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Je termine justement l’écriture d’un roman intitulé « Eleanor » sur un homme-enfant. Ce sera une histoire d’amour. Le livre sortira l’année prochaine.
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Photo de couverture : © Captavideo