Saga BD incontournable depuis 2021, Madeleine, résistante a eu un rendez-vous particulier cette année. Le tome 3, « Les Nouilles à la tomate » (Editions Dupuis), est sorti le 23 août dernier, soit 80 ans jour pour jour après la capture d’un train allemand arrivant aux Buttes-Chaumont (Paris) par le groupe de résistants mené par Madeleine Riffaud (nom de code Rainer). Le 23 août 2024 c’était aussi les 100 ans de cette incroyable combattante (résistante, poète, écrivaine, reporter de guerre,…).

Après « La Rose dégoupillée », « L’Edredon rouge » (2023), « Les Nouilles à la tomate » est un incroyable album qui narre les tortures subies par Madeleine mais aussi le début de la Libération de Paris.

Après l’entretien avec Mme. Riffaud, le portrait de JD Morvan, voici une rencontre avec le scénariste JD Morvan et le dessinateur Dominique Bertail au Musée de la Libération de Paris.
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Comment avez-vous réussi à convaincre Madeleine Riffaud de réaliser une bande dessinée sur sa vie ?

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JD Morvan : Je l’ai appelée pour lui parler du projet. Sa réponse a été sèche et immédiate : la bande dessinée c’est un truc pour les gosses. Connaissant à présent Madeleine, je sais qu’elle s’adresse à tous comme cela. Nous avons tout de même convenu de nous rappeler la semaine d’après. Je n’ai pas osé puis après 15 jours j’ai trouvé le courage. Madeleine m’a dit qu’elle attendait mon appel. Elle avait parlé de mon projet à son ami réalisateur Jorge Amat. Il l’avait disputé. Jorge considérait que la bande dessinée est un média formidable afin d’atteindre un nouveau public.

Madeleine a finalement accepté l’idée. Je suis venu la voir très souvent dans son appartement à Paris et nous avons commencé à travailler ensemble à partir de 2017.

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Comment avez-vous persuadé Dominique Bertail de rejoindre le projet ?

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JD Morvan : Je savais qu’il était très occupé mais j’ai élaboré un plan pour qu’il ne puisse pas me dire non. J’ai proposé à Dominique de rencontrer Madeleine. Face à une telle personnalité, il a voulu dessiner sa vie.

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La couleur bleue qui envahit tous les albums a-t-elle été une évidence ?

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Dominique Bertail : Pour moi en tout cas. La mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale est très souvent en noir & blanc. Le bleu fait écho à cela mais apporte tout de même une certaine luminosité. Le cinéma des années 40 m’a également inspiré.

Il aurait également été compliqué de représenter août 1944 avec des couleurs vives. Même si ce fut un été radieux, l’ambiance était grave. Le tome 3, avec son flot de violences et de sang, ne pouvait qu’avoir une couleur froide.

Pour la sortie des « Nouilles à la tomate », le magazine Casemate m’avait demandé une couverture colorée.  Cette image montre que les couleurs y apportent beaucoup de violence. Le bleu calme cet aspect.

JD Morvan : Avec les sorties successives des tomes, nous associons à présent le bleu à Madeleine.

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Pour vous, Madeleine Riffaud est à la fois un personnage historique et quelqu’un que vous côtoyez. Quel caractère avez-vous transposé dans la Madeleine Riffaud âgée de 20 ans ?

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JD Morvan : Dans le titre même : Madeleine Résistante. Même à 100 ans, elle reste une résistante. C’est son trait de caractère principal. Face à tous les événements, Madeleine réagit plutôt qu’elle ne subit.

Dominique Bertail : Pour dessiner Madeleine, je me suis inspiré certes des photos d’époque mais la vraie référence fut le portrait réalisé par Pablo Picasso après la guerre pour son livre de poésies. Cette image capte la personnalité de Madeleine.

J’ai voulu ajouter une petite étincelle de vie avec les gestuelles et les regards de la Madeleine d’aujourd’hui. Je l’ai beaucoup observée.

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Qui a eu les idées des différents titres ?

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JD Morvan : J’ai trouvé le premier titre, « La Rose dégoupillée ». Madeleine a eu l’idée du deuxième, « L’édredon rouge ». « Les Nouilles à la tomate » a été trouvé par Eloïse de La Maison qui s’occupe de nos archives. J’avais pensé à La Petite ceinture comme titre. C’était énigmatique jusqu’à la fin de l’album. Puis, j’ai préféré « Les Nouilles à la tomate » car le plat représente la liberté pour Madeleine. C’est le premier mets qu’elle mange à la sortie de la maison des morts.

Le quatrième album s’appellera « L’Ange exterminateur ».
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Quelle fut la recherche la plus émouvante ?

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JD Morvan : Venir dans le village natal de Madeleine, Folies en Picardie. Nous avons pu voir la tombe de ses parents et de ses grands-parents. 

Les recherches ont également été émouvantes pour Madeleine puisqu’au fur et à mesure, nous avons retrouvé la trace de personnes disparues. La famille de l’amoureux de Madeleine, Marcel, au sanatorium nous a contactés. Cela nous a permis de récupérer des lettres, des cartes postales et des photos.

Nous avons également retrouvé le nom du cheminot qui est intervenu lors de l’attaque du train le 23 août 1944, il y a 80 ans. Depuis toutes ces années, Madeleine avait comme souvenir le nom de Jarreau. Au début des années 70, en rentrant du Vietnam, elle a tenté de le retrouver mais ce fut impossible. Il y a peu de temps, suite à une émission de radio, une famille nous a contactés. Car l’histoire que racontait Madeleine ressemblait fortement à celle que le grand-père disait. Le cheminot ne s’appelait pas M. Jarreau mais Cyrille Calvez. Il a quitté Paris dans les années 70 pour retournez dans sa Bretagne natale.

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Les scènes de torture ont-elles été difficiles à retranscrire ?

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JD Morvan : Ce fut un exercice pénible avant tout pour Madeleine. Quand elle raconte un événement, elle le revit. Au bout de plusieurs mois, Madeleine me demandait d’ailleurs de la « sortir de la rue des Saussaies » où avaient lieu les tortures.  

En ce qui me concerne, ce fut moindre. J’ai toujours besoin de garder une certaine distance afin de pouvoir bien raconter les faits. J’ai également pris la décision de ne pas décrire certaines scènes. Elles seront peut-être un jour rajoutées sous la forme de flash-backs. Il y a notamment cette scène où des soldats allemands organisent une soirée le soir des tortures. Madeleine est lavée et habillée dans le but d’être violée. Elle m’a raconté qu’elle entendait du Wagner au loin. Une femme a conseillé Madeleine de prétendre qu’elle était juive afin que les Allemands abandonnent cet horrible projet.

Dominique Bertail : Ce fut éprouvant pour moi car c’est difficile de dessiner des sévices sur un personnage que vous aimez. Il n’y a pas eu de pause car nous nous étions promis de sortir « Les Nouilles à la tomate » à l’anniversaire des 100 ans de Madeleine. Je l’ai dessiné en 7 mois soit deux fois plus vite que d’habitude.

Heureusement, le tome 3 comporte des scènes de l’insurrection. Ce fut agréable de dessiner la Libération. Je m’investis sur chaque page.

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La scène de la souris est-elle à part ?

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Dominique Bertail : Il y a un côté Disney. J’aime ce côté burlesque animalier au milieu de scènes extrêmement difficiles. Il fallait une certaine respiration.

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Y’a-t-il eu une certaine appréhension à retranscrire définitivement l’attaque du train du 23 août 1944 ?

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Dominique Bertail : J’avais dessiné la scène il y a des années. Depuis, j’ai appris plein de choses. Il a fallu revenir sur les lieux plusieurs fois. Ce fut donc un vrai plaisir de la redessiner.

JD Morvan : La difficulté fut de représenter les lieux tels qu’ils étaient à l’époque comme la passerelle où Madeleine et ses hommes attendaient le train. Celle-ci a été détruite dans les années 60. Nous avons pensé que l’attaque avait donc eu lieu à un endroit différent. Le train devait par conséquent arrivé dans une autre direction. Madeleine a maintenu sa position. Elle avait raison car nous avons retrouvé une carte postale de l’époque. Madeleine ne se trompe jamais (rires).

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Exposition des dessins de Dominique Bertail à la Galerie Barbier de Paris jusqu’au 02 novembre 2024 : Dominique Bertail – Galerie Barbier

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