Chef de cabinet de François Mitterrand, député, conseiller général, maire, ministre, Jean Glavany a été de tous les combats (socialistes).

La victoire de la gauche en 1981, la cohabitation en 1986, la crise de la vache folle, le second tour des élections présidentielles de 2002,… Il a été le témoin mais aussi l’acteur de ces événements historiques. Encore de nos jours, Jean Glavany reste une personnalité « connectée » avec ses cours à Sciences Po Paris et en tant que membre du conseil d’administration de l’Institut du Cerveau. Le jeune retraité de la politique garde en effet un regard pertinent sur le passé, l’actualité mais aussi l’avenir.

Entretien avec Jean Glavany.

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Votre père, Roland Glavany, est héros de guerre (campagne de l’île d’Elbe, libération de la Corse et de la Provence). Il est également le premier aviateur en Europe à franchir Mach 2. La gloire (les actions) du père vous a-t-elle donné l’envie de vous investir et de plonger dans la sphère politique ?

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Je ne le pense pas. Adolescent, je souhaitais être pilote comme mon père. Après le baccalauréat en 1968, j’ai voulu intégrer l’école de l’Air. Pour cette raison, avec un ami, je devais aller dans une prépa à Grenoble. Mon père a eu le bon réflexe : Il nous a demandé de faire un test médical réservé aux pilotes d’essai au Ministère de l’Air. Pendant deux jours, j’ai suivi le parcours demandé. Dans des centrifugeuses, nous devions étudier notre résistance au jet. Etant tous deux joueurs de rugby, réussir ce test fut presque un jeu d’enfant. Le dernier était ophtalmologique. On a repéré une blessure à la rétine. Pour cette raison, je n’ai jamais été accepté comme pilote.

Je n’avais donc plus de projets professionnels. Abasourdi, j’ai suivi des études de sciences économiques puis de sciences politiques. Ce n’est qu’en 1973 que j’ai eu envie de m’engager dans le monde politique. Ancien de la France libre, mon père était Chrétien, Gaulliste de gauche. Cela a pu m’influencer mais nous ne parlions pas de politique dans la famille.

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Est-ce Raymond Barre qui vous donne envie de devenir socialiste ?

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A ma dernière année à Sciences po, j’avais comme maître de conférences, Philippe Brogniart. Il était également conseiller du Premier ministre Raymond Barre et cherchait des chargés d’études à la Direction de la construction. Etant spécialisé dans l’aménagement du territoire et l’économie du logement, je me suis retrouvé en 1974 à travailler pour le Ministère du logement. Raymond Barre tentait alors de faire voter sa réforme des financements des logements. Il était ironique de travailler pendant la journée pour le gouvernement sur la réforme et le soir, je la défaisais dans des réunions politiques (étant militant au parti socialiste depuis l’année précédente). Je ne suis pas resté longtemps dans cette position car l’année suivante, pour la première fois, les parlementaires ont obtenu le droit d’avoir des assistants. Le groupe socialiste était présidé par Gaston Deferre. Il a été demandé aux maires ou présidents de régions de fournir des assistants parlementaires. J’ai été candidat pour les questions de logement, d’aménagement du territoire et du sport et des loisirs et me suis trouvé face à un jury composé de Pierre Joxe, d’André Chandernagor et de Jacques-Antoine Gau. J’ai alors été embauché. J’apprends le métier d’assistant parlementaire mais aussi la vie à l’Assemblée nationale. Je me suis alors passionné pour le travail parlementaire.

En parallèle, je deviens secrétaire de section socialiste à Issy-les-Moulineaux. En 1979, je deviens candidat aux cantonales et demande au Premier secrétaire du PS, François Mitterrand, de venir me soutenir. Je l’accueille au métro Corentin Celton et fait un discours devant des centaines de personnes. J’ai appris plus tard que le lendemain matin Mitterrand demande à Joxe et à Lionel Jospin de me recruter comme son proche collaborateur.

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Vous devenez le collaborateur de François Mitterrand, alors Premier secrétaire du Parti socialiste. Vous l’accompagnez dans la Nièvre, durant les fêtes de la Rose. Avec son charisme, son calme, ses réflexions, était-il président avant d’être Président de la République ?

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Etant déjà Président du Conseil général de la Nièvre, beaucoup l’appelait <<Président ». Je crois me souvenir que je l’ai nommé ainsi seulement à sa victoire aux élections de 1981. François Mitterrand, ayant déjà de la hauteur de vue et de la sagesse, n’a pas changé lorsqu’il est devenu Président de la République.

Personne ne l’avait tutoyé au Parti socialiste à l’exception de Georges Dayan – son ami le plus proche.

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Dans son cercle le plus proche (Roger Hanin, Jack Lang, Roland Dumas, Michel Charasse,…), François Mitterrand arrivait-il à se détendre ?

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Roger Hanin, Maurice Faure et Michel Charasse le faisaient rire aux éclats. Même lors de déjeuners d’amis, François Mitterrand était particulièrement détendu.

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Lors de la campagne de 1981, le candidat François Mitterrand vous demande de rencontrer Coluche. Quels furent vos échanges avec ce dernier ?

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Coluche avait annoncé sa candidature. Mitterrand me demande alors de le rencontrer afin d’en savoir plus sur ses projets. Je me rends avec un autre membre de l’équipe dans la résidence parisienne de Coluche. Il nous reçoit avec un visage sombre et ramène de son bureau une enveloppe anonyme. A l’intérieur, il y a une balle de revolver et un message écrit (« La prochaine elle est pour toi ! »). Coluche nous explique que la campagne électorale était pour lui un gag. Face aux menaces, il a alors pris la décision d’arrêter.

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Élu en 1981, vous devenez chef de cabinet à l’Élysée. Le premier jour, une cérémonie est organisée au Panthéon. La peine de mort est abolie, la cour de la sureté de l’État est supprimée. 1981 a-t-il été une révolution ?

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Je dirais plutôt une rupture. Le bouillonnement démocratique et parlementaire a laissé une trace profonde dans la société française. La première équipe de l’Elysée était jeune et militante. Pierre Bérégovoy est nommé Secrétaire général, titre pourtant réservé aux énarques, alors qu’il n’avait que deux CAP.

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La première cohabitation a-t-elle été un choc au sein même du fonctionnement de l’Élysée ?

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Nous étions préparés psychologiquement à une défaite. A l’exception du 22 mai 1981, François Mitterrand ne réunissait jamais l’ensemble de son équipe dans son bureau. Il n’aimait pas la « réunionite » et considérait qu’un cabinet dans son ensemble n’existait pas.

En 1986, un mois avant les élections législatives, François Mitterrand demande à une dizaine d’entre nous de venir le retrouver à Puy-Guillaume où Michel Charasse était maire. Il présente alors les différentes options face à une cohabitation et nous demande d’être préparés à tout. 

Avec la nomination d’un gouvernement de droite, les coups de téléphone avec les différents ministères se sont considérablement réduits. Nous n’avions plus affaire à des copains.  De plus, Chirac et Mitterrand avaient convenu que les relations entre Matignon et l’Elysée devaient se limiter au directeur de cabinet du premier et le Secrétaire général du Président.

Ce fut l’une des périodes les plus passionnantes du septennat du Président. Nous apprenions chaque jour un nouvel article de la Constitution. Je me suis passionné pour cela avec mes étudiants de Sciences po. De plus, Mitterrand était maître du jeu face au gouvernement Chirac. Je me souviens d’une scène ahurissante lors d’une cérémonie de décorations à l’Elysée. Jacques Chirac vient parler à Mitterrand. Au moment où le Premier ministre prend congé, le Président le rappelle et Chirac répond : « Oui mon géné… Monsieur le Président ! »…  Comme durant une partie d’échecs, Mitterrand l’avait sous son emprise psychologique. Malgré les différends idéologiques, de nombreux membres du gouvernement de droite avaient beaucoup d’estime pour le Président de la République. Lors de la cohabitation, Mitterrand n’a jamais faibli. 

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Vous avez été l’organisateur des Jeux Olympiques d’Hiver d’Albertville de 1992. Les JO sont-ils encore de nos jours un bel événement ?

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Avant mars 1986, François Mitterrand me propose d’être nommé Préfet en mission de service public tout en restant son chef de cabinet. C’est une tradition (qui existe encore de nos jours) de nommer un préfet chef de cabinet à l’Elysée. Je refuse l’offre car les journaux de droite comme le Figaro observaient des prises de fonction dans l’administration par des membres de l’équipe. Ils ironisaient sur le fait que nous partions avant une possible cohabitation. Mitterrand me rassure en déclarant que c’est juste de la polémique et me conseille de réfléchir à sa proposition. Je refuse à nouveau en disant que je préférerais même devenir gardien à Latche, dans sa résidence des Landes. Le Président n’a pas apprécié cette remarque (rires).

Trois mois après la victoire de Chirac aux élections législatives, un ancien flic est nommé préfet. Mitterrand conditionne une telle nomination si Jean Glavany accepte à son tour un tel poste. Je n’ai pas pu refuser car les élections étaient passées. Ce n’est qu’en 1988 que j’ai eu la mission de m’occuper des Jeux Olympiques d’Hiver. Je venais de perdre d’une courte tête lors d’une élection dans les Hautes Pyrénées.

J’ai choisi de m’occuper des JO car j’aimais le sport et la montagne. J’étais habitué à gérer des dossiers sportifs à l’Elysée et j’étais invité aux différents Jeux Olympiques des années 80 avec Philippe Séguin. Albertville m’a donné également plus de liberté n’étant plus le chef de cabinet de François Mitterrand.

Un tel événement reste une grande fête. L’exemple des Jeux Olympiques de 2024 de Paris donne un coup de fouet aux transports urbains. Cependant, je ne suis pas certain que les coûts de plus en plus importants et l’impact environnemental ne vont pas rendre les candidatures de pays de plus en plus rares. Le prix des places montre aussi que les JO deviennent un événement de luxe.

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En 1998, vous êtes nommé Ministre de l’Agriculture et de la Pêche dans le gouvernement de Lionel Jospin. Vous aviez déjà été Secrétaire d’État. L’année suivante, la France refuse de lever l’embargo contrairement à la décision de la Commission européenne. Le débat s’organise autour du principe de précaution. Le président Chirac demandera au gouvernement socialiste l’interdiction des farines animales. La gestion de crise ne vous fait pas peur ?

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Non seulement cela ne m’a pas fait peur mais j’ai trouvé cela passionnant. Seules les choses difficiles sont intéressantes. J’ai passé des nuits blanches à Paris et à Bruxelles avec le dossier de la vache folle. J’étais de plus épaulé par le Premier ministre Lionel Jospin et le reste du gouvernement.

Depuis ses fonctions de ministre de l’Agriculture, Jacques Chirac était resté attaché à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole). Lors de la crise de la vache folle, il a été mis au courant que nous allions interdire les farines animales. Il a par conséquent profité pour la demander avant que nous puissions l’annoncer.

La crise de la vache folle fut un moment très dur.

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Vous devenez directeur de campagne du candidat Lionel Jospin aux élections présidentielles de 2002. Jean-Marie Le Pen accède au second tour face à Jacques Chirac. Les résultats furent un vrai choc ?

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Oui. Durant cette campagne électorale, nous avions l’impression que tout était contre nous. La gauche était éclatée avec une multitude de candidats. Noël Mamère refusait d’entendre parler du « vote utile ». Même au sein de l’équipe de campagne, il y avait peu d’unité. Lionel Jospin était entouré de conseillers ministériels – cela rendait son discours trop technocrate. Lorsqu’une mère lui tendait son enfant, Lionel refusait de le prendre dans ses bras pour ne pas l’instrumentaliser. Il lui manquait finalement de la chaleur humaine.

De plus, Jospin se préparait trop au débat de l’entre-deux-tours. Tout au long de la cohabitation, Chirac lui avait sans cesse menti. Jospin voulait prendre sa revanche et délaissait le premier tour. Nous avons échoué à une centaine de milliers de voix.

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En 2013, vous êtes député pendant les débats du mariage pour tous. Christiane Taubira, Garde des Sceaux, subit des insultes racistes. Vous prenez la parole dans l’hémicycle afin de déclarer que « c’est la République qu’on assassine ». Les moments de concorde républicaine peuvent-ils toujours exister ?

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Lors d’une manifestation à Angers, une petite fille de 6 ans a tendu une banane à Christiane Taubira et l’a traitée de « guenon ». Face à la polémique, Bruno Le Roux, Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, me demande de poser une question solennelle dans l’hémicycle. Le silence règne alors et autour de moi, les députés se mettent debout et applaudissent. Ce fut un moment émouvant. Malgré les désaccords et les tensions, il y a parfois des moments de concorde au sein du Parlement. C’est de plus en plus rare avec notamment l’influence des réseaux sociaux (que j’appelle asociaux).    

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En 2001, votre fils, Mathieu, pose en tant que rugbyman pour le calendrier des Dieux du stade. Est-ce que ce fut gênant d’être le père du fils ?

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Pas du tout. J’adore mes fils et le rugby. Cela m’a surtout fait rire.

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Nous vivons une ère de succession de crises (écologique, sanitaire, sociale, tensions internationales,…). Arriverons-nous à en survivre ?

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Malgré la pandémie, la crise économique et climatique et les guerres, l’angoisse sociale qui règne actuellement en France, je suis un indécrottable optimiste. Nous arriverons toujours à surmonter les épreuves. Je reste tout de même inquiet concernant les prochaines élections présidentielles. Le pire pourrait arriver au pouvoir. Restons mobilisés.

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© Brieuc CUDENNEC

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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC

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