« La bêtise est infiniment plus fascinante que l’intelligence, infiniment plus profonde. L’intelligence a des limites – la bêtise n’en a pas. » déclarait le cinéaste Claude Chabrol. Sans demander l’avis d’un archéologue (voire d’un paléontologue), on peut se douter que la bêtise accompagne les femmes et les hommes depuis la nuit des temps. Compagnon fidèle (et bien souvent traitresse), elle est bien souvent la coupable de désastres historiques, de tragédies mais aussi de blagues monumentales.

La bêtise doit être disséquée avec des pincettes. François Rollin, célèbre professeur d’humour, a tenté l’expérience avec « Le Dictionnaire amoureux de la bêtise« .

De A à Z, les mots et les personnages s’enchaînent. La bêtise méritait bien un dico – Un entretien avec François Rollin aussi.

.
.
.
.

Au lieu de l’affronter comme vous l’aviez fait auparavant dans le livre « Suis-je bête ? L’héroïque Professeur Rollin foudroie la bêtise avec ruse et modestie » (2020), vous avez décidé de l’encenser avec « Le Dictionnaire amoureux de la bêtise » ?

.
.
.
.

Je ne dirais pas encenser. J’examine de près la bêtise. Je la côtoie, je la visite et je la dissèque. Je ne suis pas amoureux de la bêtise mais c’est jubilatoire de pouvoir l’observer. Ceux qui sont vraiment bêtes ne le savent pas et ne le comprennent pas. Tel un écolier, il est parfois amusant d’observer la bêtise s’exprimer.

.
.
.
.

La bêtise peut-elle être dangereuse ?

.
.
.
.

Oui elle peut l’être et d’une façon constante. Je trouve certes des excuses à ceux qui sont habités par la bêtise – mais ils ne le font pas exprès ! Et ainsi, sans bêtise il n’y a pas de guerre. L’intelligence nous permet d’éviter les conflits. Bornée, intolérante, bestiale, la bêtise provoque les violences.

.
.
.
.

Malgré le fait qu’il s’agisse d’un dictionnaire, exercice souvent difficile et froid, le livre est « amoureux ». Est-ce que ce fut un travail personnel (vous faites une série d’hommages à certaines personnalités) ?

.
.
.
.

La très belle collection des Dictionnaires amoureux permet un tel exercice. Contrairement à un dictionnaire commun, vous n’avez pas besoin d’être totalement exhaustif comme un encyclopédiste. Non – vous devez traiter autant le sujet que votre vécu. Pour son Dictionnaire amoureux, Francis Huster parle autant de lui que de Molière par exemple. L’éditeur insiste sur le fait que le livre vous ressemble qu’importe si vous deviez vous écarter de votre sujet. J’ai lu « Le Dictionnaire amoureux de l’Inutile » et j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver le style et la personnalité de François Morel.

.
.
.
.

Vous retranscrivez les propos de Georges Brassens ou Francis Blanche mais également ceux de personnalités qui vous ont écrit tels que Roselyne Bachelot, Jean-Marie Gourio, Benjamin Castaldi ou encore Philippe Gelluck. Vouliez-vous réalisez un ouvrage collectif ?

.
.
.
.

J’avais déjà participé à un ouvrage collectif, « Pierre Desproges est vivant » (2008). L’idée du « Dictionnaire amoureux de la bêtise » était de traiter du sujet mais également de ma vie. Je n’ai jamais eu envie de faire un métier de solitaire. J’ai besoin de compagnie auprès de moi. Avec une espèce de légèreté, des amis m’ont écrit un texte. C’était très réconfortant qu’ils me répondent positivement. Leurs écrits étaient pour moi un véritable cadeau.    

.
.
.
.

Votre Dictionnaire amoureux se détache des autres de la collection avec les dessins plus ou moins fantaisistes. Comment ont-ils été réalisés ?

.
.
.
.

Les dessins ont été réalisés par une artiste graphiste et plasticienne, Catherine Pomper – qui est également ma sœur. Nous avons pris la décision qu’elle les exécute les yeux bandés. Les dessins se révèlent maladroits. L’exercice se justifiait par sa bêtise – par conséquent adapté au sujet du livre.

Je dois avouer que j’étais un peu inquiet par la réaction de l’éditeur mais en fait cela l’a beaucoup amusé.

.
.
.
.

.
.
.
.

Les animaux sont très présents dans votre dictionnaire. Les bêtes sont-elles finalement pas si bêtes que cela ?

.
.
.
.

L’écrivain Jules Renard déclarait : « Bêtise humaine. ‘Humaine’ est de trop : Il n’y a que les hommes qui soient bêtes ».  Les animaux ne sont ni bêtes ni méchantes. Mon père souvent me répétait que je n’avais rien à craindre d’eux. Le renard qui croque le mulot ne le fait pas par méchanceté mais pas nécessité de se nourrir. La bête ne connaît pas de bêtise car il n’y a pas de raisonnement à proprement parler. Elle a cette chance de ne pas être victime de tout le tourbillon de mauvaises pensées et actions qui entoure les hommes et les femmes.

Quel bonheur d’observer les bêtes qui sont des êtres purs. Elles nous font parfois regretter le fait que nous soyons devenus sapiens.

.
.
.
.

Bien que vous ayez le titre de professeur, vous n’avez pas écrit sur un autre de vos collègues, le professeur Choron – cofondateur d’un journal bête et méchant – Hara-Kiri…

.
.
.
.

J’ai écrit un article sur Hara-Kiri et j’ai rappelé que Choron en était le fondateur. Il s’agissait d’un humaniste original mais ne dénonçait pas autant la bêtise que Frédéric Dard par exemple. C’était avant tout un provocateur agité pour faire bouger des choses. Choron a eu une vie difficile et fut tellement décrié. Face aux critiques bêtes, il a eu un parcours courageux. Certains d’entre nous endossent les habits du diable pour mieux le dénoncer. Choron a eu cette vertu.

.
.
.
.


Vous aviez auparavant travaillé avec Tignous. Il a été victime de la bêtise humaine puisqu’il a été assassiné le 7 janvier 2015 lors de l’attaque terroriste dans les locaux de Charlie Hebdo. C’était un dessinateur qui ne pratiquait que l’humour léger. Ce dernier doit-il être protégé ?

.
.
.
.

Avec Tignous, nous avions inventé la série des Pandas dans la brume. La bible que nous avions élaborée était, malgré le danger d’extinction, que ces animaux devaient rester idiots. Tignous dénonçait très gentiment la bêtise. Il était doux comme un agneau. Son seul ennemi était la bêtise. Tignous a été sa victime. J’aurais pu intégrer un article sur mon ami dans « Le Dictionnaire amoureux de la bêtise ».

.
.
.
.

.
.
.
.

Vous rappelez les différents mots qui définissent la bêtise en anglais, en russe ou en allemand. La bêtise est-elle internationale ?

.
.
.
.

Absolument. Selon les civilisations et les pays, vous pouvez remarquer des degrés divers de la bêtise. Elle existe partout même au plus profond de l’Amazonie. On ne peut imaginer un monde sans bêtise. Cependant, il faut veiller à ce qu’elle fasse le moins de souffrance possible.

.
.
.
.

L’humour sauve-t-il la bêtise ?

.
.
.

.

Oui car il est son contraire. L’humour a toujours un regard décalé. La bêtise, quant à elle, a toujours le nez sur son objet car elle ne raisonne pas. L’humour fait appel à l’intelligence pour mieux s’en sortir. Si vous affrontez la bêtise frontalement, vous risquez de la renforcer. Il faut l’aborder en douceur. L’humour est une arme parfaite pour dénoncer la bêtise. Je pense sincèrement qu’il y a toujours quelque chose à faire pour nous sortir de la bêtise. On peut ne plus être bête.

Victor Hugo a toujours eu l’intention de corriger les erreurs et la bêtise de la société.

.
.
.
.

En tant qu’acteur, vous avez su incarner des personnages victimes de la bêtise que ce soit dans les séries « Merci Bernard », « Palace » ou plus récemment dans « Kaamelott ». Y’a-t-il un plaisir coupable de jouer l’idiot ou le prétentieux ?

.
.
.
.

Lorsque le comédien joue cela veut dire qu’il s’amuse. Ce n’est pas vraiment un plaisir d’incarner un personnage qui vous ressemble. Vous pouvez vous retrouver avec vous-même – ce n’est pas distrayant. Il est beaucoup plus amusant de jouer des mauvais ou des tordus. Cependant, je n’ai pas demandé à Alexandre Astier de jouer un conspirateur pervers. Il a probablement discerné en moi une telle nature… (rires).

.
.
.
.

Quelle a été votre plus grosse bêtise ?

.
.
.
.

(Longue réflexion) Au cours de ma vie, j’ai dû faire de nombreuses idioties. J’espère qu’elles sont tout de même petites. J’ai pu dire des choses et les regretter ensuite. L’inculture nous fait dire des bêtises. Lors de l’émission des Grosses têtes, j’ai pu me tromper sur le siècle où vivait une personnalité par exemple. Votre erreur peut beaucoup vous embarrasser.

J’ai dû faire de plus grosses bêtises mais c’est dramatique car elles provoquent beaucoup de peine à autrui. Il est difficile d’analyser sa propre bêtise.   

La plus grande bêtise serait de prétendre de ne pas en avoir fait.

.
.
.
.

.
.

Photo de François Rollin : © Brieuc CUDENNEC

PARTAGER