Par son dessin unique, par ses histoires menées par une touchante poésie et par ses messages pacifistes, André Franquin est encore de nos jours un dessinateur adoré et étudié de près. Spirou & Fantasio, Gaston Lagaffe, Idées noires ou encore la merveilleuse créature marsupilami, tous ces personnages et univers BD ont été magnifiés par la fantaisie de Franquin.

Grand passionné d’art, Numa Sadoul a su convaincre en 1985 l’artiste belge de réaliser un livre d’entretiens. Les échanges sont à la fois intimes et intimistes. 40 ans après la première édition, l’ouvrage reste toujours aussi précieux. Bonne nouvelle, cet instantané, cette étude minutieuse de la bande dessinée a cette année une réédition.

Entretien avec Numa Sadoul à propos de cet artiste qu’était Franquin.

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Vous êtes écrivain, poète, scénariste de bandes dessinées, comédien, metteur en scène de théâtre et d’opéra. D’où viennent toutes ces passions ?

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Malgré mon âge, je suis toujours infatigable. Au fil de mes entretiens, j’ai toujours voulu puiser de l’énergie et de la passion lors de ces rencontres. Ce qui me plait le plus c’est d’échanger avec les artistes plutôt que d’écrire sur eux. J’ai commencé par le monde de la bande dessinée puis j’ai décidé de tenter l’expérience dans d’autres domaines artistiques comme réaliser un livre avec le chanteur Georges Brassens mais il est décédé avant que le projet se concrétise. Alors, je suis resté dans mon domaine de prédilection : publier des entretiens avec des auteurs de bandes dessinées.

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Vous avez appris à lire avec les bandes dessinées de Tintin, Spirou et Gaston Lagaffe. Est-ce toujours un émerveillement d’ouvrir un album de bande dessinée ?

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Oui. Je consacre chaque jour un moment où je vais lire une BD. Je le fais très souvent au moment du coucher – quelle que soit l’heure. C’est toujours une évasion avant la nuit de sommeil (très courte) qui m’attend.

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Vous avez réalisé des entretiens avec les dessinateurs Hergé, Franquin, Tardi, Moebius, Gotlib, Vuillemin, Uderzo,… Malgré les différences de personnalités et de styles, avez-vous pu percevoir des similitudes entre tous ces grands artistes ?

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Ils ont tous comme point commun d’être de grands enfants. Je les ai vus tous s’émerveiller devant leur propre production quel que soit leur âge ou leur notoriété. Ces artistes dessinent uniquement ce qui leur tient à cœur. Ils veulent toujours aller plus loin et sont même surpris par leurs efforts.

Lors de nos entretiens, une confiance a toujours été présente. Chacun a décidé de se laisser aller. Ils livraient des pans entiers de leur vie.

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© Numa Sadoul

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En 1985, après des années de refus, Franquin accepte votre proposition de s’entretenir avec vous. L’exercice a-t-il été aussi difficile que de le convaincre ?

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Pas du tout. Au moment où il a accepté, Franquin s’est confié sans le moindre souci. Le premier jour, j’avais amené avec moi dans son salon tout mon matériel pour l’interviewer. Son épouse a alors décidé de nous laisser tranquille. Franquin se sentait comme « piégé », eh bien tant pis, il a totalement joué le jeu. À aucun instant, lors de nos entretiens, je ne l’ai senti résistant.

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Après Rob Vel, Blanche Dumoulin, Jijé, Franquin reprend les aventures de Spirou et Fantasio avec une nouvelle énergie et une nouvelle dynamique. Selon vous, Spirou a-t-il connu son heure de gloire avec Franquin ?

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Spirou est un personnage de BD qui a été dessiné par tellement d’artistes talentueux – même de nos jours. Cependant, il est vrai que Franquin s’est artistiquement imposé. Fortement influencé par Jijé, il a su trouver sa propre originalité avec Spirou. Même de nos jours, ceux qui continuent de dessiner les aventures du groom se réfèrent au dessin de Franquin.

Il est même arrivé que des lecteurs puissent penser que c’était lui le créateur de Spirou…

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Une créature apparait dans « Spirou et les Héritiers » (1952) : le marsupilami. Franquin considère ce dernier comme l’une de ses plus grandes réussites. Y’a-t-il du Franquin dans la personnalité du marsupilami ?

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Franquin a toujours aimé dessiner des personnages en mouvement, c’était aussi sa personnalité. Le marsupilami est également un animal protecteur des humains qu’il aime. Il peut devenir courageux et vindicatif face à ceux qui leur veulent du mal. Franquin était une crème d’homme et était très protecteur envers son entourage. Pour tout cela, le marsupilami avait quelques traits de caractère de son créateur.

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Vous décrivez Franquin comme « un dépressif rigolard ». Face aux différentes émotions, le travail pouvait-il devenir irrégulier ?

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Non. J’ai pu constater que Franquin était toujours constant lorsqu’il fallait créer et dessiner. Au cours de la journée, nous allions faire des balades à la campagne ou dans les villages aux alentours. Cela m’a d’ailleurs inspiré pour écrire des poèmes. Nous buvions également des bières ensemble (c’était un bon vivant). Par conséquent, ses humeurs changeaient et Franquin avait toujours de bonnes raisons de rebondir. Il dessinait sans arrêt et ne manquait jamais de répondre à ceux et celles qui lui écrivaient. En fin de journée, mais comme tout le monde, Franquin était parfois épuisé par son rythme de travail et ses émotions.

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Pouvait-il être dur avec lui-même ?

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Oui. Il considérait qu’un nombre de dessinateurs étaient meilleurs que lui (même ceux qui déclaraient avoir été influencés par Franquin). Une telle dévalorisation de soi-même m’irritait beaucoup. J’avais parfois envie de le secouer car je considérais qu’il était injuste avec lui-même.

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Gaston Lagaffe est l’alter égo de son créateur. Est-ce un personnage plus complexe que l’image du paresseux et plus politique qu’il n’y paraît ?

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© Numa Sadoul

Tout à fait. Gaston est bien plus qu’un gaffeur et un paresseux. A l’image de Franquin, c’est un véritable inventeur et un grand bosseur. Il est également un grand amoureux de la nature et des animaux. Gaston réussit l’exploit d’apprivoiser une mouette et de faire en sorte que celle-ci puisse vivre auprès d’un chat.

Gaston est également un vrai anarchiste qui lutte contre toute répression de l’Etat. Franquin était lui-même à cette image. Un aspect de personnalité que l’on retrouve également chez Gotlib, Tardi ou encore Vuillemin.

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Dans la série Isabelle c’est Will qui est le dessinateur. Raymond Macherot et Yvan Delporte écrivent les histoires. André Franquin remplace le premier au fil des albums. Lorsqu’on lit Isabelle, retrouve-t-on son style ?

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Oui. Delporte apportait le côté aventure et comique. Franquin a introduit un aspect politique dans les aventures d’Isabelle.
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A partir de 1977, Franquin publie « Idées noires ». Cette série de bandes dessinées en noir et blanc est-elle le reflet de la dépression de l’auteur ?

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Il est certain que les « Idées noires » se démarquent de Spirou ou de Gaston Lagaffe. L’humour (bien que noir) est tout de même présent dans ces albums. Le dessin de Franquin y est également prodigieux.

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Que pensez-vous du projet de reprendre les aventures de Gaston Lagaffe, personnage cher à Franquin ?

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Cette affaire révèle le grand conflit entre le droit patrimonial et le droit moral. Franquin a signé un contrat pour que son éditeur puisse avoir le droit de faire ce qu’il veut avec Gaston. Cependant, la fille de Franquin, Isabelle, a retrouvé les déclarations de son père – il ne souhaitait pas que son personnage fétiche lui survive.

Je n’ai jamais été opposé aux suites. Il y a parfois de véritables réussites. Cependant, Gaston était le reflet absolu de la personnalité de Franquin. Il est donc difficile qu’un autre auteur puisse continuer l’histoire. En tout cas, un simple copier-coller de nouvelles aventures de Gaston Lagaffe serait impossible.

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Plus de 20 ans après le décès de Franquin, vous avez réalisé une réédition de votre livre « Et Franquin créa Lagaffe ». Vous aviez déjà fait l’exercice avec celui à propos de Moebius. Qu’est-ce qui vous surprend encore de la part de Franquin ?

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Il est incroyable de nos jours de constater que son travail s’impose toujours aussi fortement. Des décennies après sa mort, Franquin reste très actuel.

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Vous qui avez connu des dessinateurs à une époque où la bande dessinée était dénigrée, que pensez-vous du regain d’attention à présent pour la BD ?

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À une époque, il n’était pas bien vu d’être un adulte (encore moins un adulte responsable) lecteur de bande dessinée. Aujourd’hui, c’est très populaire. Certains albums enregistrent des ventes phénoménales. Dans les écoles, la bande dessinée sert de support afin d’aborder un écrivain ou un épisode historique. C’est même un genre qui a su séduire le Collège de France. J’en suis ravi. C’est un bel hommage pour tous les dessinateurs qui ont travaillé entre les années 60-80. A cette époque, la production de bandes dessinées était déjà pléthorique. A présent, chaque semaine, il y a des dizaines de sorties d’albums uniquement en France.

Je remarque qu’il y a aujourd’hui d’excellents artistes qui ont su s’inspirer d’Hergé, de Franquin ou de Moebius. La bande dessinée est toujours réalisée avec beaucoup d’innocence et de plaisir. Elle a un bel avenir devant elle!

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