Plus grand des singes, le gorille est, avec le chimpanzé, un de nos plus proches cousins. Primate imposant et fascinant, il est également un animal en voie de disparition. Le gorille est pourtant un acteur essentiel à notre écosystème.

Depuis plus de 20 ans, Shelly Masi, Primatologue italienne et Maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, étudie le comportement de ces grands singes dans leur milieu naturel en Afrique. Chercheuse passionnée et aventurière, elle a pu échanger avec nous dans son bureau du Musée de l’Homme.

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En quoi les gorilles nous ressemblent tant ?

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Les grands singes s’apparentent à l’homme dans plusieurs comportements. Même si le chimpanzé est très proche de nous, le gorille nous ressemble beaucoup par rapport à l’affection qu’il porte à ses petits. Une mère gorille va porter son bébé sur son dos pendant la plus grande partie de la journée et pendant au moins 10 mois. Ce n’est qu’au bout de ce laps temps que le petit commencera enfin à savoir marcher et à se nourrir seul.

(c) Shelly Masi

Certains groupes de gorilles en Republique du Congo sont capables de monter dans les arbres à l’aide de leurs dents. Ce n’est pas le cas de ceux que j’étudie depuis 23 ans dans les Airees Protegés de Dzanga-Sangha en République Centrafricaine (RCA). Les gorilles peuvent aussi avoir des préférences alimentaires. Certains vont se nourrir de plantes spécifiques. Les grands singes sont capables d’utiliser des outils pour pouvoir se nourrir. Parmi les grands singes, le gorille est celui qui n’a pas besoin d’utiliser les outils car il est suffisamment fort. Ainsi, Il peut détruite une termitière. Cependant, l’espèce de gorilles localisée en montagne a pu être observée exceptionnellement en train d’attraper des fourmis à l’aide d’un bout de bois. Récemment, j’ai également observé deux jeunes gorilles frapper deux pièces de termitière (dur comme de la pierre) l’une contre l’autre à la même manière que nos ancêtres frappaient une pierre contre l’autre. Ce geste ancestral a été la clé de notre évolution, pour le développement de la technologie en pierre.

Beaucoup des actions de grands singes rappellent les actions de nos ancêtres pour obtenir de la nourriture. De plus, chaque individu que j’ai pu étudier a une véritable personnalité.

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Le gorille peut-il imiter l’homme ?

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Bokata, une jeune fille de Makumba, le gorille dos argenté chef du groupe et que je connais depuis 2001, est née au moment où les gorilles s’étaient bien habitués à nous, humains. Nous avons pu observer qu’elle pouvait se tenir debout sur une courte distance (10 mètres). En nous observant, le jeune gorille a en effet pu réussir à nous imiter et cela a perduré pendant plusieurs années.

Je pense que les gorilles nous considèrent comme d’autres animaux vivant dans la forêt. Ils peuvent également nous voir comme des concurrents au sein de leur espace vital et peuvent être autant agressifs avec nous qu’avec leurs congénères, les membres du même groupe compris. Même si par tradition et par rituel, les Akas, le peuple de la foret, mangent de la viande de gorille, les pisteurs du WWF RCA qui travaillent avec nous pour suivre les gorilles, ont compris au fur à mesure des années d’observations des gorilles que ces derniers ont des postures et une alimentation avec des caractéristiques proches à celles des humains. Ils ont même pu observer que les gorilles ingèrent certaines plantes que les Akas utilisent pour se soigner.   

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.(c) Antonio Sanna
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C’est en regardant à l’âge de 8 ans un documentaire que vous vous êtes passionnée pour les gorilles (notamment pour leur douceur). Ces êtres sont-ils des géants sensibles ?

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Un gorille dos argenté peut peser jusqu’à 200 kilos. Il peut devenir très agressif s’il sent une menace pour sa famille. Cependant, il est très impressionnant d’observer les contrastes : les gorilles peuvent être très calmes.  Si vous parlez trop fort ou marchez trop vite, les gorilles peuvent alors penser que vous êtes une menace. J’ai eu la chance d’observer les chimpanzés en nature. Si les gorilles vocalisent peu et sont très silencieux, les chimpanzés sont quant à eux très bruyants. Ils crient tellement que j’ai dû me boucher les oreilles.

De plus, les petits gorilles sont très curieux et peuvent interagir avec d’autres animaux. J’ai d’ailleurs pu observer la réaction de jeunes singes observant le cadavre d’un potamochère [sanglier au pelage roux]. Il était clair pour moi, que leur comportement montrait qu’ils avaient conscience que l’animal était mort.  

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La primatologue américaine Diane Fossey a prouvé qu’une femme pouvait côtoyer les gorilles dans leur environnement. L’observation est-elle tout de même un moment de tous les dangers même après les avoir côtoyés depuis des années ?

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(c) Shelly Masi

Les gorilles restent et resteront des animaux sauvages. Ils ont des règles et il faut les respecter. Makumba, bien qu’à présent très bien habitué à la présence de l’observateur humain, peut toujours nous attaquer et peut potentiellement mordre si on est trop proche d’un fruit qu’il veut manger. Je l’ai vu mordre sa fille pour le même cas de figure. Aujourd’hui on essaie toujours d’anticiper quand la situation est potentiellement dangereuse. Aujourd’hui, on connait très bien Makumba et on sait quand il faut lui laisser le passage. On recule un peu pour lui laisser son espace et éviter des controverses avec lui.

Au sein de leur espace vital, les gorilles sont les maîtres. Les Akas sont convaincus que ces derniers savent distinguer les hommes et les femmes. Selon les Akas, le comportement du dos argenté serait différent si vous avez vos règles ou non…  

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Vous avez appris la langue pour communiquer avec les Akas. Ils vous accompagnent lors de vos observations. Est-ce un véritable travail de confiance pour travailler avec eux ?

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La première barrière c’est la langue. Au fil de mes voyages, j’ai pu apprendre le sango, la langue de la RCA. Le fait d’avoir accompli un tel effort était indispensable pour pouvoir travailler au mieux avec les Akas. Etant donné que je travaille avec eux depuis très longtemps, j’ai appris aussi à échanger en forêt avec eux en Aka, leur langue. C’est aussi car je voulais absolument comprendre ce qu’ils se disent entre eux pendant le pistage des gorilles. Ils m’ont donné le surnom de Kombeti baitu – « chef femme ». Il m’arrive de plaisanter avec les Akas mais aussi de prendre des décisions. La confiance est cruciale.

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.(c) Marcella Sanna
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Le braconnage a-t-il augmenté ?

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Oui. Depuis 2013, la République centrafricaine est en guerre civile. Par conséquent, les armes circulent beaucoup plus qu’avant. Ceci a amené à une augmentation du braconnage. Ce n’est pas seulement l’acte de rebelles. En 2016, dans un de nos campements dans la forêt – le plus proche du village, je pouvais entendre des coups de feu tous les soirs. J’étais vraiment très inquiète de laisser mes étudiants que je formais dans une telle situation. Un des gorilles que je suivais a été abattu sous mes yeux. C’était vraiment horrible.

L’environnement des Aires Protégées de Dzanga-Sangha, lui-même, a changé. Il y a quelques années, lorsque je traversais des salines, des espaces sans arbres au milieu de la forêt, je pouvais observer la faune comme des antilopes, des céphalophes et différents singes. De nos jours, il est devenu beaucoup plus difficile de voir des animaux. Ils sont probablement devenus trop craintifs.

Seulement depuis peu, nous commençons à observer des signes positifs. Pendant ma dernière mission en Octobre 2022, j’ai pu finalement rencontrer à nouveaux des bongos, la plus grande antilope de la forêt, ainsi que des céphalophes, comme avant. Un des petits gorilles que nous suivons a même crié tout près de nous, car il a eu peur d’un petit céphalophe bleu qui est sorti en toute vitesse de la végétation. Le jeune gorille était à proximité (tout comme nous). Cela faisait longtemps que nous n’avions pas observé cela. Petit à petit, les efforts de protection de la parte du WWF RCA sont en train de porter ses fruits et de rétablir une situation normale.

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Les gorilles peuvent-ils avoir des préférences alimentaires selon leur propre personnalité ?

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Je pense que les comportements changent avec l’âge. Le petit gorille va se nourrir davantage de termites car il en a besoin pour sa croissance. Certaines femelles, préférant certaines plantes aquatiques riches en minéraux, s’éloignent du groupe pour se nourrir dans les clairières. Le dos argenté aussi, mais il y passe moins de temps d’habitude. Je pense que les gorilles possèdent une sorte de carte mentale des arbres. Je suis en train de réaliser une étude à ce sujet avec un chercheur américain, « intéressé par les racines de l’alcoolisme ».

Les grands singes peuvent retrouver les mêmes arbres chaque année et les visiter au bon moment de la saison, quand ils ont des fruits murs.

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.(c) Shelly Masi
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Les gorilles préfèrent-ils les fruits alcoolisés ?

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Je suis en train de réaliser une étude à ce sujet avec un chercheur américain. Les gorilles mangent en effet des fruits alcoolisés. Cependant, il est difficile de savoir s’ils ont vraiment cette préférence. Les gorilles peuvent manger des fruits pourris mais seulement lorsqu’il y a une disette. Par exemple quand la saison de fruits est en train de terminer, ils n’ont pas le choix – ils doivent en manger.

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Avez-vous pu observer des jeux au sein d’un groupe de gorilles ?

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Un jeune gorille dos argenté (âgé d’environ 16 ans) peut tout à fait jouer avec un bébé. Makumba par contre ne veut aucun contact physique avec ses petits. Cependant, c’est une caractéristique probablement liée à sa personnalité car j’ai pu observer d’autres pères qui ne jouaient pas mais autorisaient les petits à s’amuser autour d’eux.

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Vous allez partir prochainement pour une nouvelle expédition en République centrafricaine. Que souhaitez-vous accomplir ?

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Je souhaite collecter les matières fécales des gorilles et les urines afin de réaliser des analyses génétiques et physiologiques. Grace à ce type de recherche nous avons pu publier une étude qui révèle que deux petits n’étaient pas les enfants du gorille dos argenté du groupe. Ceci a été une véritable surprise. Normalement, si un dos argenté trouve un petit qui n’est pas le sien, il va le tuer. Chez les gorilles, il l’infanticide est fréquent.

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(c) Shelly Masi

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En quoi les gorilles sont-ils indispensables à notre écosystème ?

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Comme les autres grands mammifères frugivores, et aussi les autres grands singes, ils permettent le déplacement de graines dans tout leur environnement. En se déplaçant partout dans la forêt (jusqu’à parfois plus de 10 kilomètres par jour) et via leurs crottes, les gorilles contribuent ainsi à la reforestation. Avec l’océan, les zones forestières sont nos grands productrices d’oxygène. Sans les gorilles et les autres grands mammifères, la forêt ne pourrait avoir autant de germination et donc serait incapable de rester en bonne santé pour nous faire tous vivre.

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Les gorilles sont en danger d’extinction. Êtes-vous pessimiste concernant leur avenir ?

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Nos actions ont des répercussions sur des milliers de kilomètres. Le coltan, minerai localisé principalement en République Démocratique du Congo, est utilisé dans les microprocesseurs de nos ordinateurs et téléphones portables. Sa production engendre une large déforestation et détruit l’habitat forestier, y compris celui des gorilles. En Asie, mais de plus en plus aussi dans certains pays d’Afrique, la forêt est coupée et reconvertie en champs de palmiers à huile. Ce phénomène à la grande échelle est en train de décimer les orangs-outans en les privant de leur habitat naturel. L’huile de palme est produite pour une utilisation internationale dans l’industrie cosmétique, alimentaire et aussi pour produire du carburant. Tout comme l’homme, le gorille (comme tous les grands singes) a un taux de croissance lent. Pour pouvoir se reproduire, une femelle doit atteindre l’âge de 10 ans, et 18 ans pour qu’un mâle puisse quitter son groupe et essayer de former un nouveau clan.

Il faut que les choses changent de manière positive. Autrement, si une telle production et destruction de l’habitat perdure à cette vitesse, les grands singes pourront disparaitre dans les 30-50 prochaines années. Nous pouvons tous ensemble arrêter cette tendance. C’est à notre portée mais il faut agir vite.

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.(c) Antonio Sanna
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Toutes les photos appartiennent à Shelly Masi et ne peuvent être utilisées à titre personnel et être diffusées sur Internet (médias et réseaux sociaux compris) sans l’accord préalable écrit du chercheur.

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Photo de couverture : (c) Marcella Sanna


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