Auteur des enquêtes du commissaire Raffini, du détective Cliff Burton ou encore des aventures du sergent de la police montée canadienne Trent, ayant près de 300 livres (bandes dessinées, romans et biographies), Rodolphe est à la fois un écrivain qui compte et un véritable passionné de lecture. Passé chez les magazines BD mythiques tels que A Suivre, Pilote ou encore Métal Hurlant, il est également un acteur clé d’une époque artistique bouillonnante.

Scénariste du récent album « Sprague« , Rodolphe ne finit pas de proposer de nouvelles histoires aux lecteurs de bandes dessinées.

Entretien.


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« Le génie n’est que l’enfance retrouvée » écrivait Baudelaire. Comment arrive-t-on à être original avec des sujets qui nous obsèdent depuis notre jeunesse ?

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Je ne me pose pas trop la question concernant les références. J’écris de la science-fiction mais je ne lis pas ou peu de science-fiction. Je ne cherche pas à réinterpréter des thèmes. J’écris brut de décoffrage et j’aborde ce qui me plaît. J’ai pu ainsi réaliser de l’historique, des biographies, des histoires pour la jeunesse (« Mickey », « Tom Tom et Nana »)  du fantastique et de la science-fiction. Certains peuvent regretter que je m’éparpille mais qu’importe. Je n’écris que ce qu’il me plaît sans m’interroger savoir  si je fais référence à telle ou telle chose.

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L’écriture fait-elle aussi référence à des épisodes de sa propre vie ?

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Depuis Diderot, on sait que la théorie de la  génération spontanée est une absurdité. Rien ne vient de rien !. Je ne m’inspire pas particulièrement de littérature, ni de cinéma, ni de bande dessinée. Je ne m’inspire précisément de rien. Néanmoins je suis poreux à tout ce qui se passe autour de moi.  Quel que soit le sujet abordé, il se nourrit du réel. Même « Le Seigneur des Anneaux » de J.R.R. Tolkien, chef d’œuvre de l’heroic fantasy, n’est en final qu’ une transposition sublimée des deux Guerres mondiale.

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Vous avez écrit près de 300 livres. Comment vient l’inspiration ? Avez-vous toujours l’angoisse de ne pas la trouver ?

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Je crains surtout de ne pas pouvoir boucler une histoire. Partir, démarrer un récit,  est toujours un moment incroyable. C’est comme partir en vacances. En revenir et boucler le récit est toujours beaucoup plus difficile . Avec le dessinateur brésilien Léo, je travaille toujours sur des cycles de 5 albums. L’écriture du 1er est toujours un moment  formidable, le 2 est très apaisant, le 3 vous fait penser que les vacances se termineront tôt ou tard. L’arrivée au 5ème album représente un travail plus complexe. Et problématique !  Soit nous légitimons toute l’histoire et en expliquons tous les détails  (travail nécessaire mais indigeste et soporifique) soit nous n’expliquons pas trop et le public peut nous le reprocher.

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Ecrire c’est donc voyager ?

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Oui. Mon blog s’appelle d’ailleurs « Le voyageur immobile » (rires). Je n’ai jamais été un grand voyageur. Mais ne dit-on pas que  les bretons les plus bretonnant habitent Montparnasse ? Quand au plaisir (ou non) d’écrire…On a demandé un jour à un écrivain s’il aimait écrire. Il a réfléchi puis répondu « Non. J’aime avoir écrit » . Si satisfaction il doit y avoir, c’est après coup, plus tard en se relisant…

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Pour quelles raisons Robert Louis Stevenson est-il pour vous un auteur à part ?

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Son œuvre, sa personnalité, son décès prématuré à 40 ans, son beau visage me l’ont toujours  rendu singulier et fascinant. Je l’ai découvert tout jeune, en même temps que  Walter Scott, Jack London  ou James Oliver Curwood, dans la merveilleuse Bibliothèque verte que je pratiquais assidument en contrepoint des journaux Tintin et Spirou.

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Vous avez décidé de suivre les pas de Jacques Lob et d’Alexis en devenant scénariste de bande dessinée. Transformer l’écriture en dessin – Est-ce un travail particulier ?

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Lorsque j’ai rencontré Jacques Lob, j’écrivais déjà des nouvelles. Mais la nouvelle en France est difficile à placer.  Lob m’a alors conseillé de penser à des scénarios de BD.  Grace à lui j’ai pu approcher ces lieux mythiques qu’étaient Pilote et plus tard (A Suivre)…

J’ai également créé une éphémère revue qui s’appelait « Imagine » dans laquelle j’ai pu publié une de mes toutes premières histoires avec maitre Floc’h aux pinceaux !  

Aujourd’hui je travaille pour de nombreux  dessinateurs. Par conséquent, je m’adapte au style et à l’univers de chacun. Je me projette dans leur dessin. Bien évidemment, je propose à chacun des récits adaptés à leur propre monde. Souvent même l’élaboration de l’histoire prend des allures de ping-pong entre nous…

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Votre premier album était « L’Homme au Bigos » (1980), première aventure du commissaire Raffini. Comment avez-vous imaginé un tel univers polar ?

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J’ai commencé à écrire l’histoire en 1974. C’était le moment des grands délires graphiques. Mon ami Philippe Druillet en est un excellent exemple. Il faisait exploser le cadre de la bande dessinée classique. via de sublimes images , pleines ou double-pages. Lui y excellait. Mais pas toujours ses continuateurs…

Les enquètes du commissaire Raffini représentaient un contrepoint face à cette nouvelle tendance  de la bande dessinée. J’ai toujours aimé les choses structurées et peut être plus classiques.

Les enquêtes du commissaire Raffini sont aussi des clins d’œil aux univers d’Edgar P. Jacobs et d’Hergé. A la même période, Tardi sortait les premières aventures d’Adèle Blanc-Sec. « L’Homme au Bigos » a été dessiné en 1976. Les Humanoïdes associés l’ont acheté l’année suivante. Pendant 2 ans, « L’Homme au Bigos » a été bloqué puis a été publié en 1979 dans Télérama comme « feuilleton de l’été ». Ce n’est qu’en 1980 que l’album a enfin été publié.

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Vous avez également écrit pour Métal Hurlant. Qu’avez-vous retenu de cette période révolutionnaire du monde de la bande dessinée ?

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Je travaillais en même temps pour le magazine A suivre. C’était amusant car ce dernier était très classique. Métal Hurlant, quant à lui, en était le juste contraire : ce n’était pas une ligne directrice mais un vecteur. Quelque chose d’orienté. Vers le futur, la modernité

Chaque numéro représentait un pas en avant par rapport au précédent. Comme dans l’univers musical des années 60, quand la pop rock anglaise a explosé. Un jour on découvre un son dingue. Ca s’appelle la distorsion. Le disque suivant, un autre son tout aussi incroyable : c’est celui du  sitar. Ensuite voilà les orchestres symphoniques, les concept album, les opéra rock. Ça n’arrêtait pas !

Métal Hurlant avait deux pôles incarnés par Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manœuvre : la bande dessinée et le rock. Cela touchait également tout ce qui faisait partie de la rock culture :Mais Métal allait bien au-delà de la seule bande dessinée. Son univers formait un tout englobant la musique, la littérature,  les pochettes de disques, les vêtements et la façon d’être. Manœuvre incarnait très bien cette diversité

Dionnet & Manœuvre représentaient  une sorte d’hydre a deux têtes. L’exigence alors était haute et bosser pour Métal n’était pas de tout repos. Ils aimaient pousser les auteurs à évoluer, aller plus haut, plus loin, chacun dans son domaine. Jean Giraud devenu Moebius explorait le futur, Serge Clerc commentait l’évolution du rock, Chaland revisitait Franquin et la BD des fiveties ! Métal était plus qu’un magazine, c’était comme un guide, une forme de bible , de credo

Sa reprise aujourd’hui va certainement être périlleuse….

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Votre personnage Cliff Burton est appelé lorsque les enquêtes piétinent. Est-il un deus ex-machina ?

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Non. Cliff Burton est un héros classique. Je m’adapte toujours à la personnalité et au style du dessinateur avec lequel je travaille. A l’origine ( les 2 premiers tomes) c’était Frédéric Garcia qui officiait aux pinceaux . Un garçon très british, pince sans rire mais un peu raide. Quand il a abandonné la BD pour la publicité, Michel Durant lui a succédé. Or Michel était l’exact contraire de Fredéric : un déjanté total , un électron libre qui ne se prenait jamais au sérieux. J’ai donc été amené à faire évoluer la série. Si Burton était un peu le double papier de Garcia, Durant , lui, a trouvé son alter égo en la personne du lamentable inspecteur Wigelow, l’adjoint pathétique et alcoolique de Cliff Burton. Précisons néanmoins que Durant lui, ne buvait pas une goutte d’alcool !

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Avec Trent vous plongez le lecteur dans le grand nord canadien. Etait-ce une façon d’être original de ne pas choisir le grand ouest américain ?

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Je n’ai jamais pensé réaliser un western avec Trent. J’ai été bercé durant mon enfance par les romans de James Olivier Curwood. Bien moins connu que Jack London, il reste pourtant un formidable écrivain du grand nord canadien. Avec Trent, j’ai voulu recréer l’univers naturel qui m’avait fait rêver enfant. Il y a au Canada des étendues immenses où vous ne croisez jamais personne. Trent est un récit sur la solitude. Le personnage de Trent  est lui-même un solitaire , un personnage un peu raide et douloureux qui ne se lie pas facilement…

Seul le deuxième album, « Le Kid » (1992), peut faire penser à un western avec ce personnage qui représente une sorte de croisement entre Billy the Kid et Arthur Rimbaud. Mais c’est vrai que le genre Western ne me passionne pas. Le seul que j’ai réalisé en bande dessinée est le tome 15 de la série Comanche, « Red Dust Express » (2002), suite au décès du regretté Michel Greg. 

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Comment avez-vous réalisé la bande dessinée adaptée de« Faust » et sortie en 2007 soit  presque dix ans après la mort de son dessinateur Raymond Poïvet ?

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J’avais été contacté pour réaliser cette adaptation par un petit éditeur réalisant des albums BD couplés à des cassettes audio (eh oui!) d’opéras. J’ai donc rencontré Poïvet, pressenti comme dessinateur, chez lui dans sa maison à la campagne. Ce fut un moment formidable. Je me souviens d’une grande salle avec une immense cheminée et des chiens. C’était un homme drôle et incisif. Généreux aussi. Il m’a proposé de choisir quelques-uns de ses dessins. J’étais jeune et timide : je n’ai pas osé.

Plus tard, notre éditeur ayant  déposé son bilan, j’ai tenté de vendre notre « Faust » ailleurs mais Raymond Poïvet, pourtant grand maître de la BD de science-fiction, n’intéressait  plus personne. J’ai dû à mon grand regret faire à ce moment là mon deuil du livre, un livre du reste réputé perdu. Puis , miracle : Dominique Poivet, le fils de Raymond, a retrouvé les 46 planches originales ! Le Seuil s’est aussitôt porté acquéreur…

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« Sprague » , one-shot paru en 2022 est un récit où se mêlent science-fiction, rêve et désir. La réalité est-elle bien souvent décevante pour vos personnages ?

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La vie est une auberge espagnole : Nous y trouvons ce que nous y apportons. Certains vont se satisfaire de peu alors que d’autres ne seront jamais contents. Cela dit, l’insatisfaction peut être une forme de  moteur, non ? Quand aux héros de Sprague, disons qu’ils nous ressemblent : perdus quelque part entre désir et frustration, rêve et réalité…

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Dans « Sprague », il y a la présence du robot – personnage que vous avez souvent traité dans vos livres. Est-il une menace ou un allié ?

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Le robot de « Sprague » est un allié humoristique. Dans la série « Terre » (2020-2021), le thème est plus complexe puisque le personnage principal (et narrateur du récit) s’avère être un androïde.

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Quels sont vos projets ?

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Je cherche à mener à terme ce que j’ai commencé. Avec mon ami dessinateur Christophe Dubois, la série « Terre » se terminera avec le tome 3, « La Fin des temps » prévu pour paraitre en mai (Ed.Daniel Maghen). Derrière nous mettrons en route  un album intitulé « Rockabilly » racontant  la naissance du rock ‘n roll au milieu des années 50 dans une famille de pauvre de « rednecks » à l’est des USA.

Nous avons également le projet avec Olivier Roman de donner une sorte de suite à SPRAGUE. Pas vraiment une suite, mais un récit situé dans le même univers et qui le prolonge

Et encore plein d’autres choses avec de vieux amis comme Georges Van Linthout, Christian Maucler ou Louis Alloing, mais encore en compagnie  de nouveaux et talentueux partenaires comme Coutelis, Werner Griffo ou Patrick Prugne…

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Photo de couverture & dernière photo : © Brieuc CUDENNEC

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