Il y a des figures qui passent devant nous et qu’on ne peut oublier. En noir & blanc, Raoul, l’homme tranquille, a envahi les rues de Paris. Tout le monde connaît Raoul car il est également sur YouTube (avec sa chaîne de plus de 70 vidéos et il ne va pas s’arrêter avec ça!). Homme moderne, Raoul est aussi sur TikTok.

Le personnage intrigue car il fait référence à de multiples facettes artistiques (cinéma, photo, street art, poésie…). De plus, Raoul inspire d’autres artistes…

Entretien avec Frédéric Vignale, créateur du personnage, et Emmanuel Gillet qui interprète Raoul.

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Comment Raoul s’est-il retrouvé dans la rue ?

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Frédéric : Tout ça est né d’un fantasme d’Art. J’ai toujours été fasciné par le Street-Art. A mon arrivée à Paris, en 1999, j’ai eu la chance de rencontrer des artistes de la rue tel que Space Invader et d’autres, et j’ai été très sensible au travail notamment de John Hamon. J’ai du respect pour Jef Aérosol et d’autres.  Je voulais moi-même faire du Street-Art, mais je n’avais pas encore trouvé la bonne figure pour cela. Il fallait un beau projet pas faire du Street-Art pour faire du Street-Art.

J’ai finalement rencontré il y a trois ans Emmanuel Gillet lors d’un shooting photo de Book comédien. J’ai de suite adoré sa gueule, sa dégaine, son humanité et je lui ai proposé de tourner dans un court métrage à moitié improvisé près du Sacré Coeur, avec Sonia Derory, une artiste de petite taille qui se bat pour l’Adoption notamment. En allant sur le lieu de tournage, j’ai vu une enseigne de magasin : Raoul. Cela m’a amusé car c’est le prénom de mon beau-fils, le fils de ma Muse Juliette. Le même jour, je suis passé devant une autre enseigne, un restaurant dont le nom est « L’homme tranquille ». J’ai donc  décidé d’intituler ma réalisation « Raoul, l’homme tranquille ». Cela résume parfaitement l’ambiance improvisée. Emmanuel a suivi avec beaucoup d’audace et de confiance ma mise en scène et démarche devant mon objectif. Depuis on ne s’est pas quittés, artistiquement parlant.

La vidéo a connu un certain succès d’estime sur Internet et le projet est devenu une web-série. Raoul est un personnage qui peut être aimé de tout le monde. C’est un Tintin vieux (rires).  Nous finalité est d’en faire un long métrage expérimental, nous avons déjà une matière d’une grande richesse.

Nous avons pour le moment réalisé 71 épisodes. Et une trentaine de clips musicaux avec des collaborations  avec Nikko Dogz et Raoul Pointbar et d’autres.

Pour la promotion, nous avons utilisé des visuels qui étaient issus de notre travail dans les épisodes. C’est ainsi que Raoul s’est retrouvé dans la rue car la rue est, pour nous, le plus juste, créatif et libre des Musées d’art(s).

Emmanuel : La première photo affichée est celle du baiser. (Le #covidkiss)

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Comment d’ailleurs est venue cette photo ?

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Emmanuel : Je souhaitais refaire en photo le tableau du peintre Magritte « Les Amants » (1928). Sans trop y croire, Frédéric m’a tout de même suivi. Nous avons demandé à une jeune femme, Pauline, de tourner dans une épisode de la web-série. Nous lui avons demandé de se raser le crâne et de s’habiller comme Raoul. Cependant, les foulards étaient de trop pour la photo dont j’avais l’idée. Nous étions en pleine pandémie du Covid et Pauline avait un masque hygiénique blanc. Nous avons alors eu l’idée de s’embrasser avec les masques.

Frédéric : J’ai tout de même aimé l’idée d’Emmanuel car, ayant perdu mon frère jumeau Fabrice à 36 ans, je suis intéressé par le thème de la dualité et la gémellité. Beaucoup d’épisodes de Raoul traitent d’ailleurs du sujet.

Je prends des photos de ce baiser. L’image qui me plaît le plus est celle prise aux colonnes de Buren à Palais Royal. Nous avons présenté publiquement l’image et une personne remarque alors que les corps d’Emmanuel et de Pauline forment un cœur. Nous affichons ensuite la photo dans une rue de la Gare de Lyon. Un SDF nous a alors interpellé car il a pensé qu’il s’agisait de deux hommes qui s’embrassent. Comme nous sommes porteurs de tolérance, nous avons aimé l’idée. Ce sont deux humains qui s’embrassent, peu importe leurs genres. Chacun voit ce qu’il veut. Cette image nous a dépassé, elle existe sur des tee-shirt, en modèle de Tatoo, elle a fait le tour du web et a dépassé nos frontières. Et c’est loin d’être fini.

La photo a été collée dans le Marais et a connu tellement de succès que nous sommes allés à la Gay Pride et avons eu beaucoup de soutiens et de reconnaissance, des retours très touchants.

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Costume noir, crâne chauve chemise blanche, cravate et cigarette. Tout le monde connaît Raoul mais une question se pose : Est-ce un autoportrait ?

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Emmanuel : C’est presque un autoportrait.

Frédéric : Oui car au fur et à mesure des épisodes que nous réalisions, c’est Emmanuel qui est devenu Raoul. Il ne l’était pas du tout au début, mais la réalité a dépassé la fiction, Emmanuel et Raoul se confondent et cette ambiguïté qui participe à l’auto-fiction. Je ne crois pas beaucoup me tromper en disant que Raoul est la grande rencontre de vie d’Emmanuel Gillet, il y aura un avant et un après.

Il m’arrive souvent d’être inspiré par des personnes que je rencontre. Je me rends compte que je me trompe rarement sur leur psychologie. Je suis un pilleur de vies intimes de mes proches, comme beaucoup d’écrivains et artistes. La matière est là dans l’humain qui existe vraiment.

Emmanuel : Il est vrai que Frédéric s’inspire beaucoup d’histoires que je lui ai racontées. Je ne devrais plus rien lui dire puisque tout se retrouve dans les vidéos   de Raoul, un jour ou l’autre. (rires).

Raoul est un personnage dans lequel tout le monde peut s’identifier. C’est comme un pantin qu’on anime, qu’on habille qu’on déshabille, qu’on met en scène.

Frédéric : Il a un costume mais peut tout à fait être remanié telle une poupée. Certains nous disent que Raoul leur fait penser à Charlot ou à Jacques Tati. Toutes nos vidéos parlent de tolérance et d’humanité, de choses profondes, intimes mais aussi drôles et légères. On a eu un magnifique commentaire d’un spectateur sur notre dernière video qui résume bien les choses : « Regarder là où personne ne veut regarder, y mettre de la poésie « . Ce ressentit dit beaucoup du Projet Raoul.

Etant un passionné de Cinéma d’auteurs, j’ai su jouer avec les codes : Nous avons refait une scène du « Septième Sceau » (1957) d’Ingmar Bergman et j’incruste beaucoup de références à des films de Jean-Luc Godard, Fritz Lang, Guitry ou Orson Welles.

Il m’est arrivé d’imaginer des délires mais au final cela marche. Emmanuel me fait confiance jusqu’au bout. Il a tout de même été jusqu’à se mettre tout nu au sens propre comme au figuré. Peu à peu nous sommes reconnus et nous tentons de réaliser enfin le rêve de beaucoup d’artistes, c’est-à-dire tenter de toucher la mémoire collective et personnelle.

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Raoul fait des partenariats avec des artistes comme Sohan_street (Covid), Vik ou d’autres. Le Atreet Art c’est aussi se mélanger aux autres ?

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Frédéric : Nous avons notre propre univers mais nous sommes toujours partants pour accueillir de nouvelles personnes, faire des collabs. Chaque artiste qui s’est impliqué avec le projet Raoul a donné une certaine richesse au projet. Mark Temlett, Etaanhil ou Raoulpointbar tous ont réussi à enrichir Raoul. Le projet Raoul doit beaucoup dans son identité graphique à Mark Temlett. L’affiche qu’il a faite à partir de plusieurs épisodes et d’une densité et complexité extrême sans parler du graphisme qui est d’un grand niveau. Mark Temlett nous honore de son talent il vous fait découvrir cet artiste Hors norme Anglo-finlandais qui vit à Paris et adore la France. De plus Mark a vu tous les épisodes, c’est un grand soutien pour nous.

Nous rêvons d’intégrer à Raoul tous les street artistes de Paris que nous aimons. Ils peuvent tout à fait nous contacter. Tout comme Raoul qui dans les vidéos rencontre de nouvelles personnes, nous faisons la même chose. Le cercle est ouvert.

Il est clair que la Butte aux Cailles [Quartier du 13ème arrondissement de Paris] est bien plus belle depuis que les street artistes l’ont investie. Ça fait une valeur ajoutée au quartier.

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Comment Raoul est devenu roi ?

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Frédéric : Nous avons rencontré Philippe Berson, sculpteur et ex compagnon de Reine de Paris lors d’un vernissage chez Frederic Roulette grâce à l’entremise d’Anne Van Der Linden que j’admire depuis 25 ans. Il souhaitait réaliser un collectif autour d’elle et voulait qu’on y participe. J’ai alors eu l’idée que Raoul souhaite devenir roi. Nous avons montré ensuite les photos lors de l’exposition Reine de Paris au 59 Rivoli. Philippe portait lors de l’événement une petite couronne sur la tête. Je lui ai demandé de la prêter à Emmanuel pour que je puisse le prendre en photo. Philippe lui fait alors cadeau de la couronne. Nous avons posté ensuite la photo sur Instagram. Un artiste irlandais l’a vu et a décidé de réaliser un pochoir de « Raoul roi ». Nous avons ensuite collé cette image dans la rue.  

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Quelle est l’histoire de « Votez Raoul » ?

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Frédéric : Je me suis souvenu qu’un ex ami, au début des années 2000, Sege Scotto avait posé la candidature de son chien lors d’élections à Marseille. Avec le slogan « Votez Saucisse », il a eu un score très respectable : 4%. J’ai alors lancé la campagne « Votez Raoul ». Je voulais le voir comme Obama et son affiche « Yes we can » de Shepard Fairey.

Mark Temlett a réalisé le concept avec un drapeau français derrière. Malheureusement, les passants ont mal interprété nos intentions. Ils ont pensé qu’il s’agissait d’une communication de l’extrême droite. Le drapeau français est mal connoté dans l’imaginaire, malheureusement.

Emmanuel : Un épisode a été réalisé sur le sujet. Nous avons repris l’idée avec les drapeaux ukrainien et britannique.

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En plus des dessins, il y a les vidéos, les pochoirs, les clips et les photos. Est-ce à part ou est-ce un ensemble artistique ?

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Frédéric : Raoul est un ensemble, un concept. Nous nous impliquons de la même façon dans les photos, les collabs, les films,… C’est toujours la même folie, énergie et même âme. Au départ, YouTube était notre seul vecteur de communication. Qu’importe si le spectateur commence à nous suivre par les vidéos ou le street art. Le message reste le même : la tolérance. Ce qui compte c’est l’émergence de ce nouveau personnage original au nom de code RAOUL. #toutlemondeconnaitraoul. C’est l’histoire d’un homme qui a perdu l’amour de sa vie, Emma et qui erre dans une monde parallèle et fait des rencontres hors normes. L’originalité c’est que tout le monde le reconnaît et lui par contre ne connait personne. D’où le #. Tout a du sens.

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Raoul est sur les dollars. Est-il un Américain ou finalement un homme sans frontières ?

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Frédéric : Raoul est un enfant qui s’intéresse à tout et que l’on peut voir partout. Un ami artiste avait il y a 25 ans crée sa propre monnaie. Les billets Raoul ne valent rien pour l’instant, alors c’est juste poétique. C’est l’anti crypto-monnaie.

Nous passons des heures, des mois et des années sur notre projet artistique avec l’objectif d’être exposés en galerie, ou pas. C’est la création pure qui nous plait le plus, mais nous ne sommes pas fermés à des collaborations avec des galeries ou autres structures, mais on restera dans la rue.

Emmanuel et moi-même étions dans un moment compliqué de nos vies et  Raoul nous a comme relancés et soudés. Je n’ai jamais rencontré une personne aussi intelligente qu’Emmanuel, il comprend vite les choses et a une bonne intuition. Par contre, il n’était pas cultivé, il a plus une intelligence de la situation, de la survie. J’ai donc décidé d’échanger mes passions artistiques avec lui et depuis le ping pong intellectuel entre nous est parfait aujourd’hui. Nous sommes le duo idéal. Les deux papa cis-genre de Raoul. Nous sommes parfaitement complémentaires.

Grâce à la web-série Raoul, Emmanuel s’est révélé en tant qu’artiste et en tant qu’homme je crois un peu aussi, il a une désormais vraie reconnaissance publique et c’est mérité. J’adore le fait qu’il puisse interpréter mes écrits et y mettre sa vérité et une partie de son âme.

Emmanuel : Nous ne comptons plus les heures passées dans le projet. Il nous est arrivé de réaliser 3 vidéos dans le même mois. Raoul a changé ma vie. Nous avons pu rencontrer des dizaines et des dizaines d’artistes et cela va continuer, c’est une aventure EXTRA-ordinaire à tous les niveaux. Je pense modestement que nous sommes en train de construire une Œuvre.

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Raoul veut-il avant tout rendre hommage à l’art populaire ?

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Frédéric : Oui au théâtre surtout. Les dialogues de Raoul sont très théâtralisés. Lorsqu’il rencontre en haut de la Tour Eiffel Gustave Eiffel. Ce n’est pas le personnage historique mais le fantasme Eiffel. Les vidéos ne montrent que l’imagination de Raoul, ses délires – pas une réalité tangible.

Le rêve mélange la cohérence et l’incohérence. Seul Raoul reste lui-même dans la vérité première.

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C’est également un hommage à la ville de Paris ?

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Frédéric : Comme dit le photographe Robert Doisneau « On ne naît Parisien, on le devient ». Nous avons un grand amour pour Paris car nous ne sommes pas originaires d’ici. Je photographie sans cesse cette ville. Ailleurs je ne suis pas inspiré. Paris est le plus grand décor de cinéma du monde pour moi.

Le projet Raoul participe à la création d’une mémoire parisienne. Nous collons partout et nous photographions et filmons tout. Le noir & blanc donne à Paris un aspect hors du temps.

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Où Raoul va-t-il aller à présent ?

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Frédéric : Nous avons écrit une préquelle de Raoul. Elle expliquera la Genèse du personnage. Pour le reste, nous verrons. J’ai plein de sujets en tête, nous comptons faire 100 épisodes, minimum plus des bonus.

J’adore ce projet car je ne sais pas où il va nous emmener. Raoul est un work in progress. C’est un projet qui se réinvente chaque jour, c’est très excitant et jubilatoire. Je remercie vraiment Emmanuel GILLET de me suivre dans ce Projet Fou et très créatif et aussi toutes les Guest et figurants de tous les épisodes confondus. Entrez dans le monde de Raoul, vous ne le regrettez pas.

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