René Fonck, le Baron von Richthofen, Roland Garros, James McCudden, Georges Guynemer, Willy Coppens, Charles Nungesser, Ahmet Ali Çelikten,… Tous ces noms rappellent que les combats de la guerre 14-18 se sont également déroulés là-haut dans le ciel.  De nationalité française, allemande, britannique ou encore ottomane, ces aviateurs ont incontestablement su montrer une certaine bravoure à bord de leurs appareils légers. « La chasse » a même fait naître le statut très convoité des as (à partir de 5 victoires en combat aérien). Les aviateurs de la Première Guerre mondiale ont clairement été des militaires d’exception.

Entretien avec Patrick de Gmeline, historien militaire et auteur notamment des livres « Baron rouge et cigogne blanche » (2011) et des « As de la Grande Guerre » (1998).

 

 

 

Dès 1915, le ciel devient pour les populations civiles un nouveau lieu de terreur. Les zeppelins allemands ont bombardé les villes du Royaume-Uni. Ceux qui se sont portés volontaires pour devenir aviateurs se voyaient -ils comme des soldats d’exception ?

 

 

 
Je ne le pense pas. Pour beaucoup de chefs des différentes armées, les aviateurs étaient considérés comme des fous volants ou d’aimables sportifs. Personne n’imaginait qu’ils joueraient un rôle aussi important au cours de la guerre. Seul un général dans l’armée française a cru à l’aviation dès le début. Il s’agit d’Edouard de Castelnau. Les pilotes ont d’abord été utilisés pour l’observation. Dans le ciel, ils étaient les alliés des artilleurs afin de les aider à pilonner les troupes ennemies. Il existait également des missions de liaison. La chasse n’existait pas encore. Au fil du temps, chaque belligérant a compris qu’il fallait harceler les artilleurs en leur tirant dessus. Les pilotes emportaient à bord un fusil de chasse ou un pistolet. Ce n’est que des années plus tard qu’une mitrailleuse fut fixée sur le fuselage fait de toile et de bois. L’arme était juste devant le pilote. Sur les avions biplaces, une mitrailleuse pouvait être installée sur un axe pivotant. Alors que le pilote était souvent un sous-officier, le chef de bord était un officier. Ce dernier pouvait se lever de son baquet et saisir la mitrailleuse afin de tirer dans toutes les directions. La chasse est ainsi née et les pilotes sont peu à peu devenus les aristocrates guerriers de la Première Guerre mondiale.

 

 

 

héraldique

 

 

Il a été dit que les aviateurs n’avaient pas l’autorisation d’emporter avec eux des parachutes. Les états-majors se méfiaient-ils des pilotes ?

 

 

 

Dans les ballons, les soldats avaient des parachutes. Les pilotes d’avion s’étaient spécialisés dans les attaques des observateurs du ciel. Par conséquent, le personnel à bord pouvait sauter du ballon en parachute. L’affaire était plus difficile pour les aviateurs. Lorsqu’un avion de la Première Guerre mondiale était abattu, l’appareil descendait en vrille. Il était extrêmement difficile pour le pilote de sortir de l’avion en feu.

 

 

 

L’espérance de vie d’un aviateur était souvent limitée à une dizaine de missions. Ces combattants du ciel avaient-ils un rapport à la mort très particulier ?

 

 

 

 

Tout aviateur savait pertinemment qu’il était plus ou moins promis à la mort. Ces jeunes d’une vingtaine d’années issus de toutes les classes de la société se battaient pour leur pays, leur famille mais aussi pour la religion. Les Allemands avaient d’ailleurs une plaque sur leur ceinturon « Gott mint uns » (Dieu avec nous). Cette notion spirituelle était fortement ancrée dans toutes les sociétés de l’époque.

 

 

 

Né sous la plume de journalistes français, le terme d’as fut adopté par tous les belligérants. Est-ce que ce fut pour les aviateurs plus un jeu qu’un exploit militaire ?

 

 

 

Ce n’était pas une fantaisie. Il fallait remporter au moins cinq victoires. Dans le milieu militaire, les as étaient considérés et mis à part. De plus, ils étaient honorés par les populations civiles. Beaucoup de pilotes n’hésitaient pas à quitter pour un soir leur base et se rendaient par exemple à Paris. Des as étaient mêmes reconnus et acclamés. La croix de guerre des as était imposante et facilement reconnaissable. Le propriétaire d’un restaurant pouvait même offrir le dîner à de tels héros de guerre.

Pour un jeune pilote de toute origine sociale arrivant dans une escadrille de chasse, le butnungesser
ultime était de devenir un as. Charles Nungesser avait eu comme élève Jacques Gérard. Même s’ils étaient issus de milieux très différents, les deux aviateurs sont devenus très proches. Même après la guerre, les as avaient pour habitude de se retrouver entre eux, même si certains avaient été des ennemis d’autrefois. Des Français sont par exemple devenus amis avec des Allemands. René Fonck s’était lié à Hermann Goering. Cette amitié a même causé des ennuis au pilote français au cours de la Libération. La vie des As, avec leurs camarades ayant le même titre, ressemblait un peu à celle de membres d’un même club.

 

 

 

Les tableaux de chasse étaient publiés dans la presse. La propagande a-t-elle pu utiliser les exploits des aviateurs ?

 

 

 

En premier lieu, le palmarès d’un pilote connu était en effet publié par les journaux chaque jour. Des films ont même été tournés afin de montrer les pilotes. Seule la radio qui avait une audience moindre parlait peu des aviateurs.

 

 

 

L’image du baron Von Richthofen (Baron rouge) a-t-elle été romancée par les autorités allemandes ou par le baron lui-même ?

 

 

 

Von Richthofen avait acquis le surnom de Baron rouge car il avait pris l’habitude de peindre ses avions triplans en rouge. Il voulait être repéré par ses troupes au sol comme dans le ciel et en même temps souhaitait donner un avertissement à ses adversaires. Labaron propagande allemande s’est alors emparée de cet as. Von Richthofen était un aristocrate – statut social très respecté dans l’Empire allemand et même dans l’Allemagne des années 50. Le baron ne s’est pas opposé à la mise en avant de la propagande. Les jeunes pilotes voulaient tous devenir de nouveaux Richthofen.

Son appartement était plein de souvenirs des combats. Comme un grand nombre de pilotes, le baron aimait se poser au sol afin de récupérer des objets ou des morceaux de l’avion qu’il venait d’abattre. Charles Nungesser avait fait de même. Sa mère avait transformé sa maison en véritable musée à la gloire de son fils. Les pilotes aimaient récupérer des trophées de guerre.

Au fil de la guerre, Von Richthofen s’est rendu compte qu’il était devenu trop reconnaissable pour ses ennemis. Même si l’escadrille a fini par peindre l’ensemble des avions en rouge, le baron avait une façon unique de piloter et d’attaquer. Ses adversaires le reconnaissaient entre tous.

 

 

 

Cirque volant, dog fights pour les Britanniques,… La chasse aérienne s’est multipliée au cours de la guerre. Véritable spectacle au sol mais enfer dans le ciel. Les aviateurs ont-ils été meurtris par ces combats ?

 

 

 

Je ne crois pas. Après la guerre, Charles Nungesser a participé avec plusieurs avions à des démonstrations aériennes aux Etats-Unis où il était admiré par tous. Ces reconstitutionssky ont eu alors un énorme succès. Des milliers de spectateurs observaient les avions qui mimaient des combats.

Les pilotes de la Grande Guerre sont des personnalités uniques avec un respect profond pour leurs adversaires. Cet état d’esprit a été moins présent pendant la Seconde Guerre mondiale. La notion d’ennemi est devenue alors véritable.

 

 

 

Machines de guerre, les avions pouvaient également être de véritables œuvres d’art. Les pilotes peignaient et dessinaient des noms, des dessins humoristiques ou encore des blasons. Est-ce devenu essentiel d’être identifié ainsi ?

 

 

 

Il s’agissait d’un véritable héraldique de l’aviation. Chaque escadrille a adopté un blason. Il était peint sur les fuselages. Des pilotes ont également créé leur propre emblème. Le commandant Charles de Tricornot de Rose a notamment dessiné son blason familial sur son avion. Sous le baquet, les Allemands peignaient des cocardes bleu, blanc, rouge lorsqu’ils avaient abattu des pilotes français. Les Anglais, Belges ou Français, quant à eux, peignaient des croix de fer.

 

 


triconot

 

 

Francophile mais pas totalement française, américaine mais incorporée dans l’US Army tardivement durant la guerre, l’Escadrille Lafayette est-elle une exception ?

 

 

 

Elle a en effet ses originalités. Son emblème était la tête d’un Sioux. Cependant, l’escadrillelafayette ne se distinguait pas seulement par son nom ni par la nationalité des aviateurs. Sans être des as, ses pilotes savaient se battre. Et ils savaient que leur origine, leur nom d’escadrille, les désignaient à l’attention de toute l’armée et du grand public. Et ils comptaient parmi eux des personnalités fortes et célèbres comme Féquant, Brocard, Chapman, bien d’autres…

 

 

 

 

La Première Guerre mondiale a-t-elle finalement été gagnée par les Allemands dans les airs ?

 

 

 

L’armistice du 11 novembre 1918 marque la défaite de l’armée allemande. Cependant, la guerre aérienne est une guerre à part. Ceux qui l’ont gagnée sont tous les aviateurs. Alors que les autres soldats gardaient même après la guerre une haine pour l’ennemi, ceux de l’aviation ont sympathisé avec leurs adversaires.

 

 

 

Qui est vraiment le pilote de chasse René Fonck, la cigogne blanche ?

 

 

 

Fonck combat dans les airs à la façon d’un ingénieur. Il préparait ses vols en faisant des calculs. Durant mes recherches, j’ai eu le plus grand mal à trouver des photos de Fonck en train de sourire. C’est un être froid que personne ne trouvait sympathique. Il abattait ses adversaires sans euphorie, sans émotion. Cependant, Fonck est l’as des as de l’aviation française. De plus, il a survécu à la guerre.

 

 

cigogne blanche

 

 

Le 7 août 1918, l’aviateur Charles Godefroy passe avec succès à bord de son biplan sous l’arc de triomphe. Il s’agissait d’une certaine façon de laver l’honneur des aviateurs français après le refus des autorités d’autoriser un défilé aérien le 14-Juillet. L’aviation est-elle peuplée de têtes brûlées ?

 

 

 

En effet, mais ce sont avant tout des militaires. Nungesser, ayant été attaché au début de la guerre au 2ème régiment de hussards, conserve son uniforme tout le long du conflit. D’ailleurs, les aviateurs dépendent de l’administration du Ministère de la guerre. L’armée de l’air n’existe pas encore. En aucun cas ce ne sont des civils habillés en militaire. Ces soldats obéissaient aux ordres. Cependant, au cours d’une mission dans les airs, n’ayant pas de radio à bord, les aviateurs pouvaient très bien prendre l’initiative d’attaquer un convoi ou une position ennemie.

A l’exception de Georges Guynemer qui était un pilote français calme et sympathique, les pilotes sont clairement des têtes brûlées.

 

 

 

Le traité de Versailles de 1919 interdit l’aviation pour les Allemands. Ses aviateurs sont donc mis de côté. Ont-ils eu une image de soldats à part ?

 

 

 

Après la Première Guerre mondiale, beaucoup d’aviateurs de toutes les armées ont eu le plus grand mal à se reconvertir.

Les Alliés craignaient l’aviation et ont interdit à l’Allemagne d’avoir une aviation. Cependant, les Allemands ont pu s’entraîner en Union soviétique avec l’accord des gouvernements bolchéviques.

Les soldats de toutes les armées savaient pertinemment qu’un nouveau conflit pouvait éclater tôt ou tard et qu’il fallait s’y préparer.

 

 

 

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