“L’île des morts”, “Mens Magna”, “Les derniers jours de Stefan Zweig”, “Le Horla”, “Macbeth”,… tous ces univers, tous ces classiques ont été retranscrits sous le style unique de Guillaume Sorel, « artisan » passionné par le cinéma, la littérature et le XIXème siècle. Les paysages, les visages et autres créatures sont magnifiquement illustrés au sein d’albums mais aussi sur de grandes toiles.
Rencontre avec Guillaume Sorel.
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Vous vous voyez comme un artisan , parfois comme un metteur en scène. On sent chez vous également une envie d’être libre. Comment garde-t-on une telle liberté artistique ?
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Il faut accepter très rarement les concessions. J’ai la chance, depuis le début, d’avoir mes projets acceptés. Je ne connais pas la galère de démarcher ou de faire l’impasse sur des envies artistiques. Même lorsqu’il y a un scénariste, je participe à l’écriture de l’histoire . C’est même parfois moi qui ai l’idée et la trame du projet.
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Après quelques expériences au sein de magazines et pour des jeux de rôles, vous vous lancez en 1991 dans le projet « L’île des morts » avec Thomas Mosdi. Les relations furent parfois difficiles avec ce dernier. Comment avez-vous conçu cette série de 5 albums ?
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Nous avions plusieurs projets à proposer. Les éditeurs étaient d’accord sur le dessin mais pas sur l’histoire. J’ai alors proposé une autre intrigue et Thomas s’est mis alors à travailler dessus. Par l’influence du cinéma, j’avais imaginé cette histoire très noire et gothique mais je n’étais pas capable de la scénariser. Après le premier tome, on nous a demandé la suite alors que nous ne savions pas où cela allait aller… Mon idée était de réaliser 5 albums traitant de 5 villes européennes. Nous aurions parler des écrivains que j’aimais, originaires de ces lieux. Mais Thomas ne lisait pas les livres auxquels je faisais référence. Il a construit l’intrigue du tome 2. Quant au tome 3 qui se passe à Prague, je lui ai donné des livres à lire et des films à regarder. Thomas n’a rien lu et n’a rien regardé. Il m’a proposé une histoire qui aurait pu se passer n’importe où. Je voulais pourtant qu’il y ait un caractère propre à Prague. Je lui ai alors proposé d’aller avec moi là-bas. Un froid s’est installé et nous avons commencé à travailler sans se voir. Le tome 4 sur Vienne a été réalisé dans les mêmes conditions. Pour le tome 5, Thomas a par contre fait de vraies recherches et nous nous sommes finalement bien entendus. Suite à la saga « L’île des morts », nous avons même retravaillé ensemble.
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Vous avez longtemps utilisé exclusivement le noir et blanc. On vous a imposé les couleurs. Vous avez su vous y habituer?
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Cela fait des années que j’ai adopté les couleurs. Je travaille mes planches en noir et blanc avec des variations de gris, de lumière et de relief. Cela va donner une teinte particulière à mes couleurs. Je crois être le seul à faire cela.
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Avec la série Mens Magna, vous explorez l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, les guerres napoléoniennes ou encore le naufrage du Titanic. La fantaisie doit-elle tout de même primer sur le réalisme ?
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Je suis en effet intéressé par ce qui se passe dans la tête des personnages plus que par l’action elle-même. La vérité historique n’est pas ma préoccupation première. Elle peut parfois même être pesante pour moi. Je préfère déformer, explorer. L’expérience de reconstitution historique la plus passionnante fut celle des « Derniers jours de Stefan Zweig » (2012). J’ai dû rechercher des références et des visuels. Ce fut passionnant.
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Pendant près de 15 ans, vous avez vécu et travaillé totalement seul et dans une quasi-obscurité avec comme fond sonore des films. Était-ce la meilleure façon pour vous de travailler ?
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Travaillant dans le noir jour et nuit, les films étaient pour moi comme une fenêtre extérieure. Je connais par cœur tous les dialogues de certains longs métrages. J’ai environ 4 000 DVD chez moi. En 30 ans, j’ai vu certains des dizaines et des dizaines de fois.
Même encore aujourd’hui je ne sors jamais de chez moi. Pendant certaines périodes, je m’enferme dans mon atelier pour travailler. Personne ne peut entrer ni même me parler. Même lorsque je descends déjeuner, je reste concentré. J’ai besoin de rester dans ma bulle.
Même encore aujourd’hui je ne sors jamais de chez moi. Pendant certaines périodes, je m’enferme dans mon atelier pour travailler. Personne ne peut entrer ni même me parler. Même lorsque je descends déjeuner, je reste concentré. J’ai besoin de rester dans ma bulle.
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Vous avez tout de même voyagé puisque vous avez travaillé sur le paysage de l’île de Guernesey.
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Oui j’y suis resté 3 jours. Ce fut mes seules vacances en 15 ans!
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Qu’est-ce qui vous fascine autant avec le XIXème siècle ?
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Pour moi, c’est le siècle charnière. C’est à la fois une période d’évolution technologique et la naissance de la psychanalyse et, à la fois une période de croyances. Il est fascinant qu’une époque puisse découvrir l’électricité et utiliser des tables avec un guéridon pour faire venir les esprits.
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Illustrer « Les derniers jours de Stefan Zweig » a été un travail de commande. Pourtant, ce fut pour vous une joie.
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C’est en effet mon seul travail de commande mais dès ma rencontre avec le scénariste Laurent Seksik, le projet est devenu vraiment passionnant. Il avait écrit le roman mais restait tout à fait ouvert à une autre interprétation graphique. J’avais lu Stefan Zweig notamment sa correspondance donc l’univers ne m’était pas inconnu. Laurent avait su raconter Zweig brillamment dans son roman. Je devais trouver mon sujet à l’intérieur du sujet. Je m’interrogeais sur comment une femme de 30 ans pas particulièrement féministe (elle était même idolâtre envers son mari) va suivre Zweig dans la mort.
Il a été très difficile de finir l’album. Laurent était même angoissé de travailler sur la fin. Durant notre avant-dernière séance de travail, nous avons déjeuné ensemble et j’ai proposé de réaliser un long travelling dans la maison vide puis finir sur les fioles de poison. A la toute fin, il y aura ce flou sur ce couple. Laurent a approuvé et il n’y a pas eu besoin de dernière séance.
Le livre sorti, Nadia Gibert de Casterman m’a demandé si je voulais travailler sur le même sujet. J’avais su étonner les lecteurs. J’ai alors travaillé sur « Hôtel particulier » (2013). Pour rester indépendant, il faut refuser la facilité.
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Vous avez également illustré « Alice au pays des merveilles« , histoire maintes et maintes fois adaptée et analysée. Est-ce difficile de travailler sur un tel classique ?
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Je l’ai fait de manière tout à fait décontractée car cela ne devait pas être édité. Alors que je travaillais sur la série Algernon Woodcock, j’ai rencontré ma compagne. Je vivais dans le Finistère alors qu’elle était à Rennes. J’allais donc faire des petits séjours là-bas. J’amenais à chaque fois du petit matériel de dessin et je me suis mis à travailler sur « Alice au pays des merveilles « . Les illustrations n’étaient pas adaptées au format d’un livre. Des années plus tard, alors que j’étais sur le projet du « Horla », j’en ai parlé à Nadia Gibert. Ce fut un travail que j’ai réalisé pour le plaisir.
Pendant le premier confinement, j’ai également réalisé des dessins sur Saint-Malo. Au bout du troisième, il y a eu l’idée de faire un calendrier.
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Vous illustrez « Le Horla » de Guy de Maupassant en 2014. Vous êtes originaire de Normandie. Y’avait-il un aspect personnel dans le projet ?
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Oui à tous les niveaux. J’ai proposé ce projet d’adaptation aux éditions Rue de Sèvres. C’était très intéressant car « Le Horla » est souvent considéré comme inadaptable. C’était la première nouvelle fantastique que j’avais lue de ma vie. Enfant, j’avais eu peur de cette histoire. Mon père adorait Maupassant et de plus c’était l’auteur local. Je vivais sur le lieu même de l’intrigue- au-dessus du pays de Caux. J’y suis retourné pour explorer la forêt.
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Vivant à présent en Bretagne, vous avez notamment travaillé sur le recueil des « Contes de l’Ankou » (2003). Le paysage & le folklore vous inspirent?
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Depuis le début oui. J’ai notamment une passion pour la ville de Saint-Malo. Je m’y balade encore de temps en temps et je lis les légendes bretonnes.
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Malgré l’aspect classique de l’œuvre de William Shakespeare « Macbeth roi d’Écosse« , il y a eu une volonté pour vous et Thomas Day une volonté de vous emparer de l’histoire : importance de Lady Macbeth et des sorcières,… Peut-on toujours adapter ce qui a été adapté en permanence depuis des siècles ?
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À partir de cette époque, je voulais travailler seul mais quand Thomas m’a présenté son scénario, j’ai été touché par notamment le travail sur le texte de Shakespeare. C’était à la fois très respectueux et innovant notamment dans les dialogues.
J’aimais beaucoup le fait que Lady Macbeth devienne le personnage principal. Elle prend ses affaires en main. C’est une femme mûre avec un enfant. Son mari décédé, elle n’a pas d’avenir dans cette Écosse médiévale. Lady Macbeth prend alors des décisions fortes et va sauver sa vie. Thomas a aimé cette interprétation et nous avons travaillé ensemble avec joie.
Nous pouvons sans cesse réinterpréter. Shakespeare, lui-même, n’avait pas d’intérêt pour la réalité historique. Le roi Duncan n’est pas mort dans son lit mais sur un champ de bataille.
Nous nous sommes inspirés davantage du film d’Akira Kurosawa « Le château de l’araignée » (1957) que de films comme celui de Roman Polanski, « Macbeth » (1971).
J’ai également aimé traiter l’aspect religieux- ce mélange du païen et du chrétien. John Boorman l’avait abordé dans son film « Excalibur » (1981).
Le tome 2, qui sort en septembre prochain, sera dans la continuité.
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Vous allez mettre fin aux collaborations. Vous allez travailler seul. Quels sont vos projets?
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Je l’avais déjà fait notamment avec « Le Horla ». J’ai plusieurs histoires qui attendent d’être dessinées. J’ai de plus en plus envie de faire de l’image plutôt que de la bande dessinée. Des expositions se préparent comme sur Venise.
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Pour en savoir plus :
Le site officiel : https://www.guillaumesorel.com/
« Macbeth, roi d’Écosse – Tome 1 Le Livre des sorcières » de William Shakespeare – Adaptation par Guillaume Sorel et Thomas Day – Editions Glénat 2019 https://www.glenat.com/24×32-glenat-bd/macbeth-roi-decosse-tome-01-9782344029466
« Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll – Adaptation par Guillaume Sorel – Editions Rue de Sèvres 2014 http://www.editions-ruedesevres.fr/alice-au-pays-des-merveilles
« Le Horla » de Guy de Maupassant – Adaptation par Guillaume Sorel – Editions Rue de Sèvres 2014 http://www.editions-ruedesevres.fr/content/le-horla-grand-format