« Le sommeil de la raison engendre des monstres » écrivait le peintre Francisco de Goya. Crocs, tentacules, griffes,… Depuis la nuit des temps, les monstres nous accompagnent pour le pire mais aussi pour le meilleur. Créatures gigantesques ou au moins difformes, elles nous fascinent à tel point que nous ne pouvons nous en séparer. Le street art lui-même n’hésite pas à les illustrer sur nos murs. Codex Urbanus le fait en décorant Montmartre avec ses multiples chimères. Rencontre avec un street artiste du posca.
Qui était Codex Urbanus avant le street art ?
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Tout d’abord je n’étais pas un artiste. Je considère qu’on ne peut se proclamer soi-même artiste. C’est aux autres de vous désigner ainsi. Je viens d’un monde où il n’y avait pas d’art. J’ai toujours dessiné mais c’était perçu comme une « passion-parasite ». Je dessinais partout, tout le temps. Pendant les cours, on m’empêchait même de le faire.
Avant Codex Urbanus, je vivais avec mon temps et je travaillais juste pour gagner ma vie.
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Comment vous êtes-vous trouvé dans la rue ?
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C’est justement cette histoire de dessin qui a provoqué cela. Même en entreprise, avec une feuille de papier et un crayon à proximité, j’allais tôt ou tard me mettre à dessiner. Puis, l’entreprise et moi, nous nous sommes séparés. J’ai commencé alors des « métiers nomades ». Je suis devenu interprète judiciaire et en même temps guide touristique. Cette fois-ci, je n’avais plus la possibilité de dessiner. Il y a eu clairement un manque. Puis, à la fin des années 2000, des clients américains m’ont demandé de réaliser un tour ayant pour thème l’art de rue à Paris. Je me suis alors renseigné afin d’organiser cette nouvelle visite guidée. Ce fut une vraie claque pour moi. Avant cela, je croyais que le street art était un milieu de semi-délinquants puis, après une étude, je me suis rendu compte qu’il y avait toute une histoire artistique et une véritable volonté sauvage de faire de l’art. Je me suis reconnu dans ces artistes qui, perdus dans leur vie, se mettent à dessiner dans la rue.
J’étais également interprète judiciaire. Je passais mon temps dans les commissariats où je devais retranscrire des dialogues sur des affaires de stups, de kidnapping ou de proxénétisme. Entre la police et le prévenu ou le témoin, j’étais le filtre neutre – celui qui était entre les deux parties. Je sortais parfois à 3 heures du matin. Les rues étaient désertes et j’avais besoin de dessiner sur les murs. Même encore aujourd’hui, lorsque je commence un dessin, il y a un vrai côté exutoire. Toutes les pensées négatives partent dans le mur.
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En plus d’être artiste, vous avez également écrit « Pourquoi l’art est dans la rue ? Origines et contours d’un mouvement majeur et sauvage de l’Art Contemporain » (2018), véritable manifeste. Le street art va-t-il continuer à bouleverser le monde de l’art selon vous ?
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Je me suis interrogé : pour quelles raisons un artiste décide de dessiner sur les murs ? Alors que je dessinais depuis toujours, personne ne portait d’attention à ce que je faisais. Au moment où j’ai utilisé un mur comme support, on m’a alors vu comme un artiste. Notre monde a tué l’art. Ceux qui voulaient juste réaliser des dessins n’avaient plus de place – que ce soit dans les galeries ou dans les institutions artistiques. L’art est à présent dans la rue. Il est gratuit et illégal. Un tel mouvement n’a pas de précédent historique avant les années 60. Le livre vient de ce constat. Pourquoi nous voulons dessiner dans la rue ? Comment des artistes comme Pignon-Ernest ou Basquiat se sont approprié l’espace public ? Même encore aujourd’hui, à l’exception du Mucem à Marseille (qui est en plus un musée d’anthropologie), les grandes institutions publiques d’art contemporain ne portent aucune attention au street art. Le mouvement est pourtant partout dans le monde. Pourquoi ce manque d’intérêt ?
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L’illégalité et le street art sont-ils indissociables ?
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Ils le sont en effet mais c’est un dommage collatéral. Le street art est le fait de faire de l’art sans autorisation. En s’affranchissant de toute permission on peut à la fois rester libre et montrer son travail. Mais en dessinant sur un mur qui n’est pas le vôtre, on se met dans l’illégalité.
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Le fait de vivre aux États-Unis et au Mexique a-t-il influencé votre art ?
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Tout a de toute façon une influence pour un artiste. J’ai été au Burning man et cet événement a en effet été une révélation pour moi. Tout subitement me semblait pour moi possible.
Le Mexique et ses mythologies ont également été une grande source d’inspiration pour moi. Même en France, nous baignons dans un monde où l’imaginaire est très présent.
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Paris est-il un monde à part pour vous ?
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Nous pouvons certes critiquer le prix de l’immobilier et le comportement des Parisiens (en bons parisiens que nous sommes), nous avons tout de même une grande chance de vivre dans une ville unique. Paris est une capitale du street art. Dès les années 60, les grands artistes comme Ernest Pignon-Ernest sont Parisiens. Au même moment, le tag et le graffiti apparaissaient sur la côte Est des États-Unis de façon totalement indépendante. Ces artistes ont proposé dans la rue un art gratuit et accessible à tous. Pourtant, ils ne se connaissaient pas… Au fond, on peut presque considérer que le street art parisien ne découle pas du graffiti. L’usage du pochoir est lui aussi très parisien. Dès 1984, Blek le rat déclare qu’il s’inspire avant tout d’Ernest Pignon-Ernest. Banksy, lui, s’inspire de Blek le rat. Dans l’art urbain, Paris a été précurseur et occupe définitivement une place à part.
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Goya, Bosch, Grünewald, peintres d’un monde perturbé, ont utilisé les monstres comme expressions. La chimère est-elle un symbole pour vous ?
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Nous sommes tous des chimères, ces créatures à la fois étranges et monstrueuses. Il n’y a pas de norme. Nous devons accepter nos différences et nos imperfections. La chimère représente la diversité. J’ai dessiné des centaines de monstres car notre monde est imparfait. Nous avons tous nos parts d’ombres à gérer.
Lorsque je réalise mes dessins, je fais tout au dernier moment. Je n’ai pas besoin de beaucoup de matériel (des marqueurs Posca) et je ne cible jamais un mur particulier. C’est le dessin qui va s’adapter au mur.
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La nature est-elle une source d’inspiration inépuisable ?
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Je pars sur deux animaux pour faire une espèce qui n’existe pas. C’est fantastique. J’ai une vraie obsession pour la nature. Dès l’enfance, j’étais impressionné par les insectes aquatiques comme les libellules.
Je trace une route particulière dans le monde du street art qui plaît aux enfants mais que les adultes trouvent étranges.
Animal vient du latin animus, l’âme. L’animal c’est l’autre. Les seuls véritables êtres vivants avec qui nous pouvons communiquer sont les animaux.
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Vous avez co-écrit avec Chrixcel « Le bestiaire fantastique du street art » (2018). Le monstre est-il celui qui s’étale le mieux sur un mur ?
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Le monstre a un côté primaire qui nous parle immédiatement. L’art urbain, plus proche de nos racines, s’oppose à l’art académique. Depuis les grottes de Lascaux, nous avons une continuité dans la réalisation de bestiaires. Les street artistes, bien souvent autodidactes et ayant grandi avec la culture pop, se sont approprié le genre. Même dans le cinéma, les plus grands succès sont des films fantastiques. Le street art reflète notre propre époque. Les passants ont besoin de rêver. Des familles entières viennent explorer la Butte aux Cailles, le canal de l’Ourcq ou encore Ménilmontant à la recherche des images qui les transportent ailleurs.
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Codex peut-il être Campus (campagne) ?
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L’art urbain doit être dans la rue et donc dans la ville. C’est tout à fait possible de réaliser des œuvres sur notamment des granges mais, vivant à Paris, je préfère rester dans ma ville. J’aime le street art local. Lorsque je visite une ville, j’apprécie de voir les différences artistiques. Codex Urbanus est avant tout à Montmartre. Je ne souhaite pas être partout.
Mes œuvres dessinées avec un posca sont facilement recouvertes par les services de la Ville de Paris. Si je veux avoir une existence artistique, je dois cibler un quartier particulier afin de pouvoir y rester un peu avant de disparaitre…
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Durant le premier confinement, vous avez réalisé une série de dessins sur les grandes épidémies. Était-ce une façon de rire de ce qui nous arrivait ?
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J’ai réalisé cette série de dessins, le « codex pestilensis », la première nuit du confinement là où c’était encore possible de sortir.
La crise du coronavirus s’inscrit dans une longue cohorte de fléaux qui ont frappé l’humanité. Fléaux dans lesquels l’humanité a souvent une part de responsabilité. L’Oxycodone est notamment une drogue destructrice et il s’agit d’une épidémie destructrice où des médecins rendent accrocs leurs propres patients, dans des proportions dantesques. De même, des désastres de santé publique liés à des catastrophes écologiques nous hantent encore, comme Erika ou Fukushima. Tous ces maux sont les cavaliers de l’Apocalypse de notre époque, et la COVID-19 n’en est qu’une parmi tant d’autres…
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Quels sont vos projets ?
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L’année 2021 marque les 400 ans de la naissance de Jean de la Fontaine, artiste absolument incroyable. Je suis fasciné par sa manière d’orchestrer la puissance évocatrice des animaux pour parler des hommes et des femmes. En hommage à ce poète, j’ai décidé de composer et d’illustrer non pas ses fables à lui, les « Fables Choisies », mais de nouvelles fables mettant en scène mes chimères, les « Fables Subies ». En effet, une nouvelle fable sera collée à Montmartre chaque semaine pendant toute l’année 2021 . L’exercice est difficile car il faut donner aux chimères des caractères aussi évidents que la lenteur pour la Tortue ou la ruse pour le Renard. C’est très ambitieux mais c’est vraiment jubilatoire !
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Pour en savoir plus :
Le site de Codex Urbanus : http://www.codexurbanus.com/
Le compte Instagram : https://www.instagram.com/codexurbanus/?hl=fr
La page Facebook : https://www.facebook.com/codexstreetart/
Les livres :
« Pourquoi l’art est dans l’art ? Origines et contours d’un mouvement majeur et sauvage de l’Art Contemporain » de Codex Urbanus – Éditions Collectif 2018 https://www.cultura.com/pourquoi-l-art-est-dans-la-rue-origines-et-contours-d-un-mouvement-majeur-et-sauvage-de-l-art-contemporain-9782370260680.html
« Le Bestiaire fantastique du street art » de Chrixcel & Codex Urbanus – Éditions Alternatives 2018 https://www.amazon.fr/Bestiaire-fantastique-street-art/dp/207275397X