Une colline, un visage, une côte, une guitare, tout est unique dans le style de Loustal. Grand dessinateur et peintre, Jacques de Loustal s’est illustré chez Métal hurlant, Rock & folk ou encore (À suivre). Observateur, Loustal parcourt également le monde à la recherche du paysage et de l’instant unique à illustrer. Rencontre.

 

 

Vous avez connu une période artistique incroyable avec les influences de la ligne claire, de Gustave Doré se liaient à la culture post mai 68. Votre style enrichi par une formation d’architecte s’est intégré facilement à toutes ces influences?

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J’ai en effet vécu une période miraculeuse. J’ai été nourri par des revues de bandes dessinées de grande qualité dans les années 70 telles que Pilote, L’Echo des savanes, Métal Hurlant ou (À suivre). Tous ces maîtres qui travaillaient pour ces revues nous ont donné l’envie de dessiner. Même si moi-même, j’aimais faire du dessin, je n’imaginais pas en faire un jour mon métier. Pour des raisons familiales et culturelles, j’avais choisi la voie de l’architecture, un métier pour lequel le dessin comptait. Pendant mes études aux Beaux-arts, par le biais des fanzines, j’ai rencontré d’autres passionnés de dessin. Moi Je n’étais pas dans l’urgence. J’ai mis 8 ans à faire mes études au lieu de 6 car je dessinais beaucoup d’illustrations ou de bandes dessinées pour des revues comme Rock & folk ou Métal Hurlant. Mes dessins ou courtes histoires étaient publiés de temps en temps. En parallèle de mes études, je voulais partir en coopération et éviter ainsi la caserne. Mes études terminées en 1981, je suis parti au Maroc pendant un an et demi comme architecte. À l’époque, j’avais déjà publié un album de dessins et deux bandes dessinées. Lorsque je suis sablerevenu en France en 1983, personne ne m’attendait dans l’architecture alors que dans le dessin, des gens comme Jean-Paul Mougin, rédacteur en chef de A suivre ont voulu me publier. J’ai alors retravaillé avec Philippe Paringaux pour réaliser de plus longues histoires ensemble. C’était comme de passer des courts à des longs métrages. J’aime beaucoup le parallèle entre le dessinateur et le réalisateur. Je suis moi-même un grand cinéphile. avec la bande dessinée, j’aime beaucoup le moment où je mets au point le story board. D’ailleurs, je suis plus influencé par le cinéma que par certaines bandes dessinées. J’aime m’associer à des écrivains, j’attache beaucoup d’importance au style, aux ambiances, je préfère travailler sur les atmosphères que sur l’action.

 

 

Vous avez réalisé la grande majorité de vos œuvres avec des écrivains stylistes comme Philippe Paringaux, Jerôme Charyn, Jean-Luc Coatelem, Tonino Benaquista ou encore Paul Auster. Le travail à deux est-il plus constructif?

 

 

C’est plus enrichissant en effet. Vous dessinez ainsi des univers que vous n’auriez pas pu imaginer. J’aime travailler avec des personnalités avec qu’il y a une compréhension tacite, des références communes. C’est difficile à trouver de telles connexions. Avec Philippe Paringaux, il y avait cette compréhension qui fonctionnait très bien. Avec d’autres, ce ne fut pas aussi simple.

 

 

Vous avez tout de même réalisé des albums seul comme « Zenata à la plage », « Arrière saison » et « Insolite »?

 

 

« Zenata » était avant tout un recueil de dessins que j’avais réalisé au Maroc. J’ai écrit en effet seul « Arrière saison » mais c’étaient des histoires courtes. En premier lieu, j’ai des images en tête que je mets en place. J’imagine une histoire comme une petite chanson pour lier les images que j’ai imaginées. Je voulais planter un décor avec une ambiance. L’intrigue ressemble au début d’un récit mais cela n’allait pas plus loin. Par contre, j’ai besoin d’un scénariste pour une longue histoire. Avec « Insolite », la presse suisse de Zurich avait demandé à 4 dessinateurs d’adapter en BD un fait divers, chaque semaine.

 

 

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Y’a-t-il des musiques à écouter lorsqu’on vous lit?

 

 

On pense au jazz, bien sûr, ou des musiques d’atmosphères, en fait des musiques de otefilms…Un disque de jazz a d’ailleurs été enregistré pour la bande son à l’album ‘Barney et la Note bleue’. Je l’ai traité comme un hommage aux films français des années 60 dont la musique était très souvent du jazz. Barney Wilen avait joué sur les bandes originales de films comme « Ascenseur pour l’échafaud « , « Un témoin dans la ville » ou « Des femmes disparaissent. ».

J’écoute toute la galaxie rock et du blues. J’aime beaucoup également les musiques de films qui m’ouvrent à d’autres genres musicaux comme celles d’Ennio Morricone, de Trent Reznor ou d’Angelo Badalamenti.

 

 

Vous avez également réalisé des albums de photos. Doit-on avoir une harmonie entre la photo et le dessin ?

 

 

Les 2 se complètent. J’ai aimé développer mes propres photos. Même lorsque je travaillais pour « Rock & folk, », j’apportais des photos d’ambiance des rues de Londres que finalement je dessinais. Lors de certains voyages où je n’ai pas trop le temps de dessiner sur le motif, j’utilise mon appareil photo. Dès que quelque chose m’interpelle, je le prends en photo. C’est comme un carnet de notes.

 

 

Il y a une part importante des femmes dans vos illustrations. Quelles sont leurs caractères ?

 

 

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Elles doivent toujours être mystérieuses. Le regard doit montrer beaucoup. Lorsque le
réalisateur Pierre Salvadori m’a demandé de dessiner Marie Trintignant pour l’affiche de « Comme elle respire », je n’ai pas eu besoin de m’inspirer d’une photo. Elle avait un visage qui correspondait aux femmes que j’aimais dessiner. Salvadori a même offert un de ces portraits à Marie Trintignant.

Je dessine souvent le même type de femmes. Cela peut être un problème mais disons que c’est comme si un réalisateur dirigeait toujours la même actrice.

 

 

 

Avec « La nuit de l’alligator » vous quittez subitement Métal Hurlant qui ne publie pas votre histoire. Les plus belles histoires d’amour finissent-elles toujours mal?

 

 

C’était inéluctable. La revue (À suivre) proposait le roman en bande dessinée. On n’appelait pas ça encore du roman graphique. Il s’agissait de longues histoires très écrites. Philippe Paringaux et moi-même étions séduits par le concept. Il n’y a pas eu de rupture violente avec Métal Hurlant. Cette revue m’a tant donné. Je me souviens encore avoir lu dans ma chambre le premier numéro. C’était un moment extraordinaire. Druillet, Moebius, Dionnet ont considérablement élargi le champ de la bande dessinée. Avec (À suivre), j’ai trouvé ma place.

 

Comment avez-vous imaginé les illustrations des livres de Georges Simenon?

 

 

Dès que je lis quelque chose, je vois toujours des images. J’ai toujours été sensible aux écrits de Simenon. Illustrer un auteur que je ressens n’est pas une difficulté pour moi. Je lis une première fois le livre. La deuxième fois, j’esquisse toutes les images qui me passent par la tête, puis je fais le tri et ne garde que les images les plus intéressantes.

 

 

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Avec Maigret et « Pigalle 62.27 », vous avez illustré un Paris obscur des années 50-60. Avec l’affiche Paris plage, c’est une ville tropicale et solaire. Pour illustrer Paris, devez-vous le transformer?

 

 

Le Paris d’aujourd’hui m’inspire très peu Je le transforme ou le place dans un contexte différent. Né en 1956, je me souviens d’un Paris noir. J’ai du mal à dessiner mon quotidien, j’ai besoin d’une vision neuve pour déclencher l’envie de dessiner…

 

 

Vous illustrez magnifiquement la nature. Est-elle un personnage à part entière ?

 

 

J’apprécie notamment de dessiner les animaux. C’est un pur espace de liberté. J’ai un batodessin semi-réaliste. Avec des animaux comme les chiens, les oiseaux et les poissons, je m’évade. J’ai comme une palette sur laquelle je peux mettre les couleurs que je veux. Dans mes peintures, j’utilise souvent les oiseaux comme contre-points de couleurs.

Avec ma grammaire graphique, j’aime également représenter la forêt. Je m’inspire du Douanier Rousseau car à défaut de voyager, il utilisait son imagination et a mis au point un fascinant système de représentation du monde végétal .

 

 

Le voyage fait partie intégrante de vos œuvres. En ces temps de confinement et de restrictions, vos albums ont-ils alors une part plus importante de rêve pour vos lecteurs?

 

 

Mon dernier album « Aux antipodes » a été terminé pendant le premier confinement. Il relate 5 années de voyages. J’espère qu’il permettra au lecteur de pallier à l’absence de voyages en ce moment ;mon dernier voyage , c’était l’année dernière en Islande, j’ai adoré, depuis j’ai annulé deux projets, dont un en Nouvelle Ecosse. Aujourd’hui j’ai tendance à privilégier les grands espaces vides…

 

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Pour en savoir plus :

 

Le site de Loustal :

https://www.loustal.com/

« Aux antipodes » de Loustal – Editions La table ronde 2020 https://www.editionslatableronde.fr/aux-antipodes/9791037107480

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