« Là, dans les profondeurs près de l’eau sombre, vivait le vieux Gollum, une petite créature visqueuse. » Ainsi est présenté Gollum, créature unique de la Terre du milieu, ce vaste monde imaginé par un seul esprit, J.R.R. Tolkien. Pour la première fois dans « Le hobbit » (1937), Gollum réapparait dans les trois volumes du « Seigneur des anneaux » (1954-1955). Personnage complexe à l’aspect monstrueux, âgé de six siècles, tourmenté entre le Bien et le Mal, Gollum a laissé de profonds souvenirs aux lecteurs puis aux spectateurs des films de Peter Jackson.

Entretien avec l’association Tolkiendil afin de dresser un portrait de ce paria de la Terre du milieu.

Quelles sont les inspirations de J.R.R. Tolkien pour la création de son personnage Gollum ?

 

 

 

Pour comprendre quelles sont les inspirations ayant servi à composer le personnage de Gollum, il est d’abord nécessaire d’en retracer brièvement l’évolution dans l’imaginaire de Tolkien. Avant Tolkien, et avant le Hobbit, il y a le Glip. Le Glip, c’est une créature vivant dans la baie de Bimble, que Tolkien imagine et dépeint dans un poème composé probablement en 1928. Il vit dans une caverne sous les falaises, rampe au-dehors quand vient la nuit vient, et se repaît des os laissés par les sirènes. Signe caractéristique, ses yeux, comme ceux de Gollum, émettent deux faisceaux lumineux dans l’obscurité ; Tolkien, pour effrayer ses enfants, jouait d’ailleurs au Gollum en plaçant deux lampe-torches sous ses yeux afin de mimer ce trait distinctif. Ensuite, le Gollum des premières versions du Hobbit est plus massif, plus volumineux que ce que devait devenir ultérieurement le personnage. Ce n’est qu’après avoir pris la décision, lors de la rédaction du Seigneur des Anneaux, de faire de Gollum un Hobbit, qu’il en revisitera les caractéristiques physiques et modifiera le texte du Hobbit en conséquence.

Gollum, donc, était initialement plus effrayant, plus menaçant qu’il ne l’est devenu par la suite. Reste à avancer des hypothèses quant aux sources d’inspiration de Tolkien pour sa création. Dans son ouvrage The History of the Hobbit, John D. Rateliff propose plusieurs pistes pour retrouver l’inspiration derrière ce “monstre invisible” : Sir Garlon, le frère du Roi Pêcheur dans le Morte d’Arthur de Thomas Malory, l’Homme Invisible, de H.G. Wells, le Horla de Maupassant, ou encore, une créature mise en scène dans la nouvelle ‘What was it’, de l’écrivain irlandais Fitz-James O’Brien. Cependant, Gollum rappelle irrésistiblement et avant tout Grendel, le monstre dévoreur d’hommes du poème vieil-anglais Beowulf. ComGRENDELme Gollum, il vit à la périphérie du monde civilisé, occupe un repaire souterrain et aquatique, et présente une semblable physionomie difforme. D’une manière anecdotique, Alan Lee, à qui l’on doit une édition illustrée du Seigneur des Anneaux, a proposé une interprétation de Grendel dans son ouvrage Castles ; or son Grendel apparaît extrêmement similaire au Gollum tel qu’il se l’appropriera plus tard. Soulignons ici que le personnage de Grendel inspire aussi celui du prince Háma, fils de Helm Mainmarteau, rendu fou par la famine et la mort de ses compagnons ; à travers cet exemple comme à travers le personnage de Gollum tel qu’il évolue dans le Seigneur des Anneaux, on voit se dessiner une méditation tolkienienne sur le monstre, sur les raisons de son éloignement du monde et sur les logiques de son comportement meurtrier. Loin d’édulcorer la figure du monstre ou de l’adoucir, Tolkien au contraire la met tout à la fois en lumière et en chair. L’élaboration du personnage de Gollum participe donc de cette inspiration plus générale.
 

 

La découverte de l’Anneau unique a profondément bouleversé la vie de Sméagol. Il devient tour à tour assassin, voleur puis, surnommé Gollum, il est un paria errant pendant des siècles. Quelle est sa relation avec ce précieux objet ?

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La vie de Sméagol a bien sûr changé : le pouvoir de l’Unique lui a donné une vie exceptionnellement longue, de presque six siècles, durant laquelle l’anneau a été littéralement son seul compagnon, en même temps que la seule chose qu’il possède en-dehors de lui-même. Au cours de cette longue cohabitation, leurs volontés ont tendu à se confondre et Gollum a perdu son indépendance au bénéfice de l’Anneau, le rendant incapable de songer s’en débarrasser, et le conduisant aussi à le haïr. L’anneau est donc l’alter ego de Gollum, même s’il ne lui appartient pas et que Gollum n’aura de cesse d’espérer se l’approprier, jusqu’à la Montagne du Destin. C’est un artifice de tous les Anneaux de Pouvoir que leurs détenteurs les chérissent jusqu’à ce qu’ils se soumettent au Seigneur des Ténèbres ; cependant Gollum a obtenu l’Unique par le meurtre et pas par Sauron, et celui-ci ne s’est pas déclaré ; ainsi, contrairement aux Nazgûl, reste-t-il dans sa caverne à voir l’anneau comme son bien propre. C’est pourquoi sa relation d’amour-haine et de protection-dépendance à l’égard de l’Unique fait de lui le premier rival de Sauron, avec qui il partage la même obstination à récupérer l’Unique pour des raisons d’ordre vital. Ce désir de possession ne peut que le conduire à refuser la souveraineté de Sauron sur l’Anneau, bien qu’il connaisse le lien qui les unit, et donc à ne pas être un agent du Mal à proprement parler. En n’étant fidèle qu’à l’Anneau, il se montre indépendant des luttes qui l’entourent, et un personnage central de l’œuvre.

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En quoi Gollum est une créature unique dans l’univers de la Terre du Milieu ?

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La réponse à cette question ne peut qu’être ambivalente. D’une part, Gollum n’est certainement pas une créature à part : il s’agit d’un Hobbit, un Fortaud plus précisément, issu de l’une de ces communautés s’étant établies sur les bords de l’Anduin au Troisième Âge. De par ses origines, Gollum est donc tout à fait ordinaire, du moins aussi ordinaire que peut l’être un Hobbit. Cependant, les autres Hobbits ne l’identifient spontanément pas comme tel : ils l’apprennent en effet de Gandalf, et Bilbo par exemple, lorsqu’il rencontre Gollum dans la caverne sous les Monts Brumeux, ne s’imagine certainement pas qu’il a affaire à un pair. C’est que Gollum est, de toutes les créatures peuplant la Terre du Milieu, la plus altérée. Il a en effet porté l’Anneau Unique pendant près de six siècles, soit largement plus qu’aucun autre être de la Terre du Milieu à l’exception du Sauron qui, étant le maître incontesté de l’Anneau, n’en ressent pas la corruption. De ce fait, Gollum a été comme travaillé par l’Anneau, ce qui en fait comme une incarnation physique et morphologique du pouvoir corrupteur de l’Unique. En ce sens, il se distingue bien des Nazgûl, lesquels sont des spectres, et peuvent voir le Porteur de l’Anneau lorsqu’il est invisible : Gollum, lui, voit Bilbo lui échapper, signe que malgré son contact prolongé avec l’Anneau, il n’a en aucun cas été happé par ce monde spectral et demeure une créature intégralement incarnée et physique. Dire que Gollum est un Hobbit se révèle donc inexact : par la transformation graduelle qu’il a connu, il s’est éloigné de tout le reste des créatures vivantes de la Terre du Milieu, au point de devenir un être terrifiant, marginal, étranger à tout, illustrant ainsi, par sa métamorphose, le marrissement irrésistible exercé par l’Anneau.

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Soviet GOLLUM

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La personnalité de Sméagol a-t-elle totalement disparu ?

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Il est courant de voir dans Gollum un personnage schizophrène, construit autour d’un Sméagol authentique et d’un Gollum possédé, ce qui vient de la plus ou moins grande emprise que l’Unique exerce sur tous ses porteurs, ainsi que sur Boromir. Peut-on dire que Frodo n’est plus lui-même, lorsqu’il refuse de jeter l’anneau dans le feu du Destin ? Dans tous les cas, Gollum et Sméagol ne sont qu’une seule et même personne, plus ou moins tentée par la rédemption proposée par Frodo, et en prise avec la volonté de l’Unique.
L’Anneau ne change pas la personnalité de ses porteurs, mais leur confère un pouvoir à leur mesure : c’est ainsi que Sam se rêve en jardinier, et que Gandalf se serait érigé en défenseur du Bien. Le bonheur de Gollum réside, dès avant son expulsion de son village, dans des plaisirs simples, l’opulence du poisson, l’eau fraîche plutôt que le soleil. Ce plaisir se retrouve dans sa caverne des Monts de Brume, et au Lac interdit d’Ithilien. Les rêves de grandeur d’un Gollum le Grand, d’un Lord Sméagol, ne sont pas le pouvoir et la gloire, mais d’avoir du poisson frais de la mer, trois fois par jour. L’Anneau ne fait donc qu’exacerber ses sens et lui donner une vie plus longue pour son propre bénéfice, afin de disposer de sa volonté. Mais contrairement aux Hommes, qui étaient devenus des Nazgûl, sa nature de Hobbit lui permet de résister plus longtemps au maléfice, il cesse de mettre l’anneau à son doigt, et il ne « s’évanouit pas » en spectre. C’est pourquoi Gandalf dit de lui qu’il n’était pas complètement absorbé par l’Anneau, et qu’il lui restait une petite part de son esprit qui lui appartenait encore en propre.

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Gollum devient un temps le complice de Shelob [Araigne en français], l’araignée géante. Sa condition l’a-t-elle obligée à devenir un serviteur ?

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Il s’agit plutôt d’un échange de bons procédés. Gollum se fait capturer par AraignSHELOBe alors qu’il tente de s’introduire au Mordor, 30 ans avant son second passage avec Frodo. En échange de sa vie, Gollum s’associe à Araigne, en lui promettant de lui apporter de la nourriture. Leur association n’est peut-être pas si étrange que cela, quand on sait que Gollum est lui-même décrit comme une créature à l’aspect arachnéen et ce, dès la première rencontre entre Gollum et Frodo et Sam, où il est comparé par Sam, à « une sale araignée en train de ramper sur un mur ». Quelques secondes plus tard, il tombe de la paroi rocheuse, et Tolkien précise qu’ « il se roula en boule, comme une araignée dont le fil est soudainement rompu dans sa descente » pour amortir sa chute.



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Le souhait de lancer des énigmes à Bilbo le Hobbit, sa potentielle proie, montre-t-il que Gollum cherche également à sortir de sa solitude ?

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Il est clair que Gollum apprécie de parler avec quelqu’un qui le sorte de sa solitude des Montagnes de Brume. Les seules créatures qu’il y rencontre sont les Orques, avec qui ils n’entretient pas de rapports, et sans doute ne parle-t-il qu’à l’Anneau. Sa rencontre avec Bilbo et les énigmes font ainsi surgir sa culture de Hobbit qui est un lien avec le monde extérieur, preuve qu’il est un être acculturé et pas seulement sauvage. Elles lui apportent aussi des souvenirs. Néanmoins, ce n’est pas la rencontre avec Bilbo qui le décide à sortir de sa caverne, mais l’absence de l’Anneau, qui est la seule solitude qu’il cherche à combler et qui surclasse tous ses autres besoins, jusqu’à l’entraîner à la mort. Tolkien ne montre d’ailleurs pas ce qu’aurait été la vie de Gollum une fois l’anneau détruit, car il semble impossible pour ce personnage de vivre sans son alter ego matériel.
 

 

En quoi Gollum a-t-il finalement pu aider Sam et Frodo à détruire de l’Anneau ?

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Gollum a-t-il réellement aidé à la destruction de l’Anneau ? Il y a à cela une réponse évidente, et pourtant profondément intéressante : c’est la voracité de Gollum, son désir dévorant pour l’Anneau, qui en cause finalement la perte. D’une manière un peu paradoxale, c’est donc l’attrait suprême exercé par l’Anneau, attrait qui lui valut de se soustraire à la destruction lorsqu’Isildur faillit à le lancer dans les flammes des Sammath Naur, qui signe cette fois sa perte, tant Gollum est rendu fou de l’ivresse du désir. Plus que la détermination de Frodo, qui GOLLUM FROGfaiblit, c’est donc la convoitise de Gollum qui signe la destruction de l’Unique. En ce sens, l’objet de la Quête semble se transformer : c’est autant Gollum que l’Anneau qu’il fallait acheminer jusqu’au Mont Destin, Gollum qui est à la fois un fardeau et une aide, un recours qui suppose sans cesse la possibilité de la traîtrise, Gollum qui, tout comme l’Anneau avec lequel il s’identifie presque, tout à la fois terrifie et fascine. Les Hobbits, dans la scène finale au Mont Destin, ne sont alors que les catalyseurs d’une destruction rendue presque inévitable par le désir rendu fou de Gollum pour l’Unique, désir qui conduit au déséquilibre fatal. On peut aussi enrichir cette réponse en soulignant le rôle joué par Sam, notamment lorsqu’il fait montre d’une résistance surprenante à l’attraction exercée par l’Anneau dans l’épisode de Cirith Ungol. On peut en effet suggérer que Sam ne dissocie plus Gollum de l’Anneau, que la séduction de ce dernier est comme annulée par la répugnance inspirée par Gollum, qui en manifeste en plein le caractère corrupteur.
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Au cinéma et à la télévision, Gollum change-t-il ou reste le même que dans les livres de Tolkien ?

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Globalement, le personnage est plutôt bien transposé. La seule différence, mineure, que l’on peut souligner, c’est que le Gollum des films semble posséder neuf dents, plutôt que six dans les livres. Pourquoi trois de plus ? Seul Peter Jackson doit le savoir.

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GOLLUM JACKSON

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Pour en savoir plus :

http://www.tolkiendil.com/bienvenue

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