Stephen King est un phénomène qui a envahi nos écrans tout en continuant à remplir nos bibliothèques. Après les succès des films comme Ça en 2017, Simetierre en 2019 ou encore la série Mr. Mercedes, les adaptations cinématographiques et télévisuelles vont continuer de plus belle.
Depuis les années 70, les histoires de Stephen King ont été adaptées. Aperçu avec Emilie Fleutot, créatrice du site https://stephenkingfrance.fr/
Pour quelles raisons, selon vous, les œuvres de Stephen King sont souvent adaptées au cinéma, à la télévision ou au théâtre ?
À l’origine je pense : car il raconte des histoires universelles très ancrées dans le réel. Ce qui fait qu’il n’est pas facile à adapter (les meilleures adaptations sont sur ses nouvelles ou ses romans les plus courts, de toute façon), mais je pense que ce côté « proche de nous » et « plausible » dans tout ce qu’il raconte donne envie de le porter sur écran, pour y donner vie.
Et de plus en plus, surtout depuis le succès intersidéral du nouveau Ça (sorti en 2017) : King est devenu un nom qui fait de l’argent. Il l’a toujours été mais maintenant qu’on sort d’un tunnel d’adaptations de mauvaise qualité et que l’on commence à avoir un public friand de ce genre d’histoires (l’horreur n’a jamais été autant à la mode même si King est loin de ne faire que de l’horreur), les réalisateurs ne se gênent pas pour soit essayer de se faire de l’argent (il n’y a aucun mal à ça, tant que c’est bien fait), soit porter à l’écran leur histoire préférée qu’ils lisent 2 fois par an depuis qu’ils sont jeunes (il y a un peu de ça avec Josh Boone qui va adapter Le Fléau).
On est sur une « renaissance Stephen King » qui est un cercle vertueux.
Le succès du film Carrie au bal du diable (1976) a-t-il relancé la carrière de Stephen King ?
Il ne l’a pas relancée, car Carrie est le premier roman de Stephen King à avoir été publié, donc sa carrière débutait à peine même s’il cherchait à se faire publier depuis longtemps.
Mais Carrie a à peine été publié que les droits d’adaptation ont été achetés, par un grand réalisateur (Brian de Palma) qui plus est. Aucun doute que cela a mis un gros coup de projecteur sur son travail en tant qu’écrivain puisque la version poche de Carrie a eu un succès colossal aux États-Unis suite à la sortie du film.
Pour quelles raisons Stephen King a une mauvaise opinion au sujet de l’adaptation de Shining par Stanley Kubrick en 1980 ?
C’est un bon film, mais une mauvaise adaptation.
Dans une interview que j’ai récemment traduite, il utilise sa métaphore préférée à ce sujet :
« J’ai pu l’apprécier autant que tu peux apprécier une belle Cadillac sans moteur. C’est un très beau film à regarder. La musique est superbe. Je l’ai déjà dit. Mon avis c’est qu’il n’y a aucun personnage du livre. Jack Torrance est normalement un homme sympa qui essaye d’aller mieux pour sa famille et pour lui-même. Jack Torrance joué par Jack Nicholson : il est fou dès la première minute quand il est dans le bureau d’Ullman. Kubrick a pris un livre fort, effrayant, plein de suspens et en a fait un film vide. »
Source : https://stephenkingfrance.fr/2019/03/histoire-horreur-traduction-conversation-stephen-king-eli-roth/
Kubrick n’a pas respecté les personnages : Jack est fou dès le départ ce n’est pas le cas chez King, et Wendy est une geignarde insupportable, ce n’est pas le cas non plus chez King.
Il ne raconte pas non plus la même histoire : King raconte une histoire de violence domestique sur fond de combat contre l’alcoolisme. L’hôtel hanté n’est que la métaphore des démons intérieurs de Jack.
Kubrick raconte l’histoire d’un homme sous l’influence d’un hôtel hanté, ça n’a rien à voir et c’est très frappant quand on lit le livre et voit le film.
Stephen King est-il très impliqué sur les adaptations de ces romans ou laisse-t-il une certaine liberté aux metteurs en scène ?
Il l’est de moins en moins, il se fait vieux et il est fatigué : il veut passer son temps à écrire, profiter de sa femme, leurs chiens et donner des conférences sur la littérature.
Il lit des scripts, ou des projets, pour s’assurer que « l’essence » de son histoire est toujours là, mais il ne s’en préoccupe pas plus que ça alors que les réalisateurs et producteurs eux cherchent à tout prix son approbation. Ce qui fait qu’il approuve un peu tout et n’importe quoi (je pense à La Tour Sombre) mais il se dit qu’après tout, pourquoi pas, pourquoi brider la vision de quelqu’un d’autre.
Il est pour l’art visuel, il admet qu’on a des interprétations différentes de certains éléments, donc il est très souple en la matière.
Quelle est la génèse de la série Creep show (1982) ?
C’est plus un film à sketch qu’une série 😉
King en a parlé ici : https://stephenkingfrance.fr/2019/03/histoire-horreur-traduction-conversation-stephen-king-eli-roth/
« Romero voulait qu’on travaille ensemble et je lui ai dit “faisons de l’horreur façon comédie, montrons un mec qui sort les poubelles et avant qu’on s’en rende compte *bruit d’explosion* le sang gicle de partout”. George a dit “pourquoi pas mais on pourrait faire plusieurs histoires comme Les Contes de la Crypte. Et j’ai dit ok, faisons ça. »
Quels sont, selon vous, les adaptations les mieux réussies ?
Les plus fidèles pour moi sont La Ligne Verte, Stand by Me, Les Évadés, Christine, Carrie (la version de de Palma !!), Misery, 1922, 22/11/63, Ça 2017…
Mr Mercedes est en train de prendre des libertés et je trouve que malgré tout, c’est une très très bonne adaptation.
Mais il y en a beaucoup ! On ne parle que des mauvaises, car il y a eu trop de mauvaises adaptations, mais il y a tellement d’adaptations dans le lot qu’il y en a quand même pas mal qui sont très bien !
Les films comme Stand by me, Misery ou Les évadés ont-ils dépassé les enjeux des romans ?
Pas du tout ! Ils sont très fidèles, donc les enjeux sont les mêmes. Mais je dirais qu’ils ont en quelque sorte sublimé ce que King a écrit. La réalisation et le casting sont si parfaits que je ne peux plus lire les textes sans avoir les images des films en tête. Ce sont des très bons exemples de ce qu’on pourrait conseiller à quelqu’un qui veut comprendre ce que fait King mais qui ne lit pas, ou n’en a qu’une image horrifique.
Ce sont des perles, des quasi chefs d’œuvre, qui retranscrivent très bien la volonté de King. Ce qui n’est pas simple, car il développe beaucoup les personnages, et on ne peut pas verbaliser tout ce qui passe en eux dans un film ou une série comme King nous le décrit dans une histoire.
Depuis la première partie de Ça (2017), les adaptations se multiplient. Comment peut-on expliquer que Stephen King reste un auteur toujours aussi lu et apprécié ?
Déjà parce qu’il continue de publier : depuis quelques années on est sur 2 ou 3 publications par an. Ce qui le laisse au cœur de l’actualité littéraire.
Ensuite parce qu’il y a un vrai engouement pour les films d’horreur actuellement. Évidemment il ne fait pas que de l’horreur mais il en a quand même écrit un paquet. Donc forcément ça fait beaucoup de matériau source pour ceux qui essaieraient de percer dans le genre.
Grâce à Ça 2017, qui s’adressait clairement à un public d’ados (même s’il a touché le monde bien au-delà), j’ai vu arriver toute une nouvelle génération curieuse de ce vieil auteur dont ils ont toujours vu traîner quelques livres dans la bibliothèque de leurs parents. Je vois souvent passer des messages de jeunes à qui les parents donnent leurs exemplaires de King. Ou d’autres qui le découvrent grâce à Ça et ont envie de le lire. Ce qui est facile car King écrit tellement, et sur des choses tellement différentes, que peu importe ce que vous aimez lire (gore, romance, fantasy, dystopie…) : il y a forcément une histoire qui vous plaira.
Mais le succès de certaines adaptations récentes l’a ouvert à une toute nouvelle génération de lecteurs, il est à la mode chez les ados, et ça c’est top.
On peut ajouter que c’est un homme connecté : il tweete beaucoup. Il est engagé et cynique, ça plaît beaucoup, ses tweets sont beaucoup repris par la presse américaine. Et c’est un homme bon, charitable, qui reverse son argent à diverses fondations, dont certaines qu’il a lui-même créées. C’est un homme normal qui ne fait pas (plus) d’excès. Ce côté « papy » proche de nous participe largement à ce qu’on veuille le lire, mais aussi le relire. Il a une très bonne image.
Enfin et surtout : il a publié une centaine d’histoires (romans + nouvelles) et toutes sont encore terriblement d’actualité. Je relis Le Fléau actuellement, et s’il avait été écrit il y a un an j’y aurais cru. Ce qu’il traite et dénonce est intemporel. Ses romans ne vieillissent pas. L’ancienne génération peut lire les nouveaux romans et inversement.
Podcast pour se tenir à jour sur l’actualité de Stephen King, « La Gazette du Maine » :