Genre incontestable et pourtant souvent caché, la littérature érotique s’est enrichie au fil du temps. Au cours du palpitant XVIIIème siècle, les écrits coquins se mélangent à ceux plus politiques des Lumières. Nombreux écrivains célèbres et populaires vont à leur tour raconter des scènes torrides. Les romans érotiques sont devenus à la fois dans les gares mais aussi dans la collection La Pléiade. Le Marquis de Sade peut témoigner. C’est cette ambivalence, ce mélange de mépris et de passion pour un genre littéraire à part entière, qui intrigue.

L’écrivaine Octavie Delvaux vient de paraître son livre « Sex in Paris » (Editions Musardine 2025), suite à ce fameux « Sex in the Kitchen » (2013). Les confidences et autres fantasmes ont décidément un avenir. Ils sont toujours racontés et nourrissent encore nos imaginations.

Entretien avec Octavie Delvaux.

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Quelle est votre relation avec la littérature érotique et pourquoi avoir décidé de franchir le pas de l’écriture ?
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J’ai découvert la littérature érotique dès qu’il a été possible d’en lire – au début de l’adolescence. Encore plus jeune, je m’étais déjà rendu compte de l’intérêt du texte par rapport à l’image. Le magazine Union publiait notamment des feuilletons érotiques. Ils étaient assez bien écrits car des auteurs talentueux étaient engagés pour l’exercice. Quand j’y repense je trouve qu’il y avait de la puissance dans ces textes. Par conséquent, cela a éveillé ma curiosité et j’ai voulu continuer à explorer la littérature érotique.

Vers mes 15 ans, j’ai eu un intérêt pour le marquis de Sade. A l’époque, parmi les classiques, vous pouviez acheter ses livres au Centre Leclerc. De façon innocente, j’ai demandé à ma mère d’acheter des ouvrages comme « La Philosophie dans le Boudoir » (1795) ou « Justine ou les Malheurs de la vertu » (1791). Elle a accepté car, elle-même, m’a confié avoir eu de telles lectures lors de sa propre adolescence.

La littérature érotique contemporaine, quant à elle, paradoxalement, était absente des rayons.

La lecture des romans du marquis de Sade a été pour moi forte en sensation car ce sont des écrits à la fois violents et dérangeants. J’aimais cette liberté de tout raconter et de décrire même l’impensable. Le marquis de Sade entraîne son lecteur là où celui-ci ne veut pas forcément aller.

En tant qu’autrice, sans aller dans le nihilisme le plus complet, j’ai gardé cette idée de vertige. Je veux poser le lecteur sur un fil. Il ou elle est mise en confiance puis de temps en temps est entraîné dans des zones qu’il ou elle ne contrôle pas. Il est comme un funambule que je garde habilement sur le fil, lui laissant croire parfois qu’il peut tomber, mais ce n’était qu’un vertige, je finis par rétablir son équilibre.

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L’écriture est donc un rythme ?

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Je le pense oui. Beaucoup d’écrivains ont un rapport important avec la musique. Il y a certes des différences évidentes (je suis moi-même musicienne amateur/à mes heures perdues) mais une histoire doit avoir un rythme avec des pauses et des accélérations.

Je ne lis pas à voix haute mes propres textes. Cependant, j’ai cette capacité à avoir une voix intérieure. Je suis quelqu’un qui parcoure un livre de façon lente. J’aime cette idée que l’auteur me lise sa propre histoire. J’écris et je me relis de la même manière. Pour une question de rythme, il m’arrive d’ajouter ou de retirer un mot, un complément, une proposition. Tout ça ne répond à aucune règle, cela suit une musique intérieure que j’espère communiquer au lecteur.
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Avez-vous finalement réussi à lire des auteurs plus contemporains ?

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Oui mais j’ai été déçue par de telles lectures. J’y voyais beaucoup de misogynie. Les schémas étaient si périmés que j’avais l’impression que le genre n’avait pas évolué depuis des décennies. Cela m’a donné envie d’écrire à mon tour. J’avais le sentiment que la littérature érotique devait être renouvelée, qu’il restait une place à prendre. Cependant, à l’exception des dialogues, je garde une écriture assez classique. Je n’ai pas la prétention d’être une révolutionnaire, mais si je peux apporter un peu de fraîcheur, de nouveauté, je ne m’en prive pas.
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Y’a-t-il selon vous des différences entre le lecteur et la lectrice des livres érotiques ?

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Selon mon point de vue, la lectrice recherche avant tout des mots et des situations qui vont la stimuler. Certaines femmes m’ont écrit après la lecture d’un de mes livres pour me dire qu’elles avaient été sensibles à certains détails et sous-entendus.

Le lecteur, quant à lui, semble se satisfaire de descriptions assez succinctes. Beaucoup n’ont pas besoin d’imaginer.

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Est-ce un genre confession voire libérateur ?

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Dès le début de ma carrière d’écrivaine, je ne voulais en aucun cas faire de l’autofiction. Je n’ai jamais voulu raconter ma vie. J’ai toujours eu à cœur d’emmener avec moi les lecteurs dans de la fiction. Il est vrai que malgré tout nous restons nos propres références. J’ai moi-même un vécu, un corps et des désirs. Cependant, mes écrits ne sont pas des journaux intimes.

J’adore mes personnages mais ils ne sont pas moi.
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Quelle est la magie de la nouvelle ? « Fièvres » (Editions Dynamite – Prix Sade BD 2025) a-t-il eu une part de magie avec l’association d’illustrateurs ?
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L’écriture d’une nouvelle doit être intense car en peu de temps vous devez entraîner les lecteurs dans un univers, une folie. J’aime le faire dès les premiers paragraphes. C’est un vrai jeu d’imaginer des retournements de situation.

Il m’arrive de m’inspirer de « faits réels », d’histoires qui m’ont été racontées. Souvent ce n’est qu’un point de départ, ensuite je développe le texte selon mes envies. Parfois je reste fidèle à la réalité du début à la fin mais c’est rare.

Cela m’est arrivé avec Service militaire, la première nouvelle de « Fièvres » qui s’inspire d’une histoire qui est vraiment arrivée à mon père. Beaucoup la trouve abracadabrantesque mais elle est totalement vraie…

J’ai aimé la plupart des illustrations de « Fièvres » car elles ont montré un aspect des nouvelles qui n’était pas évident. Bien que j’aie proposé la plus grande liberté d’interprétation, les dessinateurs sont restés fidèles aux écrits. J’ai pu être surprise de voir qu’un d’entre eux avait choisi de me dessiner pour représenter un personnage. Quelle ironie ! C’est une de mes tantes qui m’avait inspirée cette nouvelle (rires).
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« Sex in the kitchen » a été votre plus beau succès littéraire. A-t-il été pensé comme un feel-good book et une introduction à l’érotisme ?
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Avec mon éditrice, nous avions le souhait de réaliser un ovni littéraire. Les livres érotiques de l’époque étaient assez ternes à notre goût, proches de la collection Arlequin. « Sex in the Kitchen » avait pour objectif d’ajouter de la modernité et de secouer les esprits. Je voulais également faire rire.

Ce fut un vrai défi pour moi. Je rappelle que c’était mon premier roman.

« Sex in the Kitchen » est en effet un livre positif et qui donne envie d’aller plus loin dans l’érotisme. 
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Avec « Éloge des petites bites : pour en finir avec la dictature viriliste » (2023), avez-vous voulu dénoncer la montée des masculinistes et par conséquent démonter une sexualité mièvre et dangereuse ?
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Je n’avais pas vraiment conscience d’attaquer une idéologie montante. Le sous-titre « Pour en finir avec la dictature viriliste » est venu plus tard. Le masculinisme fait surtout beaucoup de mal aux hommes car il augmente de façon puérile la pression sociétale.

J’avais en tête d’écrire sur le sujet de la taille des pénis depuis longtemps. La sexualité que l’on retrouve dans les magazines et la pornographie est selon moi à la fois lisse, conventionnelle et emprisonne les protagonistes – pas seulement les femmes. On oublie trop souvent de demander l’avis et le ressenti des hommes. En sexualité, rien n’est facile pour personne. Les hommes subissent eux aussi des pressions de la société. La question de la taille du pénis est majeure alors que, selon moi, cette question est grotesque. J’ai pu le constater moi-même et j’ai obtenu des témoignages : cela n’a au minimum aucune importante voire révéler des plaisirs plus forts.
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La pratique SM souffre-t-elle avant tout de ses clichés ?

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Je constate que dans toutes les relations humaines il y a des rapports de domination – acceptées, subies et parfois même désirées. De tels rapports se retrouvent intrinsèquement dans la sexualité.

Selon moi, le sado-masochisme est un jeu de pouvoirs où chacun doit volontairement avoir un rôle. Cela doit être amusant et varié.

La pratique SM est trop souvent perçue comme quelque chose de sophistiquée et d’organisée. Elle peut pourtant être d’une grande simplicité et sincère. Il n’est même pas nécessaire d’avoir des ustensiles ou un costume. Vous pouvez juste utiliser des mots pour pratiquer le sado-masochisme.
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Que désirez-vous étudier et donc écrire ?

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J’ai beaucoup écrit de scènes de sexualité. Je ne souhaite pas m’enfermer dans un genre. Même, si je n’abandonne pas l’érotisme – Il y a des thèmes que je veux explorer- mais je souhaite traiter de nouveaux univers.

J’écris actuellement le synopsis d’un livre historique. J’ai toujours voulu écrire sur la cour d’Henri III. L’Histoire retient qu’il était homosexuel – c’est une erreur. Ce roi valois était – semble-t-il bisexuel. Il adorait les femmes et le sexe dans toute sa globalité. Afin de purger son âme, Henri III faisait aussi des retraites monastiques. Madame de La Fayette s’est inspiré de ce roi tout en panache et de ses amours passionnelles pour écrire « La Princesse de Clèves » (1678).

Mon livre gardera donc un aspect érotique mais je vais aborder d’autres thèmes. La sexualité ne sera pas centrale.

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