L’émotion est reine dans les images de Nicolas Comment. Photographe mais aussi musicien et auteur-compositeur, l’artiste compose à chaque fois un savant mélange d’atmosphères et de couleurs vives et éphémères. Tel un cinéaste, Nicolas Comment met en valeur la lumière, le vent, la pluie, le soleil mais aussi les regards – ceux qui voient l’invisible. Sensible aux auras littéraires, il s’est notamment rendu à Tanger, cette « dream city » de Paul Bowles. Attiré par les ombres, Nicolas Comment a également pris en photographie Saint-Tropez, la rayonnante, sous la pluie.

Les univers se construisent en permanence dans notre vaste monde. Il faut rester aux abois pour capter la beauté et les ambiances.

Entretien avec Nicolas Comment, photographe des instants.
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Vous êtes auteur-compositeur, vous écrivez, réalisez des vidéos-clips, quelle tient la place de la photographie ?

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© Nicolas Comment

Ayant eu une formation aux beaux-arts à la fin des années 90 – où je réalisais essentiellement des vidéos – je me suis rendu compte que j’avais tendance à ralentir les images, voire même à les figer dans mes montages. Et donc l’arrêt photographique  s’est imposé à moi, si je puis dire… au commencement. À la même époque, j’ai découvert le « livre de photographies ». Des photo-books (comme on dit aujourd’hui) où les séquences d’images étaient comme des court-métrages, des « absences de films ». Cela m’a passionné : mon livre « Journal à rebours -1991-1999 » paru en 2019 (éditions Filigranes), résume cette époque de découverte artistique. 

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La photographie peut-elle être une écriture ?

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La photographie se doit d’être une écriture, sinon elle n’est pas grand chose.
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Travaillez-vous de la même façon en musique et en photo?
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Je fais en sorte de ne pas être un auteur-compositeur qui ferait de la photo ou un photographe qui ferait de la chanson. Mes deux pratiques sont séparées. Cependant, il y a intrinsèquement des liens :

En studio (de musique), on enregistre des pistes sonores, des prises de voix, de guitares, de basse, de claviers, etc. Et la composition des arrangements et du morceau final s’effectuent ensuite au moment du mixage. La photographie a le même processus de création. Vous réalisez et collectez des images. Et quand vous faites une exposition ou un livre, les photographies sont sélectionnées, tirées, encadrées et organisées dans l’espace au même titre que les chansons dans l’espace sonore. Je suis passionné par ces arts de l’enregistrement, anciennement dits « mécaniques ».
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© Nicolas Comment

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« Being Beauteous », « Fading » – Vos premiers livres ont été réalisés à plusieurs. Il y a eu ensuite « Est-ce l’Est » – romance berlinoise. « La Visite » (2009) a-t-il été un tournant ?
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Ce ne sont pas mes premiers livres. Mes premiers livres sont « La desserte » (2001) et « Le point » (2003) parus chez Filigranes… Des livres très personnels – préfacés par le critique de cinéma André S. Labarthe et le poète Bernard Noël.

Pour « La visite », par-delà l’hommage à l’écrivain et au poète Bernard Lamarche-Vadel et, à travers lui, à la photographie française des années 1980 et 1990, ce livre est une expérience :

Je me suis rendu à La Rongère, le château de Bernard Lamarche-Vadel avec une de ses intimes, Danielle Robert-Guedon. Elle-même n’était pas retournée sur les lieux depuis la disparition – en fait un suicide soigneusement organisé – de son ami écrivain. Son émotion était palpable. Ce fut donc un aller-retour rapide. Une visite aux fantômes… Au « spectre » de Lamarche-Vadel mais aussi à celui du photographe Magdi Senadji, qui avait avec Danielle découvert le corps de BLV…

J’ai parallèlement adapté musicalement le dernier recueil de poèmes de Lamarche-Vadel, « Retrouvailles », paru sur le label Bonsaï Music en 2012. J’avais au départ imaginé cet album comme une simple bande-son d’exposition, mais Pierre Darmon le directeur de Bonsaï Music a souhaité le sortir sur son label avec l’accord de Rebecca Lamarche-Vadel, la fille de l’écrivain et je leur en suis reconnaissant. C’est un disque d’adaptation littéraire qui trouve son répondant avec mon album « Nouveau », réalisé autour d’une séléction de textes du poète maudit Germain Nouveau, paru chez Médiapop en 2021 avec un très grand livret de photographies contenant un très beau texte de Yannick Haenel. J’ai par ailleurs à cette occasion réalisé un film, visible sur la chaîne de la Maison de la poésie : https://www.youtube.com/watch?v=JYWAFcMcqeA
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© Nicolas Comment

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Tanger est-il un lieu à part ? (ville fréquentée par la Beat Generation Paul Bowles, William S. Burroughs, Jack Kerouac…)
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Lors de mon séjour à Mexico, j’ai relu les livres de Kerouac notamment « Mexico City Blues » (1955) et son magnifique et peu connu « Tristessa » (1960) : une nouvelle à la fois très noire et très allumée sur le Mexique. Mais aussi « Les Anges vagabonds » (1965) où Kerouac parle de sa venue à Tanger…

Tanger était donc pour moi une étape logique après Mexico. En 2012/2013, je suis allé régulièrement au Maroc avec ma compagne, Milo. Comme tous mes livres sont « photobiographiques », elle est très présente dans l’ouvrage « T(ange)r » (2014) . L’ouvrage contient également une préface du chanteur Gérard Manset.
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Justement quelle est la place des femmes dans votre œuvre photographique ? (présentes dans de nombreuses couvertures)
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Les personnages principaux de mes livres sont toujours mes amies ou amours. Je ne fais pas appel à des « modèles ». Ce sont toujours de vraies rencontres. La photographie est une pratique très mentale pour moi. Très psychique. Les femmes qui apparaissent dans mes séries sont comme une « conscience »… Une sorte de doublure féminine que je sens en moi. Parfois je me vois en elles et c’est comme si le miroir se renversait. Il me plaît de dire que je ne photographie pas seulement ce que j’ai devant les yeux mais aussi ce que j’ai derrière la tête.
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© Nicolas Comment

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Quelle est la photographie qui vous fascine ?
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L’image ne m’intéresse pas intrinsèquement. Je ne suis pas quelqu’un qui se rue sur Instagram par exemple. J’aime seulement les photographes dits « auteurs » : Van der Elsken, Frank, Plossu, Depardon, Cartier-Bresson ou bien… Lartigue (aux côtés duquel j’ai exposé l’année dernière chez Polka), etc. Ce sont tous des photographes qui se sont exprimés par le livre. Pour moi, l’histoire de la photographie passe essentiellement par le livre… Par l’imprimé donc plutôt que dans le tirage original.
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« Cavale » est-il un roman ?

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© Nicolas Comment

Plutôt une courte nouvelle ou… un long poème ? J’ai toujours écrit mais pendant longtemps, je me refusais d’associer écriture et photographie. J’étais même réticent au départ à l’idée de légender mes images. Je rêvais d’une photographie libérée du texte. D’une photographie qui était déjà de la littérature comme le disait Denis Roche : « La littérature de la photographie c’est la photographie elle-même »… Mais j’ai changé d’avis. À cause du numérique, à cause de la magie perdue de l’argentique, je pense désormais que le texte est nécessaire et que la photographie n’est rien sans le grain d’une « voix »…
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Paris est-elle une ville qui vous inspire ?

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Oui et non car je photographie finalement très peu Paris au quotidien… Je vis à Paris mais je n’ai pas le temps de prendre du recul pour la contempler. Comme chacun, ma vie parisienne est remplie par les mails, les rendez-vous et la vie familiale. De plus, la photographie est de plus en plus devenue pour moi une hésitation. Car cela doit pour moi rester un geste sacré et… risqué. La photographie, tel un bâton de sourcier, m’entraîne toujours quelque-part… Et il m’arrive très souvent de reposer mon appareil et de ne pas faire « la photo ». C’est peut-être une manière intime de protester contre l’avalanche d’images, l’avalanche de « visuel »… Ce robinet visuel qui coule sur internet mais aussi ce trop plein d’expositions, de salons, de publications que « la Photo » à générer ces dernières années et qui font qu’elle perd à mes yeux de sa magie.
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Votre photographie est-elle inspirée par la peinture ?

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Sans doute. Des artistes comme Nicolas de Staël, Mark Rothko ou même Degas, Manet, Lautrec sont de véritables maîtres pour moi. Mais pas plus que certains écrivains, certains cinéastes, certains songwriters …

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Lieu des rêves souvent déçus, Saint -Tropez est montré par votre objectif sous la pluie. Les ombres sont-elles plus intéressantes que la lumière ?
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L’ombre a besoin de lumière… Mon ami Stéphane Brasca, directeur de la revue « de l’air » avait lancé une collection sur les villes du Sud de la France, sous la pluie. Ayant apprit que j’étais à Saint-Tropez. Stéphane a alors sauté sur l’occasion pour me proposer de réaliser ce petit livre « Saint-Tropez sous la pluie » (2022 – Editions De l’air des livres) et quelques-jours après, subitement, des trombes d’eau sont tombées pendant trois jours sur Saint-Tropez…

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© Nicolas Comment

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Doit-on lire et regarder « Blue Movie » en écoutant du Christophe ?

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Oui on peut ! C’est grâce au chanteur Christophe que je me suis rendu dans le Sud en 2014. Sur son voilier, avec son amie Audrey.

Peu après la mort de Christophe en 2020, Audrey m’a appelé. Nous étions tellement tristes et étouffions à Paris en plein confinement. Elle m’a juste dit : « Venez ! » Et nous nous sommes retrouvés sur les lieux où nous allions avec Christophe. Ce séjour m’a sauvé à l’époque car la société se repliait sur elle-même pendant cette crise sanitaire. Nous avons enfin pu respirer et j’ai commencé à photographier la série qui deviendra « Blue movie ». Il s’agissait d’un « bleu mental » comme le définissait l’écrivain Colette, qui vécu elle-même à Saint-Tropez. Le bleu d’une certaine liberté retrouvée.
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La photographie doit-elle être un état d’esprit selon vous ?
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Absolument. C’est une manière de penser et d’écrire.
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© Nicolas Comment
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