Partie intégrante de notre quotidien, la mode possède toujours une incroyable puissance. Nos tenues reflètent bien souvent notre état d’esprit, nos identités et même nos espérances les plus cachées. Une société se porte bien quand elle laisse la part belle à la mode car elle fait partie intégrante de l’innovation.
Candice Lhoda est une artiste américaine passionnée qui décortique avec joie les plus grandes tenues. L’image redonne du souffle à la mode, rappelle les éclats du passé et donne de nouvelles directions. Il est temps de réévaluer nos apparences et laisser une chance à l’art de revenir auprès de la mode.
Entretien avec Candice Lhoda, artiste chic.
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Explorez-vous l’art et la mode parce qu’il s’agit de sources d’inspiration infinies ?
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La mode est en effet un déclencheur émotionnel pour moi. Il y a des collections que je revisite de la même façon que certains réécoutent sans cesse les mêmes chansons. Le défilé « Deliverance » (2003) d’Alexander McQueen et les coiffes religieuses de son FW98 me font toujours battre la chamade. J’adore également la manière dont Haider Ackermann traite de l’ombre et de la température corporelle dans ses tenues. Je ressens physiquement cette sensation.
Je reste toujours autant attirée par les nouveaux créateurs. Certains prennent des risques et c’est magnifique. J’aime ceux et celles qui n’ont pas peur de déformer les silhouettes, d’utiliser des matériaux inconfortables ou d’insuffler de la tension dans un vêtement. De nouvelles voix qui expérimentent la proportion, la fragilité, l’absurde – c’est ainsi que la mode doit continuer.
Je suis de près les jeunes créateurs comme certains suivent des musiciens underground. Quand quelqu’un est prêt à être un peu « dérangeant », cela attire l’œil.
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Quand êtes-vous devenue artiste ?
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Je ne pense pas qu’il y ait eu un « début ». Il y a eu un moment – C’est arrivé quand j’ai fait davantage attention à l’art des images. Elles peuvent donner des sensations incroyables. Pour moi, la mode et l’art ont été toujours en lien. Elles ont le même langage.
Mes autoportraits sont venus plus tard. C’était pour moi un moyen de garder en images des émotions pour lesquelles je n’avais pas encore de mots. Je ne documente pas des tenues mais des états d’esprit.
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Vos tenues racontent-elles donc des histoires ?
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Certaines pièces ressemblent à des chapitres : une robe légère signée Margiela, de petites jupes Helmut Lang ou des tenues de The Row. Je suis attirée par des vêtements qui font écho à des souvenirs. Ils peuvent même être troublants, poétiques.
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Pensez-vous que les marques de l’Ultra Fast-Fashion comme SHEIN représentent notre pire avenir possible ?
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Quand vous avez pu porter un manteau Haider, vous avez senti le poids incroyable sur vos épaules. Lorsque vous avez eu la chance enfiler un haut Rick Owens, vous avez pu constater l’exception. Il est pour moi impossible d’imaginer que la mode dite jetable soit l’avenir. Le vrai design d’un vêtement change même votre température corporelle. Il n’y a rien de comparable.
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Le Connecticut [lieu de vie de Candice] vous inspire-t-il ?
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Etrangement oui. Il y a ici une tranquillité qui me permet de créer mon propre monde. J’aime être légèrement en-dehors des grandes villes comme New-York. Je ne suis pas trop influencée mais je reste suffisamment proche pour rester connectée.
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Vos autoportraits révèlent-ils un état d’esprit ? L’humour est-il votre expression préférée ?
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Mes autoportraits reflètent toujours l’état dans lequel je me trouve. On peut y déceler de la tension, du désir, de l’hyperféminité, de l’inconfort, ou ce sentiment étrange entre les deux qui n’a pas encore de nom… L’humour s’introduit dans mon travail presque par accident. Tant mieux…
Il est crucial de ne pas prendre la mode trop au sérieux. L’humour est ma façon d’adoucir les contours. Dans ma vie quotidienne, c’est également ma manière de tenir le coup, d’observer les gens, et de rester moi-même.
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Êtes-vous une victime de la mode ?
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Non. Je suis surtout une observatrice. J’aime profondément la mode mais je n’en suis pas obsédée. Je l’étudie et de temps en temps j’interagis avec elle. Il s’agit surtout d’une conservation et non d’une idée fixe.
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Depuis le début du XXIe siècle, la mode semble statique. Il n’y a pas de vrais changements ni d’innovations. On reprend certaines tendances du passé. Pensez-vous que nous pourrons renouveler avec de nouveaux styles ?
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Le grand style existe encore. On le retrouve juste dans des lieux plus réservés. Une tenue Glenn Martens, une jupe de Peter Do, un sac nylon de Prada reprennent vie avec certaines personnes. La nouveauté elle est dans la tension – pas dans le spectacle.
Pour moi, l’innovation en mode ne consiste pas toujours à inventer quelque chose de complètement nouveau. Parfois, il s’agit de manipuler une idée ancienne jusqu’à ce qu’elle devienne à nouveau « étrange ». C’est là que je vois l’énergie en ce moment : Il y a des créateurs qui traitent l’ancienne tenue comme une matière première et non comme un modèle. Ils jouent avec l’histoire au lieu de la vénérer.
Alors oui, de nouveaux styles apparaissent. On peut le ressentir. Il y a chez les jeunes créateurs un désir de pas intégrer le luxe trop classique. Ils expérimentent les proportions, les techniques et ajoutent même de l’humour.
La mode évolue lorsqu’une personne est prête à bousculer le public. Pour cela, il faut mettre mal à l’aise, déranger et donc attiser la curiosité. Nous vivons une très belle époque de création.
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Quelle musique écoutez-vous quand vous faites de l’art ?
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La musique, c’est un peu mon système nerveux : c’est ce qui me permet de me stabiliser et de m’évader.
Quand je crée, je choisis la musique qui me procure la même sensation que l’image que je veux concevoir. Cela ne doit pas forcément être fusionnel mais il faut au moins créer un parallèle émotionnel. Parfois, je n’arrive pas à lier image et musique. Cependant, je trouve toujours la bonne ambiance. C’est pour ça que les morceaux que j’utilise avec mon travail sont si importants pour moi. Ils sont comme une touche de pinceau supplémentaire.
J’écoute aussi bien Rage Against the Machine que du hip-hop old-school ou encore du Robyn du début des années 90. Tout ce qui évoque le vécu ou l’émotion me parle. J’utilise la musique comme on utilise les parfums : elle réveille des souvenirs, apaise. Elle me replonge dans un lieu précis puis devient ensuite partie intégrante de l’image que je suis en train de créer.
J’étudie aussi les bandes originales des défilés. Quand un créateur choisit la bonne musique, il métamorphose toute une collection. Comme je le disais auparavant « Deliverance » d’Alexander McQueen me donne encore des frissons. Marc Jacobs chez Louis Vuitton avec « Bonnie & Clyde » est incroyable. Raf Simons a utilisé des thèmes musicaux de films d’horreur. Haider Ackermann a utilisé la musique de Max Richter de façon prodigieuse.
Ces bandes originales m’ont apprise comment exprimer les émotions. Elles sont aussi importantes pour moi que les vêtements.
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Quels sont vos projets ?
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J’aime sans cesse concevoir de nouveaux univers. Actuellement, je réaliser une série d’autoportraits. Les vêtements y sont des personnages à part entière. Quand j’achète une tenue c’est toujours réfléchi. Une pièce qui entre dans ma vie sera tôt ou tard intégrer dans mon travail. J’essaie de vivre pleinement au cœur des images que je crée. En aucun cas, je ne veux être dans cette tendance de montrer une tenue en ligne puis de l’oublier.
J’explore la façon dont les espaces du quotidien peuvent se charger d’une tension émotionnelle lorsque la mode s’y intègre. Je suis fascinée par l’idée que les vêtements puissent avoir une âme. Mon travail consiste à leur offrir justement un cadre vivant. Parfois, il y a de l’humour, parfois du malaise, parfois de la chaleur. A chaque fois, je tiens à ce que la présence du vêtement soit plus forte que la mienne.
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Photo de couverture : © Candice Lhoda







