Le dessin est décidément l’image qui nous frappe le plus. En une fraction de seconde, nous comprenons l’histoire qu’elle raconte mais aussi le message qui est derrière les traits. Oui le dessin peut être une revendication qui n’a pas besoin d’être traduite.

Nour Hifaoui, artiste palestino-libanaise vivant depuis peu en France, a choisi son mode d’expression. La bande dessinée raconte sa vie, son humeur, ses désirs. Après l’étonnant « Titties », elle revient avec « A Distance » (Editions Labrys – 2025) – ode à notre époque connectée, aux femmes et leurs plaisirs charnels.

Entretien avec Nour Hifaoui, artiste du flambloyant amour.
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Le dessin a-t-il été pour vous une évidence ?

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Jeune, je dessinais mais c’était avant tout un passe-temps. C’est en entrant à l’Académie des beaux-arts du Liban que j’ai eu envie de raconter des histoires par le dessin. J’ai voulu faire de l’animation mais finalement j’ai préféré la bande dessinée car je pouvais créer seule.  
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Vos origines influencent-elles votre style graphique et votre façon de raconter des histoires ?

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Même au Liban, je faisais partie d’une minorité – j’étais une réfugiée palestinienne. J’ai longtemps caché mon identité et mes origines car je vivais dans un environnement chrétien. Les Palestiniens n’étaient pas accueillis à bras ouvert.

Avec le dessin, j’avais besoin de m’exprimer et de raconter des histoires. Je prends toujours la défense de celles et ceux qui, par peur, se taisent. Je ne prétends pas être le porte-parole de tous. A travers le dessin et à travers mes personnages, je parle avant tout de moi et de mon vécu. 

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© Nour Hifaoui

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Votre venue en France a-t-elle été déterminante ? Qu’est-ce qui vous inspire ?

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Membre du collectif Samandal Comics, j’ai toujours un lien avec la France. En 2019, nous avons gagné le Prix alternatif de la bande dessinée à Angoulême.

Je vis à Paris depuis 2022. Je ne crois pas avoir changé de style mais il est vrai que je m’exprime plus facilement. Je raconte plus d’histoires érotiques mais, après l’impression en Belgique et la publication de « Titties » en France, nous avons tenu à ce que le livre soit également distribué dans certaines librairies au Liban.  
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Vous êtes une conteuse mais également une metteuse en scène ?

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Le cinéma m’influence en effet beaucoup. J’aime imaginer mes bandes dessinées comme un film.
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© Nour Hifaoui

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La sexualité est-il le meilleur sujet ? Est-ce aussi une revendication politique ?

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Absolument. Même si « A Distance » est une histoire légère, une lecture plus approfondie qui permet de comprendre certains messages politiques. Même si cela vous engage dans des situations périlleuses, je pense qu’il ne faut jamais s’autocensurer. Avant que je rejoigne le collectif Samandal Comics, on m’avait proposé de traiter du thème de la poésie et de la censure. Il fallait que j’aborde également la sexualité sans la montrer. J’ai trouvé le défi impossible. Pour moi, il est clair qu’il faut montrer les tabous. De plus, j’aime dessiner les seins, les poils et le désir en lui-même.

Je suis consciente que mes dessins ne peuvent pas plaire à tout le monde mais l’art est fait de choix. J’assume.
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« Titties » a-t-il été un véritable journal intime ?

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Cela m’a amusé de publier mes dessins qui racontaient ma vie intime. Je ne serais pas à l’aise si je racontais quelque chose que je ne connais pas et je me suis dit que « Titties » pouvait faire du bien à d’autres personnes. En tant qu’artiste, il est important de s’exprimer et donc de se dévoiler.
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© Nour Hifaoui

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Rire fait partie de votre identité ?

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Tout dépend du projet. Je suis quelqu’un qui rit beaucoup. Il m’arrive même de sourire lorsque je trouve la bonne idée, le bon dessin.
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Quelle est la genèse d’« A Distance » ?

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J’ai voulu raconter le début de mon histoire d’amour. Elle était à l’époque à distance et c’était une première pour moi. Pendant un an et demi, nous avons tenu bon avec l’aide d’objets connectés. Ce fut interactif et amusant. J’ai fait des captures d’écran afin de dessiner ensuite.

Dans « Titties », l’humour est vraiment présent : je m’amusais de mon personnage principal et des situations dans lequel il se trouve car je les ai vécues.

« A Distance » n’est pas une provocation. Il s’agit d’un livre sincère. Il raconte une intimité, la mienne.
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©Nour Hifaoui

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Comment avez-vous imaginé la couverture ?

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Au départ, j’avais imaginé des images très douces. La sexualité n’était pas montrée. D’une certaine manière, je trahissais mon histoire. Les 62 pages regorgent de sexualité. J’ai par conséquent dessiné une image brut. La couverture révèle le contenu de l’histoire.

De plus, en tenant le livre, nous devenons la personne qui tient le portable, puisque c’est dessiné du point de vue de l’un des personnages principaux.
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Quel est le rôle des couleurs ?
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J’ai longtemps travaillé en noir et blanc; « Titties » était en monochromie. Depuis, j’expérimente davantage les couleurs. Je suis donc passé à la bichromie dans « À Distance ». J’ai choisi l’orange parce que c’est une couleur chaude qui fait ressortir la tension présente dans le couple. De plus, j’ai travaillé avec un code couleur dans le but de pouvoir distinguer les mondes virtuels et réels.
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Le silence est-il un personnage dans vos histoires ?

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Je laisse beaucoup d’imagination aux lectrices et aux lecteurs.

Le silence joue un rôle important dans mon travail, ainsi que dans ma vie : c’est un moment d’observation et de réflexion. À travers le silence, je cherche à pousser les lecteurices non seulement à s’immerger dans le visuel, mais aussi à entrer dans la psyché des personnages et dans le temps.

Au début de ma carrière de dessinatrice, je faisais surtout des histoires silencieuses. Ce n’est que progressivement que j’ai pu ajouter des mots.
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© Nour Hifaoui
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Quelles sont vos envies ?

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Je souhaite raconter l’histoire de ma famille. Elle a été expulsée de Palestine en 1948 et a dû vivre au Liban. Je veux dessiner la vie des réfugiés. Nous avons tous une double identité – J’ai même deux noms de famille.

Même lorsque j’ai obtenu la nationalité libanaise, je n’ai pu me rendre en Palestine. Comme tout enfant de ce pays, je le vis comme une souffrance. 

Je pense que je réalise des dessins érotiques car je suis sans cesse en quête de liberté.
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© Brieuc Cudennec
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