Compagnon de route de Gustave Kervern, Benoît Delépine fait cavalier seul avec « Animal Totem » (Sortie le 10 décembre 2025). Le réalisateur grolandais revient sur sa terre natale picarde afin de raconter un étonnant road movie à pied entre l’aéroport de Beauvais et la Défense.
Pour un tel retour aux sources, Benoît Delépine a voulu voir grand : « Animal Totem » a été réalisé avec le plus grand format – assez mal adapté pour les postes de télévision… Cela tombe bien le film solo de Benoît Delépine c’est du vrai cinéma.
« Animal Totem » est également un hommage à la nature qui nous entoure, à la faune qui nous observe, au temps ralenti et aux rencontres improbables. Darius (Samir Guesmi) nous emmène durant 1H29 dans son étrange quête.
Entretien avec Benoît Delépine, réalisateur tout risque.
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« Animal totem » est votre premier long métrage solo. Est-ce un film plus personnel ? D’autant que vous êtes originaire de Picardie.
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Oui. Je reviens du Vevey International Funny Film Festival en Suisse et j’ai beaucoup échangé avec des jeunes sur cet aspect. Les bons films, notamment ceux présentés pour l’occasion comme « The Baltimorons » de Jay Duplass ou le documentaire « Be Boris » de Benoît Goncerut, que j’ai pu voir là-bas ont avant tout été influencés sur le vécu. L’intelligence artificielle ne pourra avoir cette richesse.
J’ai pris la décision de tourner « Animal Totem » en Picardie parce qu’en effet je suis originaire de là-bas. Nous avons été aussi en Aquitaine pour d’autres raisons personnelles.
Un film c’est une part de soi, c’est une envie de raconter des moments de votre propre vie. J’ai voulu montrer la paysannerie industrialisée car je la connais. J’adore les animaux et j’ai même ajouté du tir à l’arc car je le pratique comme sport.
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Il y a aussi un lieu devenu iconique de la Picardie c’est l’aéroport de Beauvais.
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La première scène d’« Animal totem » se déroule là-bas. Nous n’avons pas eu les autorisations de tourner dans cet aéroport. Nous avons dû trouver un autre lieu. Il y a une usine d’Airbus à Albert près d’Amiens. Un seul avion décolle par semaine. Nous avons profité de ce moment pour tourner nos scènes. L’avion était un Beluga. Pour « Animal Totem » c’était parfait ! Il y avait déjà cet aspect animal devenu machine avec le titre « Mammuth » (2010).
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Vous avez souvent réalisé des films de duos. C’est fois-ci c’est un solitaire. Est-ce que ce fut les mêmes réflexions ? Le même enchaînement ?
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A deux, vous êtes sans cesse dans l’échange et la réflexion. C’est celui qui a la meilleure idée qui l’emporte. Avec Gus, nous avons la grande chance de très bien nous entendre. A deux, il n’y a pas d’angoisse. Nous savons pertinemment qu’un de nous va trouver la bonne idée. Une telle alchimie détend même l’ensemble de l’équipe de production.
Pour « Animal totem », il a fallu donc fonctionner d’une autre façon. J’ai fait le choix dès le départ de choisir un format le plus large possible – l’extra large cinémascope. C’était passionnant de remplir un espace aussi singulier. De plus, il y a eu deux chefs opérateurs, Hugues Poulain pour l’image classique et un familier à la faune, Thomas Labourasse, pour les visions animales.
Je suis content d’avoir connu une telle expérience solo. J’ai réalisé mon film picard et Gus a fait son film mauricien.
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« Animal totem » a en effet un aspect documentaire. Vous visitez toujours les zoos ?
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Oui. Lorsque nous sommes invités par un festival, nous profitons de l’occasion pour observer les animaux. C’est fascinant. L’animal totem de Gus est l’ours, quant à moi c’est l’élan orignal. Lors du tournage d’«Aaltra » (2004), nous avions profité de l’occasion pour suivre des chasseurs finlandais un matin afin d’observer nos animaux totems respectifs. Ce fut un échec (rires). J’ai pu voir des élans dans un enclos public à Göteborg lors d’un festival de cinéma.
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« Animal totem » est-il le film le plus contrôlé car le plus manichéen, le plus fantastique, le plus poétique ?
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La vengeance symbolique cela soulage (rires). Je rappelle tout de même qu’«Animal totem » est un conte. Mon petit-fils, âgé à peine 3 ans, m’a demandé : « C’est pour de faux, pépé ? ». La réponse est oui.
Il y a une scène où Samir Guesmi attaque une éolienne. Il n’a rien contre elles mais c’est clairement une référence à Don Quichotte affrontant les moulins à vent. Une grande partie de mes films porte cet esprit.
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Qu’apporte la musique de Sébastien Tellier ?
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Quelle joie de travailler avec un tel génie ! Après l’écriture du scénario, j’ai demandé à Sébastien de composer la musique du film. Il avait fait un travail superbe pour « Saint Amour » (2016) et devait travailler à nouveau avec Gus et moi sur un autre projet, « Dada ». Ce n’est pas allé jusqu’au bout mais pour « Animal Totem », je voulais intégrer Sébastien dans l’équipe. Il fallait qu’il trouve un thème musical qui fasse référence à la pensée humaine. Qu’est-ce qui le différencie de l’animal ?
Sébastien a pris du temps et nous a envoyé ses maquettes en octobre 2024 au moment de la fin du tournage.
Lors du montage, nous avons constaté que sa musique était parfaite pour « Animal Totem ». Elle traite de la nostalgie d’un monde en train de disparaître.
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Que représente le personnage de Patrick Bouchitey ?
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Il est le poète errant que l’on peut retrouver dans les livres de Dostoïevski. On dirait même Antonin Artaud. J’ai rencontré Patrick lors du Festival grolandais de Toulouse. C’est un grand observateur du monde animal. Patrick a passé des heures entières à imiter les singes, à imaginer des dialogues entre les bêtes. Il était évident de le voir jouer dans « Animal Totem ».
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Y’a-t-il eu une part importante à l’improvisation – ce qui le différencie de vos autres films ?
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« Aaltra » et « Avida » (2006) sont nos œuvres les plus cinématographiques. Il y a des silences profonds et des scènes surréalistes extraordinaires. Nos deux premiers films avec Gus ne reposaient que sur 40 pages de scénario. Il y avait donc beaucoup de liberté. L’improvisation était la bienvenue et nous avons vécu des moments uniques. Je remercie Vincent Tavier et Mathieu Kassovitz, les producteurs respectifs.
Malheureusement, le cinéma est maudit : Il est très difficile de faire de tels films de nos jours. Les chaînes de télévision productrices exigent pour un long métrage un scénario de 120 pages. Par conséquent, pour notre troisième film, « Louise-Michel » (2008), il a fallu suivre les règles. Nous avons beaucoup travaillé sur les dialogues. L’improvisation a été mise un peu à l’écart.
Avec « Animal Totem », j’ai voulu revenir vers une plus grande liberté. C’est un film art brut qui donne de la place à la nature, à la musique et aux silences.
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Que souhaitez-vous explorer à présent ?
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Le cinéma et Groland sont un prolongement de nos souvenirs d’enfance. On continue de jouer. Nous préparons une surprise grolandaise pour Noël prochain.
L’autre jour, je me promenais dans un village à la recherche de biscuits artisanaux. Un type taillait sa haie à bord d’un élévateur. En me voyant, il se met à crier : « GROLAND ! – Je ferai n’importe quoi pour Groland. »
Je l’ai alors recruté 2 jours plus tard afin d’installer avec sa machine un immense drapeau grolandais en haut d’un poteau en pleine campagne. De tels moments apportent du bonheur.
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