Luc Desportes est un dessinateur-narrateur. Enfant, il passait une grande partie de son temps dans le cinéma de son quartier. Depuis, Luc Desportes nous raconte des histoires (illustrées). Le story board (ensemble de dessins qui permettent de visualiser les plans d’une séquence cinématographique) est devenu sa spécialité. Luc Desportes travaille activement avec des réalisateurs Cédric Klapisch (jusqu’à tout récemment avec « La Venue de l’avenir » – 2025), Jean-Pierre Jeunet, Rachid Bouchareb ou encore Thomas Gilou.

En 2021, il retranscrit l’histoire écrite par Raphaël Frydman en bande dessinée, « L’Echelle de Richter » (Editions Gallimard BD).

Entretien avec Luc Desportes, dessinateur passionné.

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Vous devenez étudiant à l’Ecole Supérieure des Arts Appliqués Duperré. Le dessin était-il une évidence pour vous (vos parents étaient architectes) ?

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En effet c’est plus une évidence qu’un choix. J’aimais aussi beaucoup la musique mais l’image était importante dans ma vie et je ne pouvais devenir que dessinateur. J’avais un goût plus prononcé pour la bande dessinée. J’avais été passionné par la lecture du livre de Tardi et de Jean-Claude Forest (1978). J’ai commencé par de l’illustration, mais je n’aimais pas beaucoup ça. Quand je lis un livre je me fabrique mes propres images, et l’idée d’imposer mes images à un lecteur ne me plaisait pas. Je voulais faire de la BD même si ce n’était pas bien vu à ce moment-là..

J’avais besoin de raconter des histoires grâce à plusieurs dessins. J’adorais la construction d’une intrigue par l’enchaînement des images. Je pense que le cinéma a influencé mes goûts. Je demandais souvent à des amis de rembobiner une cassette afin de revoir la scène. Je voulais comprendre comme le réalisateur avait imaginé les plans.
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© Luc Desportes
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Aux Beaux-Arts de Paris, vous rencontrez Cédric Klapisch. Il vous entraîne dans son univers cinématographique. Comment travaillez-vous ensemble ?

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Cédric venait de revenir des Etats-Unis. Afin d’encourager des producteurs à financer son moyen métrage, « Ce qui me meut » (1989), il avait besoin de dessins pour faire comprendre sa démarche. Cela traitait d’Etienne-Jules Marey, un des inventeurs de la chronophotographie. « Ce qui me meut » a bien fonctionné et j’ai continué de suivre Cédric dans ses différents projets cinématographiques. C’est un vrai bonheur de travailler avec lui car il comprend plus vite que moi les story boards. Si le sujet du story-board d’« Un Air de famille » (1996) était le travail de mise en scène dans un lieu clos, celui de « l’Avenir à venir » (2024) était au contraire l’espace, les déambulations.

Par curiosité, je venais sur les plateaux de tournage mais finalement, j’ai préféré rester à l’écart. Je préfère en effet travailler dans mon coin.  
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Avec « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » (2001 – Le scénario paru en 2011 aux éditions Lettmotif), vous travaillez sur un projet qui fait écho à la bande dessinée (bulles, cœur qui bat,…). Est-ce un projet qui semblait ne pas avoir de limites ?
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Je ne connais pas un réalisateur qui utilise le story board de la même manière. Chacun a sa vision des choses. Jean-Pierre est un réalisateur méticuleux. Il vient me voir avec des petits dessins afin d’orienter mon croquis. Nous dialoguons beaucoup ensemble.

Pour Jean-Pierre, le story board doit être le moteur de son film. Le story board est un outil simple afin que toute personne, décorateur, accessoiriste, chef opérateur, puisse le comprendre très vite. Dans quelques tournages, certaines personnes ne parlent même pas français. Avec le story board, nous enlevons toute ambiguïté.  
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© Luc Desportes

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Avec Jean-Pierre Jeunet, vous aviez la passion commune pour Tardi ?

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Quand nous avons imaginé ensemble la ville de Paris pour « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain », il est évident que mon référent c’était Tardi. Il y a chez ce dessinateur une grande beauté et de la maîtrise. « Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain » nécessitait un story board très clair et qui donc allait à l’essentiel.  
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La mise en couleurs du story board a été une envie ?

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Avec le succès du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain », nous avons ajouté de la couleur et j’ai fait en sorte que l’on reconnaisse davantage les acteurs.
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© Luc Desportes

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Deux ou trois storyboards que vous retenez particulièrement ?
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C’est vraiment difficile de n’en retenir que si peu. Il y a des storyboards qui ont été ennuyeux à réaliser. Mais il y en a pleins qui avaient un intérêt particulier.

En tout cas celui que je retiens en premier, et c’est une évidence, c’est le storyboard de « Peut-être » (1999). Tout était démesuré dans ce film : Le décor était sublime, nous avions inventé des moyens de locomotion étranges, des costumes délirants, des piscines verticales …

Après je pense aux storyboards des films « La Vérité si je mens ». C’était assez frénétique, agité….mais bien marrants. 
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Le story board est-il aussi le moment d’apporter des idées ?

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Le cinéma est avant tout une œuvre collective. Un film s’enrichit avec les idées du scénariste, du réalisateur, du décorateur et du chef opérateur. Avec Cédric Klapisch, il nous arrive de jouer les scènes ensemble afin de trouver la meilleure scène.

Je garde toujours avec moi un petit carnet. Un seul dessin peut permettre de déverrouiller n’importe quel blocage. Il m’arrive de réaliser une image, de la prendre en photo et de l’envoyer par SMS.  

Avec Jacques Audiard, il y a plus d’improvisation. Je me souviens notamment du travail sur « Sur mes lèvres » (2001). C’est un film avec des scènes sans dialogue et où les personnages ne sont pas dans les mêmes lieux. C’était par conséquent complexe mais amusant à imaginer.   
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Après quelques pages pour (A Suivre), vous réalisez enfin une bande dessinée avec « L’Echelle de Richter » (2021). Comment est né votre travail avec Raphaël Frydman ?
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Cédric Klapisch avait interviewé Tardi. Il lui avait montré certains de mes dessins. Tardi avait alors proposé que je dessine une histoire pour le magazine (A Suivre). Nous nous sommes brièvement rencontrés et ma courte BD a été publiée.

Comme Raphaël est réalisateur, nous avions l’habitude de nous croiser. Sans cesse, il me disait que nous devions travailler ensemble. « L’Echelle de Richter » devait initialement être une série mais Raphaël ne trouvait pas les financements. Il m’a alors fait appel afin de réaliser un roman graphique.

« L’Echelle de Richter » n’a pas été simple à faire. Je pouvais être en désaccord avec Raphaël. Cédric Klapisch a vu ce que j’avais déjà dessiné et nous a encouragés à continuer. Ses encouragements nous ont motivés et les éditions Gallimard ont été intéressées pour publier « L’Echelle de Richter ».
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© Luc Desportes

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Y’avait-il une envie de réaliser une histoire libre (pas de gaufrier) et avec du silence ?

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Je voulais m’échapper de l’ambiance ordonnée des story boards. Raphaël m’a aidé à être plus libre et d’avoir plus confiance en mes premières idées. « L’Echelle de Richter » a été pour moi une récréation studieuse. Lorsque je dessinais, Raphaël n’avait pas encore terminé l’histoire. Cela nous donnait plus de liberté. C’était l’antithèse du story board qui doit obéir à toutes les contraintes.  

Lorsque je me rendais dans le bureau de Raphaël, rue Saint-Denis, je pouvais voir les lieux que je venais de dessiner. C’était comme me promener dans mes dessins.
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Quelles sont vos envies ?

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Il est évident que j’aimerais continuer de travailler avec Cédric Klapisch.

Je viens tout juste de terminer une nouvelle bande dessinée, dont j’ai écrit le scénario. L’année dernière, je me suis rendu dans la maison familiale en Bretagne. Pendant un mois, j’ai vécu là-bas avec mon frère, écrivain, et mon père, sculpteur. L’ambiance était chargée. J’ai donc voulu occuper mon esprit. Je me suis mis sans cesse à dessiner mon père et mon frère. Ils m’ont laissé faire.

Au fil du temps, une histoire s’est imposée à moi. Je cherche à présent un éditeur.
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© Luc Desportes
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