Véritable conceptrice de l’image, Elena Iv-Skaya s’est engagée dès 2013 avec passion dans la carrière de photographe. Auparavant modèle et fortement imprégnée par les paysages de l’Île de la Réunion, l’artiste russo-ukrainienne a sublimé les femmes dans un décor de rêve. Par son point de vue, la photographie renoue avec la peinture. Les couleurs et les objets du quotidien magnifient les femmes. Photographe de mode, Elena Iv-Skaya devient la partenaire de grandes marques et voit son travail publié dans des revues internationales comme Harper’s Bazaar, Elle, Vogue ou encore PHOTO magazine.
Son décès l’été dernier a laissé un grand vide. Son travail artistique montre une grande sensibilité et célébrait de façon somptueuse les corps et les décors.
Entretien avec la mannequin Sabrina Saad, amie d’Elena Iv-Skaya.
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Travailler dans l’univers de la photographie était-il une évidence pour Elena Iv-Skaya ?
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Pas au départ. C’est son ex-mari, propriétaire d’une agence de pub à La Réunion, qui avait repéré son talent et l’avait encouragée à poursuivre sa carrière dans la photographie. Dès qu’Elena a commencé, la photo est vite devenue une évidence, presque une nécessité intérieure.
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Ancienne mannequin, Elena Iv-Skaya était-elle plus attentionnée, plus ouverte au dialogue que d’autres photographes ?
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Oui, absolument. Elle savait ce que c’était d’être face à l’objectif, et cela l’avait rendue très attentive et rassurante. Elena avait cette capacité rare à mettre en confiance les autres.
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Comment se déroulaient les projets ? Y’avait-il de longs débats ?
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Non. Elena savait exactement ce qu’elle voulait. Elle avait l’œil et une grande créativité et restait ouverte aux échanges, mais sa vision était toujours claire et précise.
Avec les années, son style est devenu unique : audacieux, coloré, graphique. Ce qui guidait Elena, c’était surtout l’élégance et la féminité.
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Le bonnet de bain était-il devenu une vraie identité graphique ?
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On pense en effet souvent au bonnet de bain, mais la vraie signature d’Elena, c’étaient surtout les couleurs. Elle savait les utiliser comme personne : intenses, vibrantes, toujours au service de la féminité et de l’élégance.
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L’ïle de la Réunion inspirait-elle Elena Iv-Skaya ? La Suisse ?
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La Réunion énormément, par ses couleurs, sa lumière et sa nature. La Suisse lui apportait d’un point de vue plus personnelle du calme, de la profondeur et également de la rigueur.
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La peinture était une grande influence pour elle ?
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Oui, elle s’en inspirait beaucoup. Elena parlait souvent de peinture, de Vincent Van Gogh, de Paul Gauguin, d’Henri Matisse ou encore de David Hockney. Elle concevait ses photos comme des toiles vivantes et vibrantes.
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Qu’est-ce que vous surprend encore chez Elena Iv-Skaya ?
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La dualité. C’était une femme d’une douceur et d’une humilité immenses. Elle créait pourtant des images d’une puissance incroyable. La photographie était en Elena. Quand elle a dû arrêter pendant sa maladie, ce manque l’avait profondément éteinte et rendue malheureuse. La photographie était son souffle vital. Je pense très souvent à elle.
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Elena Ivskaya — Ma légende éternelle par Sabrina Saad
Il y a des êtres qui ne passent pas.
Ils restent.
Ils marquent l’âme, le cœur, la vie.
Elena Ivskaya est de ceux-là.
Elle n’était pas seulement une photographe de talent.
Elle était un regard, une lumière, une force douce et immense à la fois.
Elle avait cette capacité rare de transformer une séance photo en moment de grâce.
Avec elle, je n’avais pas besoin de mots : elle savait.
Dès que je passais devant son objectif, je sentais exactement ce qu’elle attendait de moi.
Elle me guidait d’une main de maître, avec précision, rapidité, et cette intensité unique qui faisait toute la magie de son travail.
Elle a marqué ma carrière de mannequin.
Grâce à elle, j’ai pu vivre certains de mes plus beaux éditos.
Mais plus encore, elle a marqué ma vie.
Elle m’a apporté bien plus que des images. Elle m’a offert une confiance, une énergie, une vision.
Une vraie alchimie nous unissait. Quelque chose de rare, de profond, d’évident.
Quand on travaillait sur un projet ensemble, c’était du tac au tac.
Je préparais le stylisme avec elle, et dès que je lui montrais une pièce ou un accessoire, elle savait tout de suite si ça allait fonctionner en image.
Pas besoin d’essayage, pas besoin d’en faire trop. Un seul regard, et elle avait sa réponse.
Elle lisait la photo avant même qu’elle existe.
Elle avait cette intelligence visuelle fulgurante, ce don instinctif de savoir ce qui allait vibrer à travers l’objectif.
Quand on évoquait un projet, je lui disais : “allez, on le fait”.
Elle me répondait souvent : “impossible, trop compliqué”.
Et moi, je souriais : “on en reparlera quand on l’aura fait”.
Et comme par magie, elle finissait par dire “allez”,
et le projet prenait vie.
Elle me disait parfois : “arrête de trop rêver, Sabrina”.
Et je lui répondais : “je vais t’emporter avec moi, et on va le rendre réel”.
Et c’est ce qu’on faisait.
On revenait les bras pleins de souvenirs, le cœur battant, complices et fières.
Et souvent, nous n’étions pas seules.
Nous formions un véritable trio avec Daniela Isabella Valenzi, une autre âme précieuse et une grande amie.
Dès que notre moodboard prenait vie, on appelait Daniela et on lui disait : “tu nous suis ?”
Et elle répondait toujours en riant : “je vous suis au bout du monde !”
Et elle nous suivait. Vraiment.
On riait tellement de cette phrase devenue promesse.
C’était notre rituel, notre élan, notre trio de feu.
Un jour, au téléphone, alors qu’elle était déjà malade, Elena m’a dit :
“Sabrina, emporte-moi, j’ai besoin qu’on fasse un projet incroyable.”
Sur le moment, je lui ai répondu doucement :
“Tu es sûre ? Il vaudrait peut-être mieux que tu te rétablisses d’abord…”
Et elle m’a répondu avec cette assurance si à elle :
“Ne t’inquiète pas, je suis en forme.”
Alors on a commencé à rêver.
On a travaillé sur un moodboard, comme on savait si bien le faire.
Elle avait des idées pleines la tête, elle vibrait.
Et pourtant, je n’ai pas insisté.
J’ai préféré attendre.
Je voulais qu’elle soit vraiment remise.
Et aujourd’hui, c’est un de mes plus grands regrets.
Ce projet est resté inachevé.
Mais je sais qu’il vivait déjà en elle.
Même affaiblie, elle pensait encore à créer.
La photo, c’était son souffle, son moteur, sa vérité.
Faire du shopping avec elle, c’était un moment suspendu.
Quand je sortais de la cabine, elle formait un rond avec ses doigts comme si elle regardait à travers un objectif.
En quelques secondes, elle savait si ça m’allait ou pas.
Elle avait ce regard tranchant, instinctif, presque magique.
Je n’ai jamais été aussi bien conseillée. Ces moments étaient à part, précieux.
Et quand on sortait, je la voyais arriver de loin.
La grande blonde, fine, élégante, le sourire immense.
Elle ne passait jamais inaperçue.
Elle captait les regards, sans même le chercher.
Mais ce n’était pas qu’une question de beauté : elle dégageait quelque chose. Une paix, une puissance, une lumière.
Elena, c’était aussi une femme d’une douceur infinie.
Aimée de tous, elle ne supportait pas les conflits.
Elle gardait toujours de bons liens avec chacun. Elle choisissait la paix.
Et pourtant, elle avait une force intérieure immense.
Elle savait exactement ce qu’elle voulait — et encore mieux, ce qu’elle ne voulait pas.
Elle était droite, carrée, exigeante, perfectionniste.
Elle allait au bout des choses. Toujours avec élégance.
Et puis il y a eu la fin.
Brutale. Injuste.
Je n’ai pas pu être à ses côtés physiquement.
Mais j’ai pu lui envoyer un message vocal.
Son compagnon lui a fait écouter ma voix, juste avant qu’elle parte.
Et elle a souri.
Elle a souri en m’entendant lui dire que je l’aimerai pour toujours,
que je perpétuerai sa mémoire,
Je suis profondément reconnaissante d’avoir pu lui dire ces mots.
Et je ne pourrai jamais assez remercier l’homme qui a été là pour elle, jusqu’au bout.
Il l’a aimée avec une force bouleversante, il a pris soin d’elle avec tant de tendresse et de courage.
Il lui a offert l’amour, la présence et la paix qu’elle méritait.
À ses côtés, elle n’était pas seule. Elle était aimée.
Et depuis…
J’ai le cœur brisé.
Parce que je sais que ce que j’ai vécu avec elle était unique.
Parce que je sais qu’un lien comme celui-là ne se recrée pas.
Cette complicité si rare, cette symbiose entre l’humain, l’art, la vie…
Je ne la revivrai jamais.
Mais je la porterai toujours avec moi.
Dans chaque projet, chaque souvenir, chaque rêve qu’on aurait pu encore faire ensemble.
Elena ne disparaît pas.
Elle devient éternelle.
Elle est dans chaque lumière, chaque image, chaque battement de mon cœur.
Ma légende. Mon amie. Mon inspiration. Pour toujours.
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Sabrina SAAD
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Photo de couverture : © Elena Iv-Skaya