Depuis la seconde moitié du XXème siècle, le monde connaît une multitude de révolutions techniques. Certaines innovations bousculent les esprits mais parfois elles sont à l’initiative d’un esprit artistique. Face à son ordinateur, Raphaël Lacoste invente et par-dessus tout imagine. Directeur artistique de sagas de jeux vidéo comme Prince of Persia et Assassin’s Creed, il a également participé plusieurs concepts de films. Dans « Worlds » (Editions Caurette – 2021), Raphaël Lacoste expose et se raconte sous la forme d’un magnifique Art Book. Vivant au Canada, il garde manifestement un beau point de vue européen et surtout une grande maîtrise de l’image.

Entretien avec Raphaël Lacoste, créateur de rêves.

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Y’a-t-il une certaine magie dans la construction de l’image ?
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Tout peut commencer avec un voyage comme par exemple en Norvège, une photographie que j’ai pu prendre avec mon téléphone portable ou bien avec le visionnage d’un film. J’ai toujours été influencé par les films de René Laloux tels que « Les Maîtres du temps » (1982) ou « Le Roi et l’oiseau » de Paul Grimault (1980). Dès l’enfance, je voulais créer des mondes. Cela a commencé avec la réalisation de dessins d’édifices ou de villes souterraines, d’histoires…. Moebius s’est d’ailleurs inspiré du tableau « L’Île des morts » (1880-1886) d’Arnold Böcklin pour concevoir le Palais de Silbad dans « Maîtres du temps ». L’inspiration est partout, autour de nous et aussi chez les maitres qui nous ont affectés par leurs œuvres.

Je pense sans cesse à la création.
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Kalisto a-t-il été un lieu clé dans votre parcours ?

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Elève aux Beaux-arts de Bordeaux, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Mes professeurs réalisaient des performances artistiques et des vidéos et je me voyais mal suivre le même parcours. Je voulais m’orienter vers l’art figuratif, la photographie ou encore l’illustration. Heureusement, mes parents m’ont toujours soutenu dans mes choix. J’ai intégré le Laboratoire d’images numériques à Angoulême. J’ai eu la chance d’avoir René Laloux comme directeur de pédagogie. Il m’a notamment soutenu lors de la réalisation de mon premier film ‘NIUMB’.

Kalisto m’a repéré à Angoulême et j’ai ainsi pu commencer une nouvelle carrière d’artiste. 

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© Raphaël Lacoste

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Est-ce que ce fut un défi d’intégrer la saga Prince of Persia en 2002 ?
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En 2002, Je faisais partie des rares artistes qui avaient un site internet avec un portfolio intégré. J’ai ainsi été remarqué par l’équipe du jeu vidéo Prince of Persia. On m’a proposé de devenir directeur artistique à Montréal alors que je n’avais fait que 2 ans chez Kalisto. J’ai accepté mais c’était un vrai saut de l’ange.

Il a fallu que je m’adapte à la culture nord-américaine et avec des partenaires aux égos parfois surdimensionnés. J’ai dû m’adapter culturellement car si on parle la même langue qu’en France, la culture est très différente. Pour moi, c’était un énorme défi d’être directeur artistique sur un projet majeur, sans expérience dans ce métier. J’ai énormément appris et cela a été un des moments à la fois les plus difficiles et des plus enrichissant de ma carrière.
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Montréal est une ville qui vous inspire ?
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C’est une ville très hétérogène. Il y a des contrastes intéressants qui ont pu me servir sur certains projets. Cependant, pour la série des Assassin’s Creed, nous avons l’habitude de faire des scouting trips. Montréal est alors juste un agréable environnement de travail.

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© Raphaël Lacoste

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Le jeu vidéo est-il un autre livre ?
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Même si le jeu vidéo laisse beaucoup de liberté au joueur, les créateurs peuvent travailler sur de nombreuses thématiques. Le world building est une véritable science extraordinaire et quasiment sans limites. Le cinéma tel que je l’ai vécu professionnellement comme Matte Painter, ne peut pas donner autant d’espace à la création car c’est un univers plus technique. Si vous ne travaillez pas directement avec le réalisateur ou le production designer, l’exercice peut devenir très compartimenté et appliqué. Le jeu vidéo peut vous permettre de partir de la page blanche, en somme de rien, puis au fur et à mesure tout prend forme sous vos yeux – du monde aux personnages, animaux et biomes, ciels et nuages en mouvement, couchers et levers de soleils. Brusquement le monde vit devant vous.

Lors de la réalisation du « Assassin’s Creed Origins » (2017), il fallait reconstituer l’Egypte ancienne. J’ai eu de longs débats avec le directeur créatif car il voulait être le plus proche possible de la réalité historique documentée. Quant à moi, en bon directeur artistique, je voulais conserver la saveur de l’Egypte antique, y capturer l’essence tout en proposant plus de fantaisie et donc plus de liberté artistique. Pour moi, le joueur doit rêver, s’évader. Le monde virtuel ne peut être représenté parfaitement à l’échelle ou littéralement reproduit. Un jeu vidéo n’est pas un documentaire mais bien un divertissement. On doit également transmettre des émotions au joueur.

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Assassin’s Creed est-il un univers infini et donc complexe ?

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© Raphaël Lacoste

Il y avait des règles strictes. Si on peut trouver une information historique en moins de 2 minutes sur Internet, il “faut” la respecter. Nous devions notamment tenir compte de la taille du phare d’Alexandrie ou certaines informations historiques vérifiables. La réalité peut parfois être un obstacle à la créativité. Dans le monde des fictions, je pense qu’il faut laisser la place à plus de fantaisie. Ce fut le cas pour « Assassin’s Creed : Black flag ». Nous avons respecté l’Histoire tout en laissant la part belle à l’imagination. Nous nous sommes beaucoup inspirés d’illustrations de pirates telles que réalisées par Howard Pyle. De grands peintres comme l’incontournable Montague Dawson ont été d’une grande aide pour les scènes maritimes. Les mondes mythologiques sont aussi de formidables lieux de fantaisie tels que ceux découverts dans « Assassin’s Creed Valhalla » (2020).  La ville de Memphis et le Temple de Ptah dans « Assassin’s Creed : Origins » n’étaient pas à l’échelle réelle mais nous avons proposé de vivre la grandeur et avons souhaité retranscrire l’émotion ressentie par les voyageurs qui découvraient de tels monuments.

La série Assassin’s creed est une initiation au voyage.
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Avez-vous installé des easter eggs dans Assassin’s Creed ?
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Vous pouvez en trouver certains dans le chalet de « Assassin’s Creed : Valhalla ». Ce n’est pas moi qui les ai intégrés mais les easter eggs font référence à moi et certains collègues. C’est sur le ton de la blague et du 4e degré. Vous pouvez aussi trouver Optimus Prime dans le premier « Assassin’s Creed » !

Dans « Prince of Persia », le château est aussi une référence à celui du film « Le Roi et l’oiseau ». L’influence de Paul Grimault continue de me suivre. 
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Y’a-t-il des atmosphères qui sont devenues vos signatures ?
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J’aime travailler l’échelle d’environnements qui ont une résonance, qui font écho à une civilisation ancienne, à un passé oublié, à d’anciens monuments. Certains lieux, souvent exagérés mais épiques, vous invitent au voyage. La brume distante permet de suggérer des formes ou des structures sans trop les décrire, de laisser des questions ouvertes, explorer l’image et de s’y immerger.

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© Raphaël Lacoste

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« Jupiter : Le Destin de l’univers » (2009), « Mister Nobody » (2005), « Terminator Renaissance » (2009)… Est-ce un autre exercice de participer à des films ?

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Oui. Pendant trois semaines, j’ai réfléchi avec toute une équipe sur la pré-conception du film « Immortals » (2011). Vous travaillez avec des personnalités différentes. J’ai notamment réalisé les matte paintings de « Mister Nobody » avec le dessinateur François Schuiten. J’ai conceptualisé pour Christopher Townsend le Centre de la Terre pour « Journey to the Center of the Earth ». J’ai aussi eu la chance de faire des Matte Paintings pour « Terminator Salvation ».

Le cinéma est un univers à la fois très impressionnant, glamour et rodé. J’ai apprécié d’apprendre l’utilisation de nouveaux outils et surtout de collaborer avec des artistes très séniors. Dans le jeu vidéo, je fais déjà partie des personnes les plus expérimentées…

Aussi, Il m’est arrivé de travailler pendant des semaines sur un projet et être déçu de ne pas voir mon nom au générique. « Jupiter : le Destin de l’univers » a été l’inverse : J’ai eu une participation peu importante sur le film et pourtant je suis pourtant reconnu et félicité.

J’aimerais réaliser à nouveau des courts métrages. J’ai pu remarquer que le Canada est un pays qui soutient davantage les artistes que la France.

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Que penser de l’intelligence artificielle ?
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C’est une révolution technologique. L’intelligence artificielle ne peut être ignorée mais pas nécessairement utilisée. Le problème pour moi c’est qu’il s’agit un immense raccourci : je sais que certains réalisateurs ou directeurs de création y ont de plus en plus recours. Cela m’inquiète car cela veut dire moins besoin de nous, les artistes.

Personnellement en tant que directeur artistique je n’ai pas recours à l’IA, tout simplement parce que cela ne résout pas les problèmes et n’apporte pas de solution de design, pour les sujets que j’aborde.

Cependant, la technologie s’améliorant de jour en jour, je constate que la fantaisie disparaît. Les images deviennent de plus en plus réalistes et plus génériques avec de tels outils.

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Quels sont vos projets ?

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J’ai des projets photo et j’aimerais explorer davantage des univers en illustration. Durant mon temps libre, j’aime transposer des mondes sous forme d’illustrations – Parfois avec une base 3D ou en réutilisant des images et photographies que j’ai prises lors de voyages. Il est toujours fascinant et intéressant pour moi, en dehors du travail d’explorer des mondes de fantaisie ou de science-fiction, surtout si mon travail au quotidien n’aborde pas de tels sujets. Cela me manque.

Peut-être un jour je pourrais réaliser un court métrage, inspiré d’un des univers que j’ai pu illustrer.

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© Raphaël Lacoste
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Photo de couverture : © Raphaël Lacoste

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