Dès le premier regard, les images de la photographe FLORE font appel à la plus grande attention. En noir & blanc ou en d’autres couleurs, elles font écho à l’écriture et même au rêve. Par la photographie, FLORE nous raconte des histoires et construit l’image de façon artisanale afin de mieux nous accrocher.

Du Vietnam à l’Occitanie en passant par l’Italie avec son dernier livre « Les Rêveries de Lavinia » (Editions Maison CF – 2025), ses voyages s’immortalisent et prennent réellement forme en portraits. La nature est, parmi les humains, un personnage principal dans l’univers de FLORE. L’image retrouve sa fonction initiale : Reconstruire la vie.

Entretien avec FLORE, photographe-conteuse.
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Fille d’Olga Gimeno, artiste peintre – peut-on dire que l’image a toujours fait partie de votre vie ? Comment votre identité espagnole s’exprime artistiquement ?

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Avoir une mère artiste, cela a signifié pour moi grandir au cœur même de la création, avoir en guise de premiers livres d’enfant ses ouvrages sur l’art et comme jouets quantité de crayons de couleurs, de pastels gras et de jolis papiers à découper car elle a toujours partagé avec nous le meilleur de ce qu’elle possédait comme s’il n’y avait aucune différence de valeur entre ce qu’elle créait et nos gribouillages d’enfants à ma sœur et moi. Après sa mort, dans son atelier, j’ai retrouvé un carton à dessins qui contenait chacun de mes dessins, dûment daté, numéroté et annoté de sa main d’un commentaire expliquant ce que je pensais avoir fait à l’époque. Certains de mes dessins étaient faits au dos des siens.
C’était assez bouleversant comme découverte, de voir combien elle avait accordé d’importance à mes élans créatifs. Je vous raconte cette anecdote parce qu’elle est très éclairante sur l’artiste et la pédagogue que je suis devenue. Je pense que c’est cette attention profonde dont j’ai bénéficié qui m’a donné la force et la confiance qui me permettent de remettre l’ouvrage sur le métier chaque jour de ma vie. J’essaie de donner cette confiance aux stagiaires qui viennent vers nous en masterclass.

Mon identité espagnole, que je tiens non seulement de cette mère que j’adorais mais de mes grands-parents maternels que j’aimais tout autant, me constitue avec l’inévitable cortège de souffrances lié aux histoires de guerre et d’exil. Ce sont certaines des racines douloureuses et inconfortables où puisent mon humanité et ma création, si l’on croit comme moi ce que écrivait Christian Bobin, qu’on à sa blessure et son trésor au même endroit.
De sorte que mon identité espagnole ne peut pas être réduite aux deux séries réunies par André Frère dans le livre Rivesaltes, lieu de souffrance. Je dirais qu’elle irrigue l’ensemble de mon œuvre.
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Nuit bleue © FLORE

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Pourquoi avoir choisi de s’appeler uniquement FLORE ?
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Dans les années 1980, porter seulement un prénom était assez courant, on peut penser à Gladys ou à Renaud. J’avais un prénom assez peu répandu pour pouvoir me passer d’un nom de famille qui me liait à un père qui nous avait quittées.
A seize ans, ma première publication a officialisé ce choix que je n’ai jamais regretté.
Comme ORLAN ou SMITH, nous avons opté pour une écriture en majuscule ou en petites capitales pour éviter toute confusion avec d’autres photographes portant le même prénom.
L’année dernière, lorsqu’un changement de la loi nous l’a autorisé, j’ai choisi de porter le nom de ma mère en plus de mon nom d’épouse. Cela a été une grande libération pour moi.
On parle beaucoup en ce moment du poids que la société patriarcale fait peser sur les femmes; l’obligation de garder le nom du père toute sa vie en faisait partie à mon avis.     
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Le noir & blanc est-il devenu votre identité ?
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Je ne suis pas sûre d’être la mieux placée pour parler de la perception qu’a le public de mon travail mais j’espère que la poétique, la matérialité de l’image et la question du temps prime sur la question du noir et blanc et de la couleur.
J’utilise indifféremment l’un autre dans mes séries, selon les émotions et/ou la temporalité que je cherche à évoquer et finalement de manière presque égale entre les deux.
En ce moment, je travaille en noir et blanc sur l’évocation de la présence de Chopin à Nohant chez George Sand parce que la vision que j’en ai ne pouvait pas être restituée par une gamme de couleurs.
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Lorsqu’on utilise du matériel comme le platine-palladium ou le cyanotype, la cire ou de l’or, est-on scientifique ou artisan ?
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Ni l’un ni l’autre dans mon cas. Je suis simplement une artiste contemporaine qui utilise aussi la photographie, dans sa pluralité, comme médium (sourire).
Je suis très sensible à la matérialité et à la sensualité dans la vie en général et cela se retrouve dans mon travail. J’aime “avoir les mains dans le cambouis”, tirer au laboratoire, cirer ou teinter au thé et que l’atelier sente bon, poser de l’or et qu’il brille en s’envolant dans la lumière, avoir les doigts pleins d’encre à cause de la gravure, jardiner, herboriser, faire du pain, des confiture de fraises, cela fait partie de la joie.
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Est-ce un travail méticuleux peut-être même harassant de retranscrire vos émotions en images ?

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Heureusement, avec la maturité artistique, c’est de moins en moins harassant. Je me connais davantage et, non seulement, je maitrise mieux mais je comprends mieux la photographie. Quant aux autres médiums comme l’estampe ou la porcelaine, même s’ils me sont moins familiers, ne me font pas peur.
Il y a toujours des connaissances qui sont transversales c’est ce qui nous permet de communiquer et de partager entre artistes de disciplines diverses.

Cela ne veut pas dire que ce soit simple ou que je ne travaille pas. Tout au contraire, c’est difficile et je travaille énormément. C’est même le cœur implicite de la pratique.
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Nora et les garçons © FLORE
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Vous avez travaillé autour des figures de Marguerite Duras et de Chopin à Nohant chez George Sand. La photographie est-elle une écriture voire une réécriture ?
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La question de l’écriture m’a paru très tôt fondamentale. Elle l’est plus encore me semble-t-il depuis que tout le monde est devenu plus ou moins photographe. La question qui se pose n’est plus tellement ce que l’on photographie que “comment” et “qu’est ce qu’on y met de soi”.
De surcroît, lorsque, comme moi, on appartient à un courant photographique qui n’a pas pour but principal de restituer le réel, la forme est fondamentale.

Je suis dans des mondes étranges © FLORE

La photographie est par essence liée au réel, donc lorsque je travaille sur une série à propos d’une figure du passé comme Marguerite Duras qui a vécu en Indochine au début du XXème siècle et que j’essaie d’évoquer son univers, il n’y a aucun confort à se rendre à Ho Chi Minh Ville pour essayer de retrouver Saïgon. C’est à ce moment-là que la question de l’écriture photographique rentre en compte, volant pour ainsi dire à mon secours, afin que je puisse retranscrire ma vision de l’œuvre littéraire de Duras en m’appuyant sur un réel qui n’en garde pour ainsi dire aucune trace.
C’est-à-dire mettre en dialogue ce qui est devenu une fiction photographique avec ce qui était une fiction littéraire.

Pour ce qui est de la présence-absence de Frédéric Chopin à Nohant chez George Sand, c’était certainement pour moi une expérience plus radicale encore puisqu’on le sait, après leur séparation, George Sand s’est évertuée à effacer toute trace de Chopin, allant même jusqu’à faire couper sa chambre en deux et brûler toutes leurs lettres. De sorte qu’aujourd’hui, il reste en tout et pour tout, une porte matelassée contre le bruit, un morceau de tapisserie dissimulée dans un coin de placard et une chocolatière. C’était cette absence de traces même qui était passionnante parce qu’elle me prémunissait contre la tentation de faire un inventaire des lieux pour évoquer la présence de Chopin cent ans auparavant dans cette maison. J’ai préféré essayer de trouver une écriture qui, par elle-même, évoquerait cette présence.
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Le « Maroc- un temps suspendu » montre-il un état d’esprit plus que des paysages ?

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Je le crois. La photographie est un médium merveilleux. Par son lien exceptionnel avec le réel, elle peut être utilisée à la manière d’un illusionniste pour troubler la perception du spectateur.
Dans le cas de Maroc, un temps suspendu (aux Éditions Contrejour), je me suis servi des paysages du Maroc contemporain pour restituer mes souvenirs d’enfance et cela fonctionne si bien que d’autres personnes, inconnues de moi, les perçoivent comme leurs propres souvenirs d’enfance.
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L’Orient et l’Extrême Orient sont-ils pour vous des poésies ?

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Il y a en là-bas, en effet, un côté poétique. Mon style photographique s’apparente au théâtre. Il faut l’artiste mais aussi le spectateur pour que la scène puisse fonctionner. Le réel ne prime pas. C’est le moment de la fiction. Le temps de la création nécessite beaucoup de méthodes et d’exigences.
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Babouches pour les femmes d’Alger © FLORE

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Vous avez étudié et exploré le Camp de Rivesaltes pendant près de deux ans. Comment rendre la vie à des lieux abandonnés ?
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Pour Loin de l’Espoir, 2006, lorsque je me suis rendue sur le camp de Rivesaltes pour la première fois, toutes les histoires, les souffrances que j’avais entendues concernant les camps et les diverses populations qui s’y étaient succédé me sont revenues à l’esprit. Ma famille maternelle en fuyant l’Espagne franquiste a connu l’exode, l’internement, la privation et la faim de sorte que je suis sensible à la misère du monde.
En tant qu’artiste, je peux travailler à l’endroit de l’empathie et utiliser une écriture particulière pour transmettre l’idée des souffrances vécues via le tirage.
Je crois beaucoup au pouvoir de la forme du tirage comme langage et vecteur de communication entre l’artiste et le spectateur.

Loin de l’espoir © FLORE

Durant les deux années qui m’ont été nécessaires à terminer les deux séries – avec Je me souviens de vous, 2007-  tout en me documentant sans cesse, je me suis efforcée de garder cette blessure de l’empathie ouverte, ce qui était très éprouvant. Néanmoins, en 2008, j’ai encore fait un travail sur les fosses communes en Espagne dans le cadre d’une résidence qui réunissait des psychanalystes, des historiens, des chercheurs et un autre photographe autour du sujet passionnant Mémoires et transmission.

Aujourd’hui, je n’ai plus la force d’écouter les informations. L’état du monde au quotidien m’affecte trop de sorte qu’actuellement je ne pourrais plus être à l’initiative d’un projet sur un sujet aussi douloureux.
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La nature est-elle le personnage principal de vos photographies ?

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Durant 10 années, j’ai été photographe de théâtre pour la presse. Cela a certainement nourri mon identité artistique de telle manière que, lorsque je photographie, la nature est pour moi une sorte de décor. Je veux dire qu’un lieu vide peut déjà générer des émotions ou évoquer des mondes antérieurs. Si je choisis d’y intégrer un humain, c’est en général plutôt comme un personnage qui mettrait en valeur l’espace que comme sujet principal. Chère amie, la jeune femme aux yeux clos de L’odeur de la nuit était celle du jasmin et Nora et les garçons dans Maroc, un temps suspendu, sont des exceptions.
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Chère amie © FLORE

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La postproduction est un moment-clé ?

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Le tirage et la prise de vue sont aussi importants pour moi l’un que l’autre. La prise de vue, avec ses joies et ses souffrances, c’est être au monde. C’est extraordinaire et irremplaçable.
La moment du tirage, c’est la magie de transformer l’émotion première en image tangible et partageable.
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Quand utilisez-vous la couleur ?

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Lorsqu’il me semble que cela va m’aider à restituer une époque par exemple ou des sentiments ou à évoquer l’effacement de la mémoire.
Elle peut aussi me servir de rupture dans une série en noir et blanc.
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Pour quelles raisons avez-vous réalisé le court film « Que d’amour c’était” ?

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La Fondation Photo4Food et Laura Serani, qui dirigeait alors le Festival Planches Contact, souhaitaient que je participe à la résidence qui a lieu chaque année à Deauville dans le cadre du festival et lorsque j’ai proposé de réaliser un film d’artiste, bien que cela ait été une première, ils m’ont fait confiance. C’était une chance formidable qu’ils m’ont offerte et je leur en suis très reconnaissante.

J’étais entourée de la meilleure équipe qu’on puisse rêver car ils étaient à la fois des professionnels talentueux et des amis chers. Sans chacun d’eux à mes côtés, le film ne serait pas si proche de ce que j’avais imaginé.
J’ai tourné moi-même, en 16 mm et en noir et blanc avec une Paillard-Bolex non motorisée des années 1930 qui correspondait à l’époque du récit et m’offrait une écriture assez éloignée du réel.
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Film « Que d’amour c’était » © FLORE
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Quelles sont vos envies ?

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Depuis peu, je travaille la porcelaine. Apprivoiser un nouveau médium m’enchante et me motive beaucoup car, au fond,  ce qui me plaît le plus c’est la recherche. J’ai toujours aimé apprendre.

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© Adrian Claret
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