Plat traditionnel de l’Italie du Sud, la pizza s’est peu à peu développée et à traverser le monde avec l’immigration et l’influence italienne. De la simple Margherita et sa boule de mozzarella jusqu’à celle à la truffe, le met napolitain fait partie des incontournables. Un grand nombre de nouveaux restaurants, mêlant chic et tradition, s’est établi dans les grandes villes du monde. Alba Pezone, Napolitaine vivant entre l’Italie et la France et spécialiste de la pizza, confie son amour de la gastronomie transalpine dans « Pizza mania » (Editions La Martinière – 2024). Le livre fait voyager le lecteur à Naples mais aussi à Marseille et à Paris, grandes ambassades de la pizza.
Entretien avec Alba Pezone sur l’art venu de la grande péninsule méditerranéenne.
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Comment expliquer le triomphe de la pizza (voire une domination – vous parlez de « conquête du monde ») selon vous ?
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Lorsque la pizza est devenue patrimoine mondial de l’Unesco en 2017, l’objectif était aussi, avec la mondialisation, de protéger les fondamentaux, les gestes et le savoir-faire de la cuisine.
Dans mon livre, je m’interroge sur la notion même de la pizza. Les Napolitains lui ont donné ses lettres de noblesse et ensuite elle a fait le tour du monde. La pizza est populaire car c’est un plat à la fois peu cher, simple et accessible (peu d’ingrédients sont nécessaires : farine, eau, levure). La mozzarella, la tomate et l’origan se sont imposés car c’était ce que les Napolitains avaient à foison.
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Être napolitaine c’est avoir une relation particulière avec la pizza ?
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La pizza est bien entendue liée à Naples. Même si, étant originaire de cette ville, je suis à présent une expatriée. La pizza provoque en moi une certaine nostalgie. « Pizza mania » traite de cela en recherchant de bons restaurants à Paris et à Marseille afin de combler ce manque. Il y a une certaine provocation voire de l’iconoclasme : la pizza est voyageuse. Par conséquent, elle ne doit pas être rangée dans un musée. La pizza mérite de se balader hors de Naples.
Mon premier livre (« Recette des meilleurs pizzaiolos de Naples » 2014) s’est réalisé uniquement avec des pizzaiolos napolitains. Avec « Pizzamania », ma démarche était de prouver une certaine évolution des mentalités. Cependant, le livre commence avec Alessandro Condurro, propriétaire de L’Antica Pizzeria Da Michele à Naples. Chez lui, seules deux pizzas sont à la carte. Mais la famille Condurro possède une vingtaine de pizzérias dans le monde. Même les Napolitains font voyager la pizza car les mentalités évoluent.
Je me suis également rendue à Paris et à Marseille. J’aurais pu me rendre également aux Etats-Unis, au Danemark et en Corée du Sud afin de goûter des pizzas différentes de Naples.
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Quels sont selon vous les points communs chez les différents pizzaiolos que vous avez pu rencontrer ?
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Il y a incontestablement un amour du métier, du partage et le respect d’une certaine tradition. Un grand nombre ont certes un regard tourné vers le futur tout en conservant les traditions. La communauté de la pizza est mondiale et connaît une forte compétition concernant le savoir-faire. Au même titre, le secteur de la pâtisserie a dû également s’adapter. La cuisine moléculaire, avec son aspect scientifique, a, elle aussi, une forte influence.
Pendant longtemps, les pizzaiolos ne révélaient pas leur savoir-faire. Il y avait beaucoup d’empirisme et les recettes n’étaient pas identiques. Les recettes se transmettaient oralement. De nos jours, les pizzaiolos forment leurs équipes ce qui permet l’installation de chaînes de restaurants. Des personnes d’origines lointaines peuvent par conséquent devenir d’excellents chefs.
Dans « Pizzamania », il y a Bobby, ce pizzaiolo parisien qui avait travaillé auparavant dans le milieu de la communication. Il a pris la décision de se former à Naples. Bobby réalise lui-même sa propre pate et a aujourd’hui l’une des meilleures pizzerias de Paris. Il y a quelques années, cela n’aurait pas été possible. Le métier de pizzaiolo est bousculé de manière positive.
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L’univers de la pizza a aussi changé en apparence. Il y a de nos jours des chefs soignés, tatoués, bien habillés, qui communiquent. La pizza s’est-elle adaptée au monde ?
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Il y a de véritables réflexions concernant les ingrédients choisis. Certains pizzaiolos ont fait le choix de prendre autre chose que la tomate ou la mozzarella. La cuisson elle-même doit s’adapter.
Les réseaux sociaux sont à présent les lieux indispensables pour communiquer. Les jeunes pizzaiolos sont parfaitement conscients de cela et sont devenus des vedettes. Ils soignent leur tenue, leur discours et leur apparence afin de se démarquer. Ce sont aussi de vrais communicants. De nos jours, on ne vient pas manger une pizza en particulier, on se rend dans un endroit afin de déguster celle d’un pizzaiolo en particulier. Son savoir-faire, son parcours, son identité peuvent séduire. La margherita peut être clairement différente selon le pizzaiolo.
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Vous présentez de nombreuses recettes. La préparation de la pizza fait-elle partie du plaisir ?
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C’est aussi un défi. La pâte à pizza est vivante et donc plus complexe qu’une simple pâte feuilletée. Il est nécessaire de réaliser beaucoup d’essais. Faire une pizza demande de la patience et de la persévérance. Les recettes que je propose dans « Pizza mania » sont simples, adaptées et variées.
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Pita, naan, cookie,… Les versions internationales peuvent surprendre. Avez-vous été surprise par ces concepts ?
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Toutes ces pizzas ont leur propre qualité. Elles prouvent que le plat s’est bien expatrié. Dès que je rencontre ces pizzaiolos, je posais la question : « Pensez-vous que ce que vous faites est une pizza ? ». La réponse était la même : « Non ». Je demande alors ce qu’est qu’était une pizza pour eux et quelles étaient les différences. Ils ne savaient pas quoi répondre.
Ces plats font clairement partie de la tradition populaire. La pizza ne doit pas être exclusive. Comme j’aime la diversité, j’ai aimé tous ces concepts. Finalement, je n’ai pas de pizza préférée. Tout dépend de vos envies sur le moment, de votre état d’esprit et même du lieu.
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La pizza fritta est-elle un genre à part ?
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Elle fait clairement partie de l’identité napolitaine. Même si elle est baignée dans un tonneau d’huile bouillante, la pizza fritta étant également cuite à très haute température, elle n’est pas grasse mais est tout de même caramélisée et fondante à l’intérieur. Les ingrédients ne sont pas posés mais intégrés. La pizza au feu de bois ne propose pas du tout le même goût.
J’aime beaucoup la pizza fritta – à tel point que je ne peux pas quitter Naples sans en avoir manger une. Elle est quasi exclusive. Vous pouvez déguster la pizza fritta avant tout dans les quartiers populaires de Naples.
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Si vous étiez une pizza, vous seriez laquelle ?
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Je ne sais pas. Lorsque je me rends chez mes pizzaiolos préférés, je n’ai pas envie de choisir moi-même une pizza. Je leur demande alors de faire la pizza que j’aurais envie en ce moment ou celle qu’ils aimeraient me faire goûter. C’est un plat qui met en lien celle ou celui qui mange et celle ou celui qui la fait. Une pizzéria parisienne propose même une pizza Alba (à mon prénom !). J’étais allée faire le marché avec le pizzaiolo et le propriétaire de l’établissement. J’ai ramené des ingrédients particuliers et nous avons cuisiné ensemble. Tout le monde a tellement aimé cette pizza qu’elle est à présent à la carte.
Il y a également une pizza fritta Alba. Aimant tellement ce plat, Enzo Piccirillo a décidé d’en réaliser une.
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