Le format noir & blanc, au cinéma comme en photographie, a toujours révélé une ambiance, une part de nos personnalités voire des moments d’intensité. C’est par ces couleurs yin et yang qu’Hollywood s’est construit au fil du temps. Le noir & blanc fait toujours écho au rêve.

Mathieu Bitton, à la fois artiste et artisan de la photographie, en a fait une identité mais pas un dogme. Avec son objectif, il transmet ce qu’il aime, magnifie celles et ceux qu’il admire et aime. Grand ami de Lenny Kravitz ou du regretté Quincy Jones, Mathieu Bitton est le Français qui a trouvé sa place le monde artistique américain. Il apporte dans cet univers massif de la sincérité et une envie de toujours surprendre.

Entretien avec Mathieu Bitton, producteur, directeur artistique et photographe.

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Vous êtes né à Paris et très tôt vous avez été passionné par la photographie. Avez-vous su conserver une certaine French touch dans votre travail ?

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Même si je vis aux Etats-Unis depuis plus de 35 ans, je suis toujours considéré comme le French guy et je revendique cette origine. Il est évident que j’ai pu acquérir en moi une part américaine au fil du temps, mais je me suis toujours vu comme un photographe français.

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En plus de l’image, est-ce aussi l’objet (l’appareil photo) qui compte pour vous ?

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L’appareil photo est une extension de mon corps et de mon âme. J’en porte toujours au moins un sur moi en permanence. Il m’arrive d’en porter trois. Si je n’ai pas d’appareil photo, je ne me sens pas complet.

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Travailler avec Quentin Tarantino a-t-elle été une belle expérience ?
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Jeune graphiste d’à peine 23 ans, j’ai pu avoir la grande chance de pouvoir travailler sur un livre et des affiches aux côtés d’un réalisateur de génie comme Quentin. Je connaissais très bien la culture noire américaine et nous avons notamment imaginé une affiche blaxploitation pour son film « Jackie Brown » (1997). Un artiste, Gérald Martinez, que je connaissais avait illustré une image très rétro. Elle n’a pas été retenue pour la version finale.

C’était une époque où je ne faisais pas encore de photos comme un professionnel. Certains artistes travaillant avec moi sur des albums avaient remarqué que j’avais un œil particulier. On m’a suggéré d’être également photographe. C’était une façon pour moi de contrôler toute l’image.  
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Le noir & blanc est-il votre meilleur compagnon ?

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Ce sont les couleurs les plus vives. J’ai fini par voir toutes les images en noir & blanc. Même quand j’utilise un appareil photo couleurs, je vais le mettre alors en mode monochrome. J’ai besoin de voir l’image en noir & blanc.

Quand je prends des photos durant un concert, j’utilise souvent la couleur. Idem pour les affiches Netflix. Finalement, tout dépend de la situation, même lors d’un concert, le noir & blanc peut aussi être bien.
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© 2023 Mathieu Bitton – Dave Chappelle
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Que révèlent les communautés noires de New York, Paris ou encore Milan ?
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J’ai travaillé le sujet pour mon premier livre « Darker than blue » (2020). J’ai grandi avec la musique noire et les films des années 60-70 tels que « Shaft – Les Nuits rouges de Harlem » (1971), « Super fly » (1972) ou encore « Orfeu Negro » (1959). Enfant, je suivais tous les week-ends mon père aux puces de Clignancourt et j’y voyais des images de cinéma et de mode incroyables.

La culture noire s’est toujours battue pour être acceptée. Dans certains états du Sud des Etats-Unis, c’était interdit pour les noirs d’utiliser les mêmes toilettes que les blancs. Pendant longtemps, un peu partout, dans le cinéma, la mode ou encore la musique les artistes noirs n’étaient pas mis en avant. J’ai voulu raconter cette histoire révoltante.
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La main est une identité ? (Votre photo préférée est celle avec Melvin Van Peebles) ?

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La main est la carte géographique du corps avec les lignes, l’usure et les cicatrices. Les artistes, même quand il faut tenir un micro, utilisent sans cesse leurs mains. On peut reconnaître quelqu’un en observant uniquement cette partie du corps. Lors de la sortie du livre « Darker than blue », j’ai réalisé une exposition Leica à Wetzlar en Allemagne. Il y avait notamment en photo les mains d’Harry Belafonte, de Sidney Poitier et de Quincy Jones. Les gens savaient en regardant juste l’œuvre de quel artiste il s’agissait.
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© 2016 Mathieu Bitton – Black Lives Matter

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Que disent vos propres mains ?


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Quand vous êtes photographe, vous êtes en permanence en train d’utiliser vos mains. C’est un travail très tactile. J’aime beaucoup les vieilles bagues notamment les turquoises. Celles que je porte datent des années 30-60. Ces bagues sont comme des boucliers pour moi. Elles me donnent toutes leur énergie. J’ai notamment une bague navajo. Elle me transmet sa force. Si j’essaye une bague vintage et que durant les premiers moments sur mon doigt je ressens une énergie négative, je la retire aussitôt. 
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Être historien avec un appareil photo nécessite-t-il d’avoir une certaine responsabilité, une certaine rigueur ?
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Je documente une époque surréaliste et étrange. Je suis actuellement à Paris mais l’idée de revenir dans une Amérique à nouveau gouvernée par Donald Trump me pèse. J’estime que toutes mes actions doivent refléter une idée, une prise de position. Il m’est arrivé de refuser des shootings car la personnalité du modèle ne me plaisait pas. La photographie a une responsabilité. Elle restera bien après moi. Par conséquent, je veux conserver une identité. Prendre une photo pour prendre une photo ne m’intéresse pas.  

De nos jours, il y a moins d’artistes qui m’impressionnent mais j’ai réalisé, il y a peu, des shootings avec des personnalités comme H.E.R, Raye ou Jorja Smith. C’est forcément de superbes expériences.

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©2021 Mathieu Bitton – H.E.R.
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Y’a-t-il donc un aspect militant qui se cache ?

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Il y a beaucoup de photographes qui travaillent pour des agences. Leurs images ne reflètent qu’un simple travail. Je veux également réaliser des photographies dont je suis fier. Je pourrais évoluer ma pensée et finalement accepter de capturer la gestuelle de Donald Trump par exemple. Je le vois comme un démon (rires). Avec les photos, vous pouvez donner votre avis.

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Lenny Kravitz, Pom Klementieff ou encore Dave Chappelle,… La photographie se nourrit-elle de l’amitié ?

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Absolument. Mes photos reflètent de vraies complicités. Nous nous voyons de temps en temps sans que je prenne de photos. Nous sommes juste des amis qui sortent pour se changer les idées. Dave Chappelle est un personnage incroyable. Comme Ben Harper, il a un côté philosophe qui me plaît beaucoup.

De temps en temps, Hollywood me fatigue mais j’ai aussi des regrets. Prince était un génie avec un égo surdimensionné. Pour cela, c’était un personnage incroyable. Prince avait un égo aligné à son talent. Je n’ai malheureusement pas pu le prendre officiellement en photo.
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© 2019 Mathieu Bitton – Ben Harper & The Innocent Criminals (Live at the Arlington Theatre)
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Avez-vous toujours un regard tourné vers le travail des photographes français ?

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Pas vraiment mais j’ai beaucoup d’admiration pour quelqu’un comme mon ami Jean-Baptiste Mondino. J’ai suivi les débuts de carrière de certains photographes. Je me souviens d’Anthony Ghnassia qui venait à Los Angeles pour me demander des conseils. Aujourd’hui, il est le photographe des défilés Dior et de DJ Snake. J’adore voir les évolutions de jeunes passionnés.

JR est un ami qui est allé au-delà de la photographie.
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Quelle est l’identité du livre « Paris Blues » (Editions Teneues Verlog) ?

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Ce livre parle de moi. C’est une autobiographie à travers des photos que j’ai réalisées à Paris pendant plus de 15 ans. J’ai choisi des lieux qui ont marqué mon adolescence et qui parlent de mon départ pour les Etats-Unis. Il y a des photos d’artistes avec qui je travaille mais c’est avant tout des lieux et des ambiances que j’ai voulu capturés. Jeune parisien, je savais que j’allais m’embarquer dans des projets démesurés mais je n’aurai jamais imaginé vivre la vie que je mène actuellement.

Pour la sortie de « Paris Blues », j’ai eu une exposition à New York. Je souhaite maintenant présenter le livre un peu partout. Plus de 1 000 personnes sont venues au vernissage. Ce fut la même chose à Los Angeles l’année dernière.
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© 2015 Mathieu Bitton – Paris Blues
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Les attaques contre Black Lives Matter, les incendies en Californie, l’élection de Donald Trump… Que penser de l’Amérique d’aujourd’hui ?
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Selon moi, les Etats-Unis sont le pays où la population est la plus influençable. J’ai l’impression que nous vivons un moment similaire à celui de l’Allemagne en 1935. Avec l’influence néfaste des réseaux sociaux, certains Américains croient en n’importe quoi. En bon pragmatique, je vérifie les infos avant de les partager.

Heureusement, je vis en Californie où l’influence de Trump est moindre. Mais avec la mort de mon ami Quincy Jones en novembre, l’année 2024 s’est très mal terminée. Les incendies en Californie en janvier 2025 furent également une tragédie pour beaucoup. Nous vivons une période très difficile. Les artistes ont une grande responsabilité d’éducation et de ripostes. Il faut faire rêver. Je travaille actuellement sur un projet de film. 
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Quels sont vos projets ?

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En tant que producteur, je travaille avec le compositeur Paul Williams sur la sortie d’un coffret vinyle de mon film préféré, « Phantom of the Paradise » (1974). Avec Dave Chappelle et son stand-up « The Dreamer », j’ai remporté mon troisième Grammy Award en février dernier et j’en suis très heureux

Je vais réaliser un court métrage et je vais continuer la photographie. J’ai très envie de réaliser mon propre appareil Leica.
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©2024 Mathieu Bitton – Lenny Kravitz

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Photo de couverture : ©2015 Mathieu Bitton – Quincy Jones, Lenny Kravitz, Charles Aznavour

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Le site internet de Mathieu Bitton : Mathieu Bitton | Art Director, Designer, Photographer, Director, Producer and Dadaist.

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