Dès les premières pages, « Idéal » (Editions Sarbacane 2024) donne le ton : les images sont sans dialogues comme pour installer une atmosphère idyllique mais pesante. Dans un futur pas si proche (An 2160), une ambiance fin XXème siècle est mise sous close sur une petite île de l’archipel du Japon. Hélène et Edo forment un couple parfait. Omniprésents dans le reste du monde, les robots sont interdits sur l’île. Pourtant, un clone parfait d’Hélène, pianiste virtuose, apparaît. Les silences et les désirs vont devenir alors trop lourds…

Le dessinateur Thomas Hayman et le scénariste Baptiste Chaubard installent dans cet « Idéal » une certaine maîtrise du dessin et un goût pour le suspense. La bande dessinée est un thriller psychologique qui fait écho à l’univers d’Alfred Hitchcock.

Entretien avec Baptiste Chaubard.

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« Idéal » est-il un album né d’une peur d’un monde en quête de perfection ?

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C’est une perfection réfléchie et appliquée par des conservateurs. Toute différence et changement est irrémédiablement tenu à l’écart de ce monde idéal. Les frontières sont fermées de peur d’entacher cette utopie. Dans « Idéal », la perfection est comme pétrifiée, mise sous cloche.

A l’origine, la bande dessinée devait se concentrer sur un couple. Une tierce personne entre dans leur vie. Elle est le double de la femme. Par ce côté duel, il y a un transfert des atouts. L’homme va par conséquent tomber amoureux de ce jeune double. Ensuite, avec Thomas, nous avons réfléchi autour de cette intrigue. L’idée du robot est arrivée naturellement. M’étant intéressé à la notion du conservatisme, j’ai proposé de parler d’identités. La femme est brillante, pleine de talents mais avec le temps, ses atouts se détériorent. Le double permet de perdurer au sein de cet idéal. Elle est belle et est une grande artiste. J’ai aimé l’idée de transporter ce récit au Japon, pays qui mêle traditions et modernité.
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« Idéal » comporte plusieurs séquences sans dialogues. Architectures, paysages, regards, nature cohabitent. Est-ce une œuvre qui laisse libre cours à l’interprétation ?

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« Idéal » laisse la place aux scènes muettes. Dans sa mise en scène, Thomas a souhaité enlever de nombreux dialogues. De par les scènes sans paroles, le lecteur peut comprendre l’intrigue par le dessin. « Idéal » a une esthétique particulière qui s’accompagne très bien avec le silence. Thomas est un grand artiste de la couleur et de l’architecture.
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« Idéal » a-t-il des inspirations cinématographiques ?

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Oui. Thomas s’inspire avant tout du cinéma. Il a une mise en scène soignée qui rappelle les films d’Alfred Hitchcock. Pour « Idéal », Thomas a beaucoup puisé dans le cinéma japonais. Les découpages du réalisateur Kazuhiko Yamaguchi ont notamment été une référence.
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Êtes-vous vous-mêmes nostalgiques de la fin du XXème siècle ?

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Je n’ai jamais été quelqu’un de nostalgique. Mais je reste toujours partagé sur le concept du progrès. Cette idéologie est avant tout selon moi une illusion. Je travaille d’ailleurs sur un scénario qui se déroule durant la première révolution industrielle en Angleterre. L’arrivée des machines sera à nouveau abordée.
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Hélène est-elle avant tout une victime ?

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Non. Elle est au contraire le moteur du récit. C’est Hélène qui prend l’initiative d’amener un robot au foyer. Même si elle arrive à un point de rupture de sa vie, c’est une femme avec une forte personnalité.
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Que symbolise la domestique et plongeuse ama, Osachi ?

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Au début du projet, elle avait un rôle plus important. Comprenant que le robot était source de tensions pour le couple, Osachi prenait la décision de kidnapper cet élément perturbateur et de fuir sur une autre île.

Plongeuse ama, elle représente l’identité naturelle de l’île. Osachi est originaire de ce bout de terre colonisé par les riches des grandes villes. Même en Bretagne, certains locaux sont obligés de vivre dans des campings car ils n’ont plus les moyens de se loger convenablement. Le territoire est devenu trop touristique.
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Comment est venue l’idée de la scène de l’oiseau et du chat ?

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Il s’agit d’un présage. Peu après la sortie d’«Idéal », j’ai découvert une bande dessinée écrite par l’Argentin Carlos Trillo. Un homme et une femme tentent de s’enfuir et au milieu de l’intrigue, une scène similaire avec un chat et un oiseau est montrée.
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L’androïde représente-t-il un échec (présent sur l’île bien qu’interdit, proposé comme solution mais finalement objet de discorde) ?
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Il est la pierre d’achoppement sur lequel les personnages vont tomber. Certes le robot ne remplit pas sa mission première mais il permet au couple d’échanger sur les non-dits.
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Le Japon pourrait-il vous inspirer à nouveau ?

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Pour beaucoup d’Occidentaux, le Japon est synonyme de rêve. J’aime penser que le lecteur sort de son quotidien grâce à la bande dessinée.

J’aimerais écrire une nouvelle histoire sur le saké. Par conséquent, le Japon aurait à nouveau une part importante dans l’intrigue.
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