L’Ouest américain s’est enrichi de légendes. Le cinéma et la littérature en ont fait le théâtre de toutes les tragédies. La bande dessinée a su également adapter parfaitement le Far West avec ses hors-la-loi et ses chevauchées.
Passionné par le genre, le dessinateur TaDuc s’est lui aussi pris au jeu en réalisant avec le scénariste Serge Le Tendre la longue saga de John Chinaman. De 1997 à 2021, 10 albums sur le bandit Chen Long dit Chinaman ont été réalisés. L’Orient rencontre le Western pour le pire et le meilleur.
« Le Réveil du tigre« , le dernier chapitre, est une véritable fresque d’adieu. TaDuc clôt magnifiquement l’histoire. Nous avons échangé avec le dessinateur sur cette saga-western crépusculaire lors de son exposition à la galerie DM.
Entretien.
Vous aviez déjà travaillé avec Serge Le Tendre sur « Les Voyages de Takuan ». Comment est né le projet « Chinaman » en 1997 ? Votre épouse a également participé à l’histoire.
Le projet est né au début des années 90 avant même ma rencontre avec Serge. J’avais fait un voyage dans la région de San Francisco et j’avais pu visiter un musée qui retraçait l’histoire des immigrants chinois au XIXème siècle. J’y ai trouvé suffisamment de documentation pour imaginer un jour une bande dessinée sur le sujet.
J’ai toujours voulu réaliser un western mais je voulais trouver un angle original qui me permettait d’aborder l’histoire de l’Ouest américain sous un jour nouveau et me différencier ainsi des BD crées par Jean Giraud, Jijé ou Hermann, qui sont d’immenses auteurs BD western.
Mon épouse a été en effet la co-scénariste depuis le début jusqu’à la fin des aventures de Chinaman. Elle participe à l’écriture de la trame des histoires. Serge et moi, nous nous chargeons de la suite, c’est-à-dire de l’écriture des différentes séquences et du découpage sous forme de story board.
Ma femme, étant professeure d’anglais, nous a permis de rentrer en profondeur dans la documentation historique grâce aux livres rapportés des Etats Unis.
Le Far West c’était une passion depuis l’enfance ?
Nous, dessinateurs, restons, quelque part, de grands enfants. Nous dessinons des histoires que nous aurions voulu lire plus jeunes. Mes plus anciens souvenirs de dessin tournaient autour des cowboys et des indiens– dans un style très rudimentaire.
Le grand problème des westerns, c’est qu’il faut aimer dessiner les chevaux. Cela tombe bien car j’ai toujours aimé cela et donc je me suis lancé dans l’aventure avec un grand plaisir. J’adore également dessiner les grands espaces, avec de grands décors de nature, dans lesquels je me projette mentalement.
C’est mon côté contemplatif qui ressort dans ces moments-là.
Le titre du premier album « La Montagne d’or » révèle-t-il l’injustice que les Chinois ont découvert lors de leur arrivée aux Etats-Unis ?
Le terme « La montagne d’or » rappelle le fait que les Chinois quittaient leur pays pour les Etats-Unis car on leur promettait à leur arrivée « Une montagne d’or ». La réalité était toute autre.
Les travailleurs chinois sont les oubliés de l’histoire. Une célèbre photo montre la jonction entre deux lignes de chemin de fer – celle de l’Est et celle de l’Ouest. Le pays est enfin relié d’un bout à l’autre. Vous pouvez apercevoir sur cette photographie quelques ouvriers irlandais mais pas un seul asiatique. Ce sont pourtant les Chinois dans des conditions misérables qui ont également permis un tel exploit.
Les décors, les costumes, la reconstitution historiques sont riches tout au long des albums. Ce fut un plaisir de faire des recherches et d’en savoir plus sur ces Chinois partis dans l’Ouest américain ?
Lorsque vous créez un tel projet, le plus grand plaisir c’est la recherche de documentation historique. On est tombé sur de quelques ouvrages et romans retraçants la vie des ouvriers le long du chemin de fer.
Je me suis également replongé dans les films de western pour retrouver tout le décorum de cette époque.
Après vient le temps de dessin, étape longue et fastidieuse.
Vous affectionnez l’encrage.
Oui – c’est un peu ma récompense, après avoir transpiré sur la construction du dessin avec le crayonné. Tout au long des années de pratique du métier de dessinateur j’ai appris à manier les différents outils d’encrage tels la plume, le pinceau et j’en retire maintenant une grande satisfaction car c’est le moment où tout prend forme, une forme définitive avec ses nuances de blanc, de gris ou de noir.
Comment avez-vous dessiné Cheng Long Ann devenu John Chinaman ?
Il était l’usage de rebaptiser les Chinois fraîchement arrivés. Les services d’immigration s’appropriaient leur identité en leur donnant un autre nom – un nom qu’ils pouvaient prononcer. Beaucoup de Chinois ont reçu comme nouveau nom : Chinaman, qui est d’ailleurs à la limite de l’insulte .
Chen Long est un héros atypique, membre de la pègre chinoise. Il arrive aux Etats-Unis en tant qu’homme de main peu recommandable, mais avec une certaine noblesse et c’est ce que j’ai recherché à travers mon dessin. J’avais en tête l’acteur japonais Toshiro Mifune, qui jouait dans « Les Sept samouraïs » (1954) d’Akira Kurosawa.
Passionné de westerns et d’arts martiaux, je voulais mêler absolument ces deux univers, ce qui m’a donc conduit à la création de l’univers de Chinaman.
Chinaman est un personnage qui vieillit, usé par la guerre de sécession. Pourquoi avez-vous enfin décidé de reprendre les aventures avec « Le Réveil du tigre » ?
Au fond de moi, je sentais bien que je n’avais pas tout raconté à propos de John Chinaman. 9 albums étaient sortis mais je voulais encore en dire plus. Nous avons donc imaginé que le personnage avait pu vieillir et les différentes possibilités qui s’offraient à nous promettaient une belle histoire.
Lors de l’écriture, nous avons, tous les trois, imaginé, chacun de notre côté, ce qui avait pu passer pendant ce laps de temps de plus de 20 ans, et nous avons fait le tri pour garder les idées les plus convaincantes.
Un album de plus de 130 pages, 3 ans de travail, « Le Réveil du tigre » a-t-il été une épreuve ?
Oui, c’est l’album qui m’a pris le plus de temps (3 ans), heureusement l’univers m’était vraiment familier. Et ce fut un vrai plaisir de replonger dans cette ambiance western. Mais je savais qu’il s’agissait de la dernière aventure de Chinaman.
De 1997 à 2021, Chinaman a fait partie de votre vie. Est-ce difficile de clore l’histoire ?
C’était à la fois satisfaisant car il s’agit de la fin d’un long périple et en même temps ce fut un déchirement. Certains lecteurs nous demandent si nous allons écrire une suite au Réveil du Tigre, avec le fils de Chinaman par exemple, mais je peux le dire : c’est vraiment la fin. Je tenais à clore cette série en beauté, à imaginer une belle conclusion, qui fasse d’ailleurs qu’on ait envie de se replonger dans l’univers dès le début.
Pourquoi avoir sorti une version noir & blanc du « Réveil du tigre » ?
J’avais une vision très noire de cette aventure – même crépusculaire. Dès le premier tome, il y avait d’ailleurs déjà cette ambiance. D’où ses pages pleine d’ambiances sombres et de zones noires propices à une belle version noir et blanc.
L’exposition à la Galerie DM est la meilleure façon de dire au revoir à John Chinaman ?
L’accueil du « Réveil du tigre » a été formidable. Les éditeurs, d’autres collègues dessinateurs et surtout le public ont réagi positivement dès la sortie de l’album. Ce fut une véritable récompense pour moi après ces trois ans de travail.
L’exposition a clôturé cette grande aventure.
« Les Voyages de Takuan », « Griffe blanche », Chinaman – L’Asie est une inspiration infinie pour vous ?
J’ai toujours voulu proposer une version originale en mettant en avant l’Asie dans le monde de la bande dessinée. De nos jours, avec notamment le manga, l’Asie tient à présent une grande place dans le domaine.
Quels sont vos projets ?
Chinaman est certes encore dans ma tête mais je dessine actuellement une mini-série dérivée de XIII avec la future Major Jones – apprentie-pilote de l’air. Il y aura 3 albums et ce sera bien évidemment sans chevaux mais plutôt avec des avions (!).