Héros français pour certains, mercenaire sanguinaire pour d’autres, le cas Bob Denard anime toujours les débats 14 après son décès. Depuis la guerre d’Indochine aux années 90, le personnage a été actif dans de nombreux conflits qui ont embrasé l’Asie et l’Afrique. Bob Denard est même devenu un indispensable et puissant meneur aux Comores, petit état de l’Océan indien.
Le patron des « affreux » a su intéresser son monde en particulier le scénariste Olivier Jouvray et la dessinatrice Lilas Cognet qui ont su réaliser une excellente biographie-fiction « Bob Denard – Le dernier mercenaire« . Discussion autour d’un personnage majeur de la guerre froide qui a su danser avec la mort.
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Comment est né le projet ?

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Olivier Jouvray : C’est à l’initiative des deux créateurs de la collection Karma des éditions Glénat, Olivier Jalabert et Aurélien Ducoudray. Ce dernier m’a proposé de travailler sur Bob Denard. Je connaissais déjà le personnage depuis longtemps via les médias puis en avrilBOB1 2007, je m’étais rendu aux Comores et j’ai à nouveau entendu parler de Bob Denard. En octobre de la même année, il décédait et à nouveau, les médias en ont parlé. J’ai enquêté pour comprendre qui était ce type qui avait traversé toute l’histoire de la Françafrique. De plus, Bob Denard avait été un participant de la guerre froide mais du côté français. La participation de notre pays durant cette époque est finalement assez peu connue comparée aux actions des Etats-Unis et l’Union soviétique.

Par conséquent, lorsqu’Aurélien Ducoudray m’a proposé de travailler sur Bob Denard, j’ai accepté tout de suite. Comme le sujet était extrêmement large, Aurélien m’a proposé d’aborder qu’une seule période de la vie du soldat (comme au Congo ou aux Comores) mais c’est l’ensemble qui m’intéressait. En racontant la vie de Bob Denard, de sa naissance à sa mort, je voulais comprendre le rôle de la France durant la guerre froide, conflit qui a fait plus de morts que la Seconde Guerre mondiale.

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Lilas, vous avez été l’élève d’Olivier. Est-ce que ce fut une joie pour vous de travailler à nouveau ensemble ? Avez-vous eu une certaine liberté ?

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Lilas Cognet : Nous avions déjà travaillé ensemble pour deux numéros du petit journal « Les Rues de Lyon ». J’aime la façon dont nous travaillons car Olivier me donne en effet une certaine liberté. Je peux facilement proposer du visuel et des métaphores graphiques. Le projet « Bob Denard – Le Dernier mercenaire » s’est réalisé en partie pendant le confinement. Ce fut un bon moment pour moi pour travailler.

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Bob Denard n’aimait pas que l’on le nomme mercenaire mais préférait les titres de corsaire de la République ou encore soldat de fortune. Vous avez donné comme titre à votre bande dessinée « Bob Denard – Le dernier mercenaire ». Était-ce une façon d’être à contre-courant ? 

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Olivier Jouvray :  Ce titre me tenait à cœur car après Bob Denard, il n’y a plus eu de mercenaire de ce type. La fin de sa carrière a marqué la disparition de ce que l’on appelle « le mercenariat beaujolais ».  Les sociétés militaires privées ont finalement succédé à tout cela. Même Bob Denard n’aimait pas ce terme de mercenaire, et pourtant il était bien un mercenaire. Il voulait juste montrer que ses actions étaient mêlées à une certaine liberté d’opinions contrairement à d’autres malfrats qui s’engageaient auprès de ceux qui payaient le plus. Pendant la guerre d’Indochine, Bob Denard a été remercié de l’armée française car il se comportait mal et parce que finalement il refusait d’être commandé. En étant mercenaire, il voulait devenir un soldat indépendant. Bob Denard avait une foi, des lois, des règles et un honneur. Malgré tout cela, il restait un mercenaire.

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Tout au long de la bande dessinée, on suit Bob Denard de sa naissance à sa mort (voire plus loin). Comment avez-vous décidé de concevoir le protagoniste ?

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Lilas Cognet : Nous avions peu d’images de la jeunesse de Bob Denard. Il y avait une photo de lui à l’âge de 16 ans. Mon dessin n’étant pas réaliste, seuls quelques traitsbob7 caractéristiques du visage ont suffi.

Olivier Jouvray : Le but n’était pas de le montrer comme il était réellement. L’important était surtout de le faire parler, d’expliquer ses choix de vie et son rapport au monde. Je voulais le questionner. Bob Denard était à l’opposé de ce que je suis. J’avais tendance à fuir ce genre d’individus plutôt qu’à l’admirer. Au fil de mes recherches, Bob Denard m’a peu à peu rappelé des personnes que j’ai connues et que je ne comprends pas .  J’ai pu ainsi étudier une mentalité très viriliste qui envisage le monde comme un espace à conquérir plutôt qu’à découvrir. Je voulais comprendre les différentes facettes du personnage Bob Denard.

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L’Indochine, le Yémen, le Katanga, le Rwanda, les Comores… Bob Denard a sillonné une grande partie de l’Asie et de l’Afrique. Est-ce que ce fut difficile de réaliser une bande dessinée car il y avait trop de sources ou finalement avez-vous privilégié un certain ton tout au long du livre ?

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Olivier Jouvray : Nous avions en effet peur de l’effet catalogue. A chaque chapitre, à chaque fois que Bob Denard changeait de pays, nous avons réfléchi sur comment aborder l’intrigue. Il fallait surtout aborder la problématique suivante : Comment un jeune garçon a décidé de prendre son sac à dos et partir faire le tour en monde? Des milliers l’ont fait dans les années 50-60 mais pour différentes raisons : Certains étaient de gauche, d’autres de droite, d’autres avaient l’ambition d’être des missionnaires ou des médecins. La jeunesse qui a finalement remporté le combat c’est finalement celle qui a choisi le mercenariat. Cette pensée s’est diffusée par le cinéma avec les histoires d’aventures. L’étranger est un lieu d’exotisme peuplé par des sauvages ou des individus « en voie de développement ». Soit ils sont amicaux et nous pouvons nous en servir soit ils sont hostiles et nous devons les éliminer. Toutes les bandes dessinées de ma jeunesse telles que Bob Morane abordaient ce sujet. Même certains qui sont partis dans les pays en difficulté dans le but d’apporter leur aide,  ils étaient surnommés les French doctors, et ils sont devenus souvent et  peu à peu des profiteurs à cause d’histoires de corruption et de trafics.

Notre bande dessinée est le prétexte d’aborder tous ces aspects géopolitiques. Le dessin de Lilas était parfait pour l’exercice car il fallait un aspect métaphorique.

Lilas Cognet : Ce fut une belle occasion d’alterner des passages en effet métaphoriques et d’autres plus réalistes et historiques. A chaque chapitre, j’ai souhaité un changement graphique. Cela permettait des ruptures d’environnement.

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Dès 1975, Bob Denard s’intéresse aux Comores et y passe à multiples reprises jusqu’à la fin des années 90. Il devient même l’homme fort de la République des Comores. Est-ce une partie de la bande dessinée qui a été complexe à aborder ?

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Olivier Jouvray :   Il a été compliqué de comprendre les enjeux avec un grand nombre de protagonistes (les services secrets français, les Comoriens, l’Afrique du Sud,…). Bob Denard a utilisé les journalistes pour diffuser de fausses informations, il fallait doncBOB4 démêler le vrai du faux. A l’époque, je ne comprenais pas les différents comportements des politiques. Il y avait des déclarations publiques et les décisions prises en coulisses. Qui était au courant ? Y’avait-il un dialogue entre les services secrets et le gouvernement ?… De plus, je ne comprends pas pourquoi les Etats-Unis arrivaient à traiter aisément leur passé comme la guerre du Vietnam alors que nous, Français, nous n’arrivons toujours pas à aborder des épisodes historiques comme la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie. Lors de mes recherches, j’ai compris que comme nous voyons la France comme le pays des Lumières et des droits de l’Homme, nous ne pouvons accepter que nous ayons pu participer à des crimes. Le gouvernement français a tout fait pour soigner les apparences au Rwanda ou encore au Congo. Concernant les Comores, alors que le Premier ministre Jacques Chirac, était officiellement favorable en 1974 à la tenue du référendum, les services secrets français y étaient opposés et ont tout fait pour défendre les intérêts français. Tout au long de nos recherches avec la bande dessinée, nous avons constaté de nombreuses contradictions.

Un autre aspect intéressant : Toutes ces histoires de dictateurs, d’espions et de mercenaires sont avant tout des histoires de pieds nickelés. Il n’y a que dans les films où les personnages sont intelligents et organisés. Bob Denard a mené et réussi sa vie sans doute parce qu’il était plus malin et plus rigoureux que les autres. Mobutu au Congo fut au départ son ennemi puis est devenu son allié, le roi Abdallah des Comores a été soutenu par les Français puis les a ensuite trahis au profit des Soviétiques…

Dès le départ, Lilas et moi avons eu des difficultés à donner une cohérence à l’histoire.

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La mort est représentée par ce squelette qui accompagne partout Bob Denard. C’est finalement vous Olivier Jouvray qui l’incarne tout au long de la bande dessinée. Cela vous fait quoi de danser avec Bob Denard ?

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Olivier Jouvray : J’ai passé trois ans de ma vie avec lui. J’ai lu énormément. à tel point que Bob Denard est devenu mon aventurier, mon « Tintin au Congo ». Son mode de pensée est devenu insupportable de nos jours et pourtant à l’époque c’était un personnage assez conventionnel.

L’année dernière, alors que je me rendais dans le Médoc, je me suis rendu compte que j’étais à proximité de Soulac-sur-mer, le village natal de Bob Denard. J’ai même été voir sa tombe. Des plaques militaires DGSE y avaient été posées par probablement un fan. Il a été étrange de constater que mon personnage a été une personne qui a vraiment existé. Peut-on imaginer Hergé être en face de la tombe de Tintin ? (rires)

En juin dernier, la fille de Bob Denard, Katia, m’a contacté car elle s’intéressait à mon projet. Nous avons depuis sympathisé car elle est elle-même assez passionnée de bande dessinée.

Tout au long du projet, je n’ai eu aucune sympathie pour Bob Denard car nous sommes trop différents et je n’ai pas la même vision du monde. Mais avoir vu sa tombe et le fait d’avoir pu connaître sa fille a humanisé le personnage. Plonger dans le parcours de Bob Denard fut un exercice étrange pour moi. C’est un travail d’empathie mais pas de sympathie. Bob Denard a rêvé d’aventures tout en se servant des intérêts de la France. Notre rapport avec l’histoire coloniale reste très difficile. Certains refusent toute repentance et déclarent même que la colonisation a eu finalement un rôle positif. Des hommes et femmes politiques, acteurs des événements comme Robert Bourgi, sont toujours en poste.

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Olivier a été loin dans ses recherches. Lilas, vous avez pu le suivre dans cette fascination ?

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Lilas Cognet : N’ayant pas participé à toutes les recherches d’Olivier, je n’ai pas la même relation avec le personnage. Cependant, j’ai dessiné Bob Denard et son monde pendant plus d’un an. Olivier a bien montré la richesse du personnage. J’ai pu ainsi mieux le comprendre. Nous avons interprété la psychologie de Bob Denard. Il ne ressemble à aucun autre.

Olivier Jouvray : Je savais qu’Olivier Jalabert et Aurélien Ducoudray ne souhaitaient pas de dessin réaliste pour l’album « Bob Denard – Le dernier mercenaire ». Lilas ayant un univers graphique incroyable, je savais que les métaphores seraient parfaitement illustrées. Il fallait donner un maximum d’informations avec un minimum de pages. Nous devions certes raconter l’histoire de Bob Denard mais également questionner l’individu lui-même.

J’avais imaginé des images et des scènes. Lilas me proposait un visuel complètement différent et pourtant cela marchait parfaitement. J’écris pour un langage graphique. « Bob Denard – Le dernier mercenaire » a été une véritable co-écriture.

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On peut même dire que vous vous êtes amusé à réaliser l’album. Il y a notamment des références à l’émission de télévision de Roland Topor « Téléchat » ou encore à l’univers de Tintin. Vous avez eu clairement envie de sortir des cadres ?

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Lilas Cognet : Oui clairement. Dès que je commence un projet, je recherche la nouveauté. Je me lance même le défi de dessiner quelque chose d’original au moins toutes les 15BOB3 pages. Ce fut parfois difficile pour « Bob Denard- Le dernier mercenaire » mais très intéressant. Olivier m’envoyait des dizaines et des dizaines de photos et je les utilisais pour retranscrire une certaine ambiance dès le premier chapitre. C’est le monde de l’enfance ressassé par les photos en noir & blanc recolorisées. Par conséquent, mes couleurs sont ternes et artificielles. Je commençais mes dessins en noir & blanc et je les colorisais très simplement. A la fin de l’album, j’ai réutilisé cet effet comme s’il s’agissait d’une boucle. A la fin de sa vie, avec notamment les armes factices que ses compagnons d’armes lui ont offert, Bob Denard redevient un enfant.

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« Les affreux » ont été les compagnons de Bob Denard. Avez-vous été confronté à certains d’entre eux ?

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Olivier Jouvray : Durant mes recherches, je me suis renseigné sur le site internet à propos des compagnons de Bob Denard Orbs Patria Nostra. Les liens que l’on retrouve sont aussi bien des hommages que des critiques. N’étant ni historien ni journaliste d’investigation, j’ai utilisé uniquement des supports connus.

A partir du moment où notre projet bande dessinée s’est fait connaître, j’ai commencé à recevoir des messages d’inconnus. Ils voulaient connaître mes sources. Ne se présentant pas, je n’ai pas cherché à répondre. Katia Denard m’a finalement expliqué que si elle était au courant de notre projet BD c’est parce que son frère aîné avait été averti par les anciens hommes de leur père. Par notre rencontre, Katia cherchait également à les informer sur mes intentions. Elle a été rassurée et a même apprécié que je me rende sur la tombe de son père. De plus, je n’ai jamais demandé à Katia d’écrire la moindre préface – en aucun cas je ne voulais l’utiliser comme argument de vente. Elle a de toute façon écrit un livre sur son père « Si on te demande, dis que tu ne sais pas »(2011).

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Vous avez « côtoyé » Bob Denard pendant des années. Y’a-t-il encore des choses qui vous surprennent chez lui ?

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Olivier Jouvray : C’est incroyable de rencontrer autant de personnes qui l’ont connu. Certains sont militaires, membres de la DGSE, d’autres ont racheté la maison d’enfance de Bob Denard. Ce qui me touche surtout c’est de rencontrer de jeunes lecteurs qui n’étaient pas encore nés durant les événements de la guerre froide. Notre bande dessinée les a marqués et cela m’a fait un grand plaisir. J’ai toujours une approche pédagogique. Il faut regarder et analyser notre histoire.

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Avez-vous le projet de travailler ensemble à nouveau ?

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Olivier Jouvray : Bien sûr. De toute façon, je ne laisserai pas le choix à Lilas (rires). Dans le monde de la bande dessinée, il est finalement rare d’avoir des collaborations qui se passent bien. Je travaille notamment sur une adaptation du « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » de Robert-Vincent Joule. Une autre façon de traiter de la politique…

Pour l’instant, il n’y a rien de prévu avec Lilas. Nous sommes chacun pris sur d’autres projets mais je lui  reproposerai un nouveau projet. La connaissant, si le sujet ne l’intéresse pas, elle n’hésitera pas à me dire d’aller me faire voir chez les Grecs (rires).

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