Par l’art, tout se révèle. Brusquement, nos corps et nos personnalités sont mis en scène. Le film, la photographie, le récit ou encore la peinture nous exposent bien souvent ce que nous n’arrivons pas à déceler avec nos propres regards. Le clair, l’obscur, tout est lié pour nous montrer autre chose : Cette autre lumière. Comme des fenêtres béantes, les arts visuels nous brusquent certes mais nous fascinent avant tout. Le caché, l’exposé voici ce qui passionne Boulomsouk Svadphaiphane. Entretien avec une artiste aux multiples talents.
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Vous êtes scénariste, réalisatrice, autrice, productrice et photographe… Peut-on finalement vous définir ?
Nous vivons dans une société qui nous met facilement dans des cases. Je refuse les cases. Je ne m’interdis rien et saisis toutes les opportunités qui s’offrent à moi. En somme, je fais ce qu’il me plaît.
Le monde de la culture s’est-il imposé à vous ? (vous avez été étudiante en droit – vous auriez pu devenir la première avocate d’origine laotienne)
J’ai toujours aimé écrire en parallèle. Même lorsque j’étais enfant, j’avais l’habitude d’écrire des histoires pour mes sœurs et mes cousines. En primaire, je copiais beaucoup mes auteurs préférés. En 6ème-5ème, j’ai commencé à écrire mes propres histoires. Ce fut d’abord des contes en lien avec des images. Mon auteur préféré était Émile Zola, un écrivain qui était visuel. Même si entre temps, j’ai commencé des études de droit, c’est grâce à la narration que je me suis orientée vers le cinéma. À tel point que lorsque j’ai annoncé à mes sœurs que je voulais travailler dans le milieu cinématographique, c’était pour elles une évidence : j’étais une artiste. Même inconsciemment, ce côté artiste a toujours été en moi.
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Quand avez-vous commencé la photographie ?
J’ai commencé à suivre des cours (développement pellicule en laboratoire) en première car mon professeur d’Histoire-Géographie avait fondé un club de photographie. J’ai travaillé l’argentique noir & blanc avec des réflexes. Nous développions nous-mêmes nos pellicules et on les tirait. L’activité était très ludique.
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L’obscurité est très présente dans vos clichés argentiques. Est-ce pour révéler de l’intimité ou de valoriser vos modèles ?
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J’ai toujours aimé l’obscur. Je souhaite que mes photos se rapprochent de la peinture. En tant que photographe, je m’inspire inconsciemment de l’art flamand et du clair-obscur. Je suis toujours à la recherche d’une texture photographique qui s’apparente à la peinture. Pour mieux apercevoir la lumière des modèles, il faut savoir la distinguer de l’obscurité.
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En quoi le tatouage est un bon modèle ? (Exposition « Ta-Atua »)
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Même si le tatouage est devenu très à la mode, je souhaitais uniquement explorer le corps et son rapport au sacré. Ce qui pour moi est captivant, ce n’est pas le tatouage mais le fait que
les gens se tatouent. Je voulais comprendre pourquoi et comment on se tatouait de nos jours alors qu’autrefois c’était un signe stigmatisant. À l’origine, seuls les esclaves, les prisonniers, les prostituées et les déportés étaient tatoués. La marque était infamante. Au fil du temps, le tatouage est pourtant devenu une mode.
Lorsque j’allais à la piscine, j’avais observé que beaucoup de monde était tatoué. J’ai voulu comprendre. Pendant un an, j’ai donc rencontré des personnes qui se tatouaient. Elles avaient fait ce choix avant tout pour des raisons sacrées. Le tatouage était soit lié à un deuil ou à une renaissance.
Le portrait doit-il être mis en scène au même titre qu’un film ?
Tout dépend de ce que l’on veut exprimer. Récemment, j’ai photographié la cheffe Yin-Line Chea de l’émission LTOM (les témoins d’Outre-Mer) sur France 3. Elle était au départ très intimidée. Puis, avec des ustensiles de cuisine, nous avons fait une mise en scène. Le résultat fut très satisfaisant. J’ai conçu un personnage qui n’était pas elle mais gardait tout de même son essence. J’aime capturer la grâce des gens par conséquent, je préfère le naturel à la mise en scène.
Pour les modèles les plus timides, il m’arrive de prendre un verre avec eux afin de mieux se connaître, de gagner leur confiance. Même si Yin-Line était déjà une amie, nous avons pris le temps de discuter une semaine avant. Je voulais qu’elle s’habitue à ma présence. Je n’hésite pas à prendre beaucoup de temps dans mon travail artistique. Pour le shooting avec Yin-Line, j’ai consacré ma matinée entière.
Je veux que mon modèle lâche prise et me donne beaucoup. Il y a rien de pire que quelqu’un qui ne s’ouvre pas.
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Vos modèles sont d’une grande mixité. Vous avez envie de prendre en photo ceux qui entourent (amis, collègues,…) ?
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Pour « Ta-Atua » j’ai choisi mes modèles parmi les inconnu.e.s que je rencontrais dans la piscine que je fréquentais (je les ai photographié.e.s dans d’autres piscines que j’ai dû louer pour des créneaux, auprès de la Ville de Paris).
Je photographie en général des inconnu(e)s même si je n’hésite pas à faire poser certains de mes amis.
Pour mon projet « ReNaissance », j’ai demandé à un ami de se mettre nu avec de la vaseline. Il m’avait déjà dit oui sur le principe. Avec mes amis, nous avons mutuellement une réelle confiance.
Avec « Ligaments », au travers de l’art ancestral du kinbaku (shibari) j’explore mes liens (bonds) aux hommes aux travers des bonds (les noeuds) du bond(age) japonais.
Lors de la réalisation de la série photographie, je faisais en sorte de ne pas mettre mal à l’aise mes modèles, en évitant de fixer leur corps ou de les dévisager. Ils étaient recouverts d’un plaid qu’ils (ou que je) enlevaient au moment de la photo. Je me concentrais sur les vidéos tutos qui permettaient de faire les bons nœuds.
Vous êtes également modèle. Cela demande-t-il plus d’exigences ?
Je suis modèle sur le tard en apprenant à lâcher prise. Enfant, ma mère me prenait trop en photo et j’ai fini par ne plus aimer être photographiée. Avec le temps, j’ai accepté de devenir modèle. Mes amis photographes étaient à la recherche de personnes à photographier afin juste de s’exercer. Je me suis porté volontaire.
Je sais qu’une photo est bonne même si je ne m’aime pas dessus car j’ai appris à lâcher. Le photographe capture finalement un moment pas votre moi.
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Vous prenez en photo le corps et la chair. La sensualité est ce qui vous fascine ?
Le corps me fascine – pas vraiment la sensualité. Je concentre mon travail sur les matières comme la peau. Les volumes et les corps sont passionnants à étudier.
La sensualité est avant tout de l’interprétation. On peut la remarquer dans mon travail car il y a eu de vrais échanges entre mes modèles et moi photographe. Cependant, je ne suis pas à la recherche de la sensualité.
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La mise en scène était-elle un exercice plus agréable que le résultat ?
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Avec l’argentique, j’ai toujours aimé travailler sur les ombres et les lumières. Le résultat est quasiment instantané pour moi car je retouche très peu mes photos. Je ne le fais pas car tout d’abord, je suis assez paresseuse et deuxièmement je ne sais pas vraiment utiliser les logiciels. Ce n’est pas ma sensibilité de retoucher.
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Photographier le Laos c’est aussi de l’intime ?
Le peu de fois que j’ai photographié ce ne fut pas de l’intime. J’ai été cheffe opératrice il y a presque 2 ans d’un documentaire d’une amie. J’étais très honorée de venir avec elle au Laos mais il s’agissait de travailler sur sa propre histoire. Cette dernière résonnait tout de même comme un écho au passé de mes parents. Dans mon art, je me protège et j’évite de traiter de quelque chose lié à mon histoire ou à ma vie.
Certaines personnes en voyant mes photos pourraient penser que je suis une adepte du shibari ou que je suis tatouée. Cela m’amuse car j’aime l’esthétique dans toutes ses formes, ce n’est pas pour autant que j’aime attacher les gens ou que je suis tatouée.
Mon intime reste dans mon intime. Je dévoile seulement mes obsessions.
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Quels sont vos projets ?
J’aimerais exposer « Ligaments » qui est un projet vieux de trois ans. La galerie qui devait m’exposer, se situe entre République et Bastille. Entre les mouvements sociaux et la pandémie, l’exposition a sans cesse été reportée. Je tiens beaucoup à ce projet.
Je souhaite également travailler sur des installations photographiques où se mélangent photos, peinture et sons. J’ai un projet d’installation photographique avec des vitraux mais c’est juste une envie pour le moment. Prendre en photo leur transparence est pour moi un bel exercice.
Du 21 juin au 6 juillet 2021, j’ai une exposition à la Gare expérimentale. Je vais présenter différentes photos.
Je continue à mélanger la photographie et la peinture. Si j’arrive à peindre une trentaine de tableaux donc une mise à l’épreuve je pourrais exposer. Un jour peut-être, lorsque j’aurai moins d’énergie, je pourrais envisager de publier des romans. Pour tout, je prends mon temps. Pour chaque projet photographique, je me donne du temps, en général un an mais parfois c’est beaucoup plus court, quelques mois voire quelques semaines.
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Pour en savoir plus :
Le compte Instagram de Boulomsouk Svadphaiphane : https://www.instagram.com/boulomsouk/?hl=fr
Photo de couverture prise par ©Sonadie San