Le dessin animé n’a pas fini de nous surprendre. Partout dans le monde, il présente aujourd’hui une grande diversité et de vraies identités. A la fois poétique, comique, magnifique, le cinéma de Rémi Chayé n’est pas une exception. Ses films font même la part belle aux enfants et aux aventuriers. Avec Sacha (Tout en haut du monde) et Martha Jane (Calamity, une enfance de Martha Jane Canary), intrépides petites filles, nous sommes témoins de belles épopées dans des pays lointains mais aussi durant cet intriguant XIXème siècle. 

Rencontre avec Rémi Chayé, réalisateur de l’aventure animée.

 

 

Vous avez participé à des projets franco-danois ou encore franco-irlandais. Vous voyez-vous comme un artiste international ?

 

 

Dans le rapport au travail, je me sens avant tout français. Il serait difficile pour moi d’aller par exemple travailler au Japon ou aux Etats-Unis. J’ai davantage une dimension européenne. Il était en effet formidable de travailler avec des Danois, des Irlandais ou des Espagnols. Les équipes dans l’animation sont variées et surtout européennes.

 

 

 

Lorsque vous êtes dans un projet, vous passez du story board à l’animation. Ce passage est-il ce que vous avez toujours voulu accomplir ?

 

 

 

Mon rêve d’enfance était de faire de la bande dessinée. N’ayant pas de télévision à mon domicile, le dessin animé n’était pas encore une vraie envie. J’empruntais des albums à la bibliothèque municipale et je les lisais. C’est le dessin qui m’a donné envie d’intégrer une école d’art. Et en tant que jeune adulte, j’ai découvert le dessin animé japonais avec notamment « Akira » ou « Princesse Mononoké ». Le dessin animé est un ensemble large. Vous avez à la fois le dessin mais aussi le décor avec des perspectives complexes, la musique et les voix. Initié par Bruno Le Floc’h qui travaillait sur des story boards comme pour « Princesse Shéhérazade », j’ai découvert le plaisir d’animer des personnages. Animer est un travail d’équipe avec de multiples activités. Mon réel plaisir aujourd’hui c’est l’arche narrative. Quel plaisir de réaliser une histoire d’une heure et demie, de la projeter dans une salle de cinéma et de créer des émotions aux spectateurs.

 

 

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En 2009, vous participez au film d’animation franco-irlandais « Brendan et le Secret de Kells ». Quel fut votre rôle ?

 

 

 

Lors de mon arrivée à Kilkenny, je suis arrivé dans un lieu où le social s’entremêlait avec l’Eglise catholique. A la sortie Sud de la ville un monastère avait été transformé en grand complexe. Des chapelles avaient été préservées et des soupes populaires continuaient d’y être organisées. A l’intérieur de ce complexe, des bâtiments avaient été réservés pour la production Cartoon saloon. J’ai intégré une équipe de 4 artistes qui avaient eu l’habitude de travailler ensemble. L’endroit était assez bordélique mais justement regorgeait de trésors. Il fallait apporter une organisation plus structurée, demander à un menuisier de nous faire des tables afin de recueillir les dessins. J’ai également travaillé sur des tableaux excel et les nomenclatures. Comme assistant-réalisateur, j’étais en dialogue permanent avec Tomm Moore en faisant le lien avec la production et la direction artistique. Sur le plan artistique, j’ai beaucoup appris à Kilkenny notamment la simplification des formes. Et bien que Tomm Moore développe un style de narration très orthogonale avec des suite de plan de pure face et de pure profil et des perspectives très médiévales alors que j’utilise beaucoup l’espace et les paysages pour raconter une histoire avec des plongées et des contre-plongées, cette expérience a été passionnante. De manière générale, j’ai toujours appris quelque chose avec les réalisateurs et artistes avec qui j’ai travaillés.

 

 

Vous utilisez les faits historiques comme contextes de vos histoires. Y’a-t-il des limites dans la réalisation inspirée de faits réels ?

 

 

Je reste fidèle sans être l’esclave de la documentation. Il sera de toute façon impossible de retranscrire totalement l’environnement exact du 19ème siècle. En outre, nous nous adressons à un public du XXIème siècle. Il est vrai que je me CHARIOTrenseigne beaucoup sur le contexte des histoires. Pour « Calamity, une enfance de Martha Jane Canary » (2020), il était important de se renseigner sur ce qu’il pouvait notamment y avoir dans un chariot traversant l’Ouest américain et en même temps ce n’était pas non plus une priorité. Les ingénieurs son avaient tout de même le souci d’intégrer par exemple les cris d’oiseaux typiques du Wyoming ou encore les vents d’Amérique. Eddine Noël, responsable du layout, a travaillé sur la végétation ou l’environnement de la mine d’or. Il a étudié pendant une semaine tout sur la ruée vers l’or. Pour le tournage, Eddine réalisait des descriptions sur le travail dans la mine et les conditions de travail. Nous avons finalement recherché une cohérence dans le récit.

 

 

Avec « Tout en haut du monde » (2015), Sacha, petite fille russe, est à la recherche de son grand-père mais aussi une sorte d’honneur. Le monde adulte est-il parfois en perdition et ce sont les enfants qui sont les guides ?

 

 

Je réalise des films pour les plus jeunes. Les héros sont par conséquent des enfants et bien entendu il s’agit des parcours initiatiques. J’adore les aventures et j’aime communiquer ce goût au jeune public. Calamity connaît un voyage extraordinaire SACHAqu’elle fait partager aux spectateurs. Quant à Sacha, elle doit vivre le deuil de son grand-père. Le courage et la solidarité sont des valeurs qui me tiennent à cœur. Quand avec les scénaristes Fabrice de Costil et Sandra Tostello, nous avons crée l’histoire du dessin animé « Calamity », nous voulions des personnages riches en caractère et réalistes. Seuls le shériff et le colonel peuvent être vus comme un peu caricaturaux car ils ne sont pas réellement développés. Mais des personnages comme Abraham ou le père de Sacha dans « Tout en haut du monde » sont plus complexes. Nous débutons avec un archétype que nous enrichissons tout au long de l’histoire. Ainsi, nous voyons que leur personnalité a plusieurs aspects et change au fil de l’histoire. Le père de Calamity est lâche car finalement il est quelqu’un de perdu. Des personnages sont faibles quand ils sont forts mais aussi forts quand ils sont faibles. J’aime quand quelqu’un a plusieurs traits de personnalité. Le public enfant et adulte comprend tout à fait cela.

 

 

Les créateurs du film d’animation Pixar « Rebelle » (2012) ont eu des difficultés à imposer leur petite fille ronde. Avez-vous eu cette liberté de création ?

 

 

 

Sacha est une petite fille lisse avec une beauté standard. Avec « Calamity », il y a eu des aller-retours au sujet des traits physiques de Martha Jane. J’avais commencé à la concevoir avec un gros nez et de gros sourcils. Des investisseurs, souhaitant que tous les publics enfants puissent facilement s’identifier à la petite fille, ont fait des remarques. J’ai redessiné le nez. Il ressemblait alors à celui de Sacha. Mes proches ont alors manifesté leur mécontentement. Le nez et les gros sourcils de Martha Jane donnaient justement du caractère au personnage. J’ai alors demandé à mon producteur de tenir bon au sujet de l’esthétique de Martha Jane. Elle n’a certes pas une beauté standard mais reste très attachante. Nous devons lutter contre tous ces standards devenus toxiques.

 

 

GROS NEZ

 

 

Y’a-t-il des acteurs ou des proches qui vous inspirent durant la conception de vos personnages ?

 

 

C’est toujours une création collective. Durant la conception de l’histoire, chacun des scénaristes a sa propre inspiration et ses propres références. C’est la même chose durant la réalisation du story-board.

Ma sœur m’a récemment fait la remarque que Martha Jane a beaucoup de traits de personnalité en commun avec notre mère. Je ne m’étais pas rendu compte mais oui, comme Calamity, elle s’est battu toute sa vie et a un mauvais caractère à cause de cela. Je me retrouve moi-même dans cette colère lorsque que je vois notamment la situation des femmes. Il y a une injustice dans l’inégalité femmes-hommes, dans les violences que subissent les femmes.

Heureusement, les films d’animation de nos jours traitent de ces thèmes. Lors de la promotion de « Calamity », j’ai été présenté le film avec la productrice Claire La Combe au festival Cine Kid d’Amsterdam. Il y avait une dizaine de films présentés. 9 avaient comme personnages principaux des héroïnes.

 

 

« Calamity » est-il un anti-western ?

 

 

Dès le début de l’écriture du scénario, j’ai prévenu que je ne voulais pas faire de western. J’avais en effet une image très négative de ce genre qui était pour moi WESTERNmachiste et violent. J’ai en tête la vision de John Wayne frappant une jeune fille. Pour toutes ces raisons, je rejetais le western. Puis, j’ai découvert le sous-genre conquête de l’Ouest avec le film « Jeremiah Johnson » (1972). Une journaliste m’a donné une superbe description du film « Calamity » : « Conquête de l’Ouest, conquête de soi ». En quête d’identité et de nouvelles terres, Martha Jane est certes le personnage d’un western mais encore une fois ce n’est pas un standard. Il y a finalement de multiples façons de réaliser un genre.

 

 

Réaliser des œuvres pour des enfants est-il la meilleure des motivations ?

 

 

Durant les avant-premières, j’échange avec les enfants dans la salle. Leurs questions sont toujours incroyables. Avec « Tout en haut du monde », ce fut une découverte. LeMASK public enfant a une grande exigence par rapport au scénario et n’hésite pas à dire ce qui lui déplaît. Je me souviendrai toujours d’échanges avec des enfants très pointilleux et avec un esprit de synthèse impressionnant 5 minutes après la fin du film. Ils ne parlent pas de technique ou d’esthétique mais se concentrent sur l’histoire ou les émotions. Dans « Tout en haut du monde », la scène où Sacha voit son grand-père est toute en ambiguïté. Est-ce un rêve ? Est-ce à un moment entre la vie et la mort ? Les enfants ont parfaitement compris cette ambiguïté. C’est une joie de réaliser des films pour un tel public.

 

 

L’année 2020 n’a pas épargné « Calamity ». Comment voyez-vous l’avenir des films d’animation ?

 

 

J’aime l’expérience de la salle obscure et le côté exceptionnel de sortir pour aller au cinéma. Voir un film c’est voir un spectacle. Quand quelqu’un rit dans la salle, le rire va être communicatif. Le collectif fait partie de l’expérience. Une télévision même grand écran à son domicile avec les bruits avoisinants ne peut donner une telle ambiance. J’espère que l’expérience de la salle n’est pas prête de s’arrêter. D’ailleurs, Disney fait une grave erreur de privilégier la télévision au dépend du cinéma. Leurs productions vont finir par devenir des produits télé parmi d’autres. A partir du moment où vous travaillez avec un différent format, vos œuvres changent. Avec la télévision, leurs productions peuvent se démonétiser. J’espère que Disney va peu à peu s’éloigner de leur plateforme pour revenir au cinéma. Il faut en fait que les deux soient complémentaires. Il est formidable d’avoir des films à la télévision et en même temps continuer à avoir l’expérience cinématographique dans une salle.

 

 

Pouvons-nous espérer une resortie de « Calamity » en 2021 ?

 

 

Oui. Cela reste tout de même difficile puisqu’il y a moins en moins de salles de cinéma. Les difficultés financières vont continuer plus durant les prochaines années. Les grandes majors américaines donnent de mauvais signes à ce sujet. Des salles de cinéma ferment beaucoup aux Etats-Unis mais j’espère qu’en France, nous en serons moins victimes. « Calamity » continuera de toute façon à faire sa vie dans les festivals ou durant les vacances scolaires. Les instituteurs et les institutrices sont sensibles aux messages d’égalité du film et organisent des sorties pour voir le film avec leurs classes.

 

HORSE

 

La bande annonce de « Calamity, une enfance de Martha Jane Canary :

https://www.youtube.com/watch?v=5wu5fr8jRag

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