Orléans, Genève, Paris, Tanger, Sarajevo, Séoul… un félin s’est mis en tête d’occuper les murs du monde entier. Et les frontières ? Et les virus ? Ce gros matou ne connaît pas… Personnage devenu incontournable de l’art de rue, M. Chat sait capter le regard du passant par son large sourire, ses grands yeux fripons ou encore son interminable queue. Rencontre avec le street-artiste suisse Thoma Vuille, créateur de cet intrigant monsieur chat.
Vous avez commencé avec le graffiti, aujourd’hui on parle de street art. Y’a-t-il une différence entre les deux termes?
Le terme de graffiti a toujours ses adeptes. Les graffeurs sont toujours dans un certain entre-soi. Ils ne s’adressent pas qu’à leurs propres copains, travaillent dans le même environnement. Le graffiti c’est comme une langue qui est partagée par un petit groupe. Il n’y a pas une volonté de délivrer un message qui parle à tous. Par contre, le street art c’est un peu comme des mathématiques. Il s’est développé avec Internet et pas seulement dans la rue. On partage une formule, des messages… Le street art n’est pas seulement un plaisir personnel de l’artiste c’est aussi une forme de spectacle. Les graffeurs critiquent justement cet aspect du street art. Certains prétendent que les choses ont changé lorsque les artistes de rue ont commencé à exposer leurs œuvres dans des galeries. Mais dans l’art, il y a toujours du commerce et bien avant le graffiti.
M. Chat a des particularités bien à lui : il est jaune, il a des ailes et un grand sourire. Le chat a-t-il connu une évolution ?
Il y a toujours eu un cercle pour représenter la tête et les oreilles en forme de cornes. Au début, M. Chat était plutôt maigre, sans ailes et avec une plus petite queue. Les couleurs n’étaient pas encore définies puis au bout de quelques années, elles se sont imposées. Le jaune est un jaune orangé. C’est une couleur plutôt chaude qui amène à la fois au calme et à la relaxation. Le rouge donne un aspect vif. Le chat a une couleur à la fois calme et vive. La queue est également devenue de plus en plus longue et en forme de S. Un ami m’a dit un jour que je dessinais en fait le S qui manquait dans mon prénom, Thoma…
Les ailes sont apparues lorsque le chat est devenu parisien. Suite à des mouvements sociaux notamment contre l’intervention américaine en Irak en 2003, j’ai dessiné le chat avec des ailes à l’image de la colombe de la Paix. Le chat est devenu un porteur de paix. Avec ses ailes, il est devenu une chimère, un ange.
M. Chat n’est pas non plus sexué même si certaines personnes lui rajoutent des attributs masculins dans la rue… Avec le temps, le personnage suit une évolution comme un vrai petit être humain. Il est parfois masculin parfois féminin. Et M. Chat continue d’évoluer.
Vous êtes sorti de l’anonymat en 2007. Quel fut le changement ?
En tant qu’artiste anonyme, je ne m’inquiétais pas de l’avenir de M. Chat. À présent, c’est une œuvre déclarée par conséquent, il peut un jour s’éteindre. Je fais tout pour ne pas que cela arrive.
Vous avez également le chat sur votre peau puisque vous êtes tatoué. L’œuvre s’impose-t-elle à l’artiste ?
Je me posais la question de la vie de l’œuvre sans son créateur lorsque j’étais étudiant. Avec le temps, je ne me pose plus cette question. Je ne suis plus que dans l’action maintenant.
Je suis né avec l’aide d’une césarienne. Je n’ai pas eu l’expérience d’une naissance par voie naturelle. J’imagine par conséquent que j’ai une conscience plus légère, moins terrienne.
Y’a-t-il toujours cette inquiétude d’avoir à nouveau affaire à la justice ?
J’ai confiance dans la justice en particulier en Europe. J’ai dû payer une nouvelle amende récemment mais je ne m’inquiète pas. Il n’y a jamais eu de flagrant délit. Il s’agit toujours d’une conversation avec un inspecteur afin de définir si peindre dans la rue c’est un délit ou non. À une époque pour moi, il y avait une forme d’institutionnalisation. La justice faisait état de mon activité d’artiste. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me confronter aux limites de la légalité.
Le chat présent en France mais aussi à l’étranger, la vision de M. Chat varie selon les villes et les pays ?
Le chat est à la fois global. On peut penser en français et être global. M. Chat est né dans la culture francophone mais il est reconnaissable partout. J’ai eu ce souci de globalité lors de mon arrivée à Paris. Il s’adresse à tout le monde, à toutes les tranches d’âge. M. Chat parle à un bébé. J’ai toujours voulu faire des choix très humains. Il est présent dans le
monde entier. La peinture est éblouissante.
Le chat est également très personnel. Il est reconnaissable parmi les autres figures du street art. Il semble que parfois je fais des mauvais choix artistiques. Je suis en fait en avance sur les autres artistes. Être précurseur c’est d’une certaine manière très français. Lorsque je me rends dans d’autres pays, je constate que le public est touché par une certaine humanité.
Quel est votre lien avec la Corée du Sud ?
C’est une vieille amitié oubliée. Une famille d’industriels collectionne ma peinture. J’ai l’habitude de me rendre en Corée du Sud. Je suis l’un des premiers street-artistes à avoir peint Séoul.
Que retenez-vous de votre collaboration avec le cinéaste Chris Marker ?
Je retiens tout. C’est la personne qui a révélé mon travail et qui m’a persuadé de sortir de l’anonymat. C’est le chat de Chris Marker qui a révélé mon chat. Chris Marker a été une sorte de grand-père.
Avez-vous un lieu préféré où M. Chat est installé ?
Il bouge constamment. Je l’aime dans l’inconscient collectif. Un de mes enfants a soufflé un jour que mon chat était connu de tous. Cela fait plaisir. Lorsque je me promène, je retrouve par hasard M. Chat sur les murs. Je suis agréablement surpris car souvent les œuvres dans l’espace public disparaissent. Pourtant, M. Chat lui reste présent.
Pour en savoir plus :
Le site de monsieur chat : http://www.monsieurchat.fr/
La page Facebook de monsieur chat : https://www.facebook.com/www.monsieurchat.fr/
La page Instagram de monsieur chat : https://www.instagram.com/m.chat_official/?hl=fr
Photo de couverture : Brieuc Cudennec