Le 10 mai 1940, sept mois après l’invasion de la Pologne, l’Allemagne nazie lance une nouvelle offensive contre les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg neutres. 3 jours plus tard, c’est au tour de la ville de Sedan d’être attaquée. Ainsi débute la bataille de France. 80 ans après les faits, celle-ci est toujours perçue comme une terrible défaite des Alliés franco-britanniques. La débâcle, l’exode des civils fuyant l’arrivée des Allemands et l’armistice du 22 juin font partie de notre mémoire. Et pourtant, selon les dires du général allemand von Reichenau : « Les troupes françaises se sont battues comme des lions ». Entretien avec Dominique Lormier, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et membre de l’Institut Jean Moulin.
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Pour quelles raisons l’armée allemande a battu les armées alliées en 1940 ? L’aviation française a-t-elle été dépassée dans les airs ? Peut-on dire que l’évacuation des soldats français à Dunkerque a été finalement un succès au même titre que celle des troupes britanniques ?
Les causes de la défaite sont diverses. Le général Gamelin, commandant en chef de l’armée française, accumule les erreurs. Le front de la Meuse et des Ardennes est défendu par une dizaine de divisions françaises dépourvues en quantité d’armes antichars et antiaériennes, devant tenir des positions disproportionnées à leurs faibles moyens, parfois 30 kilomètres de front au lieu des six kilomètres réglementaires pour ce type d’unité, contre une cinquantaine divisions allemandes bien équipées, dont 7 panzerdivisions, soutenues par une puissante aviation. Le 10 mai 1940, jour de l’offensive allemande, il engage imprudemment l’excellente 7e armée française du général Giraud au sud de la Hollande, se privant ainsi d’une puissante réserve pour contre-attaquer la percée allemande sur la Meuse. Il tombe dans le piège allemand, en engageant ses meilleurs divisions sur la Dyle, en Belgique, les condamnant à un encerclement par la Wehrmacht. Il se trompe sur l’axe principal de l’offensive allemande, la voyant sur la Dyle et non sur la Meuse, bien qu’il soit informé par ses services de renseignement et par son aviation de reconnaissance que l’effort principal des Allemands se fera dans les Ardennes et sur la Meuse. Il disperse ses divisions cuirassées, en soutien de l’infanterie ou pour colmater les brèches, au lieu de les regrouper pour une puissante contre-offensive de flanc. Le commandement français, souvent éloigné du front, réagit trop lentement aux attaques allemandes. L’aviation française lutte généralement à un contre trois, avec le plus souvent des appareils plus lents que ceux de l’adversaire. La Belgique n’assure pas suffisamment la défense des Ardennes, permettant ainsi à l’adversaire de progresser rapidement. 75 % des chars français sont dépourvus de radios et sont armés d’un petit canon de 37 mm modèle 1918, à faible vitesse initiale, capable de percer seulement 15 mm de blindage, alors que 75 % des tanks allemands, pourtant peu blindés à l’époque, sont protégés par 20 à 30 mm d’acier (Panzer II, III, IV et Skodas). 75 % des chars français sont dispersés dans des bataillons pour soutenir uniquement l’infanterie alors que tous les tanks allemandes sont regroupés en 10 panzerdivisions. La Wehrmacht à trois fois plus de pièces de DCA. Le commandement allemand applique avec efficacité la percée en profondeur, avec le couple char-avion, sans oublier l’artillerie et l’infanterie : en bref, un combat interarmes efficace. La logistique et les transmissions allemandes sont performantes au contraire de l’armée française. L’allié britannique n’engage que des faibles forces, une dizaine de divisions au lieu de la soixantaine en 1918, et pense très vite à rembarquer dès les premiers revers, annulant ainsi une possible contre-offensive alliée. Nous pourrions multiplier les exemples, hélas…
Cependant Hitler va commettre une faute irréparable, à partir du 23 mai, il disperses 5 de ses panzerdivisions pour réduire les poches françaises de résistance de Calais, Boulogne et Lille, n’engage qu’une unique panzerdivision contre la poche de Dunkerque, où se trouve le corps expéditionnaire britannique et certaines de meilleurs divisions françaises. Les 4 autres panzerdivisions sont maintenues en réserve pour combler leurs lourdes pertes, en vu des futures offensives allemandes sur la Somme et l’Aisne en juin. En effet, environ 30 à 50 % des chars allemandes ont été mis hors de combat (détruits ou endommagés) entre le 10 et le 23 mai, contre principalement l’armée française qui oppose une résistance acharnée.
Le poids de la bataille de Dunkerque sur le sort de la guerre est désormais clairement établi. L’armée française, par son héroïque sacrifice, a bel et bien sauvé la Grande-Bretagne de la défaite. C’est également une défaite tactique et stratégique pour Hitler, qui ne peut contraindre la Grande-Bretagne à négocier une paix séparée. L’historien américain Walter Lord, spécialiste incontesté de la Seconde Guerre mondiale, écrit avec justesse : « Nombre de généraux allemands considèrent la bataille de Dunkerque comme un tournant de la guerre : si le corps expéditionnaire britannique avait été fait prisonnier, la Grande-Bretagne aurait été vaincue ; si cela était arrivé, l’Allemagne aurait pu concentrer toutes ses forces sur la Russie ; Stalingrad n’aurait pas eu lieu. »
Le général Brooke, chef d’état-major de l’armée britannique, replace la bataille de Dunkerque dans une vision stratégique essentielle pour la survie de la Grande-Bretagne et du monde libre : « Si le corps expéditionnaire britannique ne retournait pas en Angleterre, il serait difficile de concevoir comment l’armée reprendrait son souffle. La Grande-Bretagne pourrait remplacer le matériel perdu ; nos soldats professionnels seraient par contre irremplaçables. La Grande-Bretagne ne possédait que les troupes entraînées qui avaient combattu en France. Plus tard, celles-ci formeraient le noyau des grandes armées alliées qui devaient reconquérir le Continent. Leurs chefs – Alexander et Montgomery, pour ne citer que ces deux-là – s’étaient faits les dents à Dunkerque. » Winston Churchill va dans le même sens : « La résistance héroïque de l’armée française à Lille et à Dunkerque a sauvé l’armée britannique, permettant à l’Angleterre de poursuivre la guerre. » Le prince Charles d’Angleterre estime de son côté : « Sans Dunkerque, il n’y aurait pas eu le 6 juin 1944. » Le prince Edward de Kent apporte la conclusion qui s’impose : « Grâce aux efforts militaires britanniques et français à Dunkerque, l’élite de notre armée a pu rejoindre les ports anglais, permettant à la Grande-Bretagne de continuer la lutte. » Le général allemand Guderian voit dans le sauvetage de l’armée britannique à Dunkerque comme un tournant de la guerre.
L’importance des pertes militaires témoignent que la campagne du 10 mai au 25 juin 1940 n’est pas une défaite honteuse pour la France, avec 183 000 soldats français hors de combat (60 000 tués et 123 000 blessés), 170 224 soldats allemands hors de combat (49 000 tués et 121 224 blessés), sans oublier 1 900 chars français et 753 chars allemands détruits, 1 247 avions français et 1 428 avions allemands détruits. En seulement 45 jours de combat, l’armée allemande a donc perdu environ 30 % de ses chars et 50 % de son aviation. Il ne s’agit en rien d’une simple promenade militaire pour la Wehrmacht. En plus des 753 chars allemands détruits, environ 300 autres sont sérieusement endommagés : soit 1 053 panzers détruits ou sérieusement endommagés sur 2 683 présents au début des opérations.
Il est significatif de constater que les pertes humaines allemandes passent de 21 000 soldats tués du 10 au 31 mai 1940 à 28 000 soldats tués du 1er au 25 juin 1940, contre une armée française qui passe d’une centaine de divisions le 10 mai 1940 à seulement une soixantaine de divisions le 5 juin 1940, sans l’appui de ses alliés hollandais, belges et en grande partie britanniques. Ainsi, presque réduite de moitié, combattant quasiment seule, l’armée française inflige de plus lourdes pertes à son adversaire allemand durant cette seconde période. Ces chiffres révèlent la lutte courageuse et tenace des soldats français, allant aux antipodes des clichés moqueurs de l’après-guerre.
La résistance acharnée de l’armée française sauve de la capture 403 517 soldats britanniques sur les 450 000 présents en France en mai-juin 1940, car l’évacuation de Dunkerque n’est pas l’unique opération de ce type durant cette période, plusieurs ports français permettent d’autres rembarquements, avec le sacrifice en couverture de nombreux soldats français. Ainsi, la Grande-Bretagne sauve la plus grande partie de son armée présente en France, permettant de sanctuariser son propre territoire dans l’immédiat, malgré la perte de 3 457 soldats britanniques tués et 43 026 prisonniers en mai-juin 1940. Les 403 517 soldats sauvés de la capture représentent l’essentiel de l’armée britannique en juillet 1940, comme tient à le rappeler le général anglais Brooks, chef d’état-major.
Avec la perte de 1 428 avions en mai-juin 1940, la Luftwaffe n’est pas en mesure de mettre à genoux l’aviation britannique qui parvient à mettre en ligne 1 396 appareils le 10 août 1940, dont 1 095 chasseurs, contre 3 031 avions allemands, dont seulement 1 223 chasseurs. En mai-juin 1940, l’armée de l’air française a donc joué un rôle important dans l’échec allemand de la bataille d’Angleterre en juillet-octobre 1940, comme le souligne le général allemand Adolf Galland, un des as de la Luftwaffe. Il est d’ailleurs significatif de remarquer qu’en 45 jours de combat en mai-juin 1940, la Luftwaffe perd 1 428 avions contre 1 616 durant les 123 jours de la bataille d’Angleterre en juillet-octobre 1940, sans oublier 2 668 aviateurs allemands tués en mai-juin 1940 contre 2 662 lors de la bataille d’Angleterre (chasseurs, bombardiers et reconnaissance).
Le sacrifice de l’armée française en mai-juin 1940 permet en partie à la Grande-Bretagne de poursuivre la guerre, comme l’a reconnu Winston Churchill en personne. De la défaite de 1940, on ne retient que les 1 500 000 prisonniers militaires français, en oubliant de souligner que plus de 80 % sont capturés par la Wehrmacht entre le 18 et le 25 juin 1940, suite au message catastrophique du 17 juin, à la radio, du maréchal Pétain appelant à la cessation des combats, alors qu’ils vont en réalité se poursuivre pendant encore 8 jours. Durant cette dernière semaine, 965 000 soldats français poursuivent cependant le combat, malgré la défection d’une partie de l’autorité militaire et politique.
Bien que luttant à un contre trois sur le plan aérien, avec un haut-commandement en grande partie dépassé par les événements, un plan militaire initial faisant le jeux de l’adversaire, avec 75 % de ses chars armés d’un canon inefficace contre 75 % des panzers, une DCA inexistante, des transmissions défaillantes, l’armée française a cependant causé de lourdes pertes à la Wehrmacht, en lui mettant hors de combat 30 % de ses blindés et environ 50 % ses avions. Le bouclier français a joué un rôle essentiel dans le rétablissement britannique et la poursuite de la guerre contre Hitler.
La défaite militaire française de 1940 n’est donc pas une défaite honteuse. Elle doit être évaluée sous un angle panoramique et stratégique, en évitant les clichés réducteurs. Il est vrai que la rapidité de cette défaite en six semaines a pu laissé croire que l’armé française s’était débandée. Or la guerre-éclair du commandement allemand repose justement sur la défaite rapide de l’adversaire, avec l’action conjuguée des panzerdivisions et de l’aviation. De plus, les erreurs tactiques et stratégiques du commandement français ont facilité le succès de la Wehrmacht, sans remettre en cause le courage du soldat français sur le terrain.
Au sujet des raisons de la défaite française de 1940 sur la Meuse, les historiens Hugues Wenkin et Yannis Kadari écrivent avec justesse : « Côté allemand, les officiers jouissent d’une souplesse importante pour remplir leur mission. En substance, ils ont des objectifs à prendre et sont chargés de faire ce qu’il faut pour atteindre les résultats demandés tout en restant libres de la méthodologie à appliquer. Pour fluidifier les opérations, les ordres circulent par radio et souvent en clair. Côté français, par contre, les informations peinent à être transmise le long des voies hiérarchiques. C’est ce qui explique en partie une certaine « inertie » au sein des unités tricolores. Par exemple, il faut attendre 5 heures, le 13 mai, soit un délai de six heures entre l’événement constaté sur le terrain par les avant-postes et le compte rendu à l’autorité supérieure, pour que le général Martin, commandant le 11e corps d’armée, apprenne l’infiltration ennemie sur l’île de Houx. Le général Corap, chef de la 9e armée, ne sera informé de la situation que sur les coups de midi, soit avec sept heures supplémentaires… Ce jour-là, il ne faudra pas moins de vingt-quatre heures pour que les troupes françaises reçoivent l’ordre de contre-attaquer ! autant dire qu’entre-temps, les Allemands auront fait le nécessaire pour renforcer leurs têtes de pont et préparer la poursuite de leurs opérations offensives. »
De son côté, l’historien allemand Karl-Heinz Frieser constate : « Avant qu’un ordre important soit seulement parvenu à la troupe, il était en général dépassé. Dans cette campagne, en fait, les Français n’ont jamais réussi à prendre l’initiative. Ils ont eu du mal à mener des actions à un quelconque moment, et en général, leurs réactions sont arrivées trop tard. » Et il ajoute : « L’effondrement de l’armée française n’est pas à imputer aux soldats, mais à leur commandement. Quand on les a engagés à bon escient, en effet, ces hommes ont toujours donné des exemples étonnants de bravoure. »
Bien qu’informé par son service de renseignement que la principale offensive allemande se déroulera dans les Ardennes, le général Gamelin refuse de prendre au sérieux cette information capitale et s’entête à croire que la bataille décisive doit se dérouler au nord de la Belgique. Il y engage ses meilleures unités dans un piège tendu par Hitler, disperse ses divisions de réserve au lieu de les conserver lors d’une possible contre-offensive sur les flancs de l’adversaire, laisse le front de la Meuse sous la défense de divisions sous-équipées, luttant à un contre cinq. Il est le principal responsable de la défaite militaire de 1940. Mais il n’est pas le seul, les principaux politiques français refusent de voir à temps le danger du réarmement allemand, suivent la calamiteuse politique britannique d’apaisement avec Hitler de 1933 à 1938, en refusant d’intervenir militairement contre l’occupation allemande de la Rhénanie en mars 1936, alors que l’armée française dispose encore à ce moment-là de la supériorité sur le terrain, qu’elle va perdre par la suite. Seulement trois bataillons allemands occupent la Rhénanie et le général von Blomberg est prêt à battre en retraite en cas de ripostes des troupes françaises. Mais Paris, bien plus préoccupé par l’invasion italienne de l’Ethiopie, n’a pas bougé, ainsi que Londres.
Mussolini, d’abord hostile à Hitler et au nazisme, défenseur de l’indépendance de l’Autriche et favorable à une alliance militaire pour encercler l’Allemagne, est cependant dégoûté de voir la France et la Grande-Bretagne, les deux plus grandes puissances coloniales de l’époque, lui donner des leçons d’anticolonialismes en 1935-1936. Après bien des hésitations, il se rapproche finalement de l’Allemagne. La clef du succès des Alliés en 1918, avec l’alliance militaire française, britannique et italienne, forte de 227 divisions à ce moment-là, vole en éclat en 1936, à la grande satisfaction d’Adolf Hitler. Il n’aura pas à combattre sur deux fronts, contre la France et l’Italie, situation militaire qui fut fatale à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie en 1918. D’autant que le danger russe est également écarté par le pacte germano-soviétique en août 1939.
La stratégie du blocus maritime des flottes franco-britanniques contre l’Allemagne est judicieuse durant la « drôle de guerre » de septembre 1939 à mai 1940. Il s’agit d’asphyxier économiquement l’Allemagne. Mais cela pousse également Hitler à déclencher son offensive rapidement, le 10 mai 1940, sachant que le temps joue contre lui. Il ne peut attendre trop longtemps, car la France et la Grande-Bretagne rattrapent peu à peu leur retard dans le domaine de la production des avions militaires.
Cependant, en juin 1941 Hitler tombe dans le piège de la guerre sur deux fronts principaux, l’un contre les Britanniques et l’autre contre les Soviétiques. Ces Britanniques qui peuvent poursuivre le conflit grâce en grande partie au sacrifice de l’armée française en 1940, sans oublier l’apport des Etats-Unis par la suite.
La défaite de 1940 est avant tout celle d’une partie des élites militaires et politiques franco-britanniques, médiocres et incompétentes, refusant de voir à temps le danger du nazisme à sa juste mesure, en préparant par la suite des plans délirants, faisant sans le savoir le jeux de la Wehrmacht.
La ligne Maginot a-t-elle finalement été vaincue ?
Après la défaite de 1940, la ligne Maginot, si longuement glorifiée auparavant, a fait l’objet des pires critiques en tant que symbole de l’inefficacité de l’armée française : elle n’aurait servi à rien, puisque les Allemands l’ont contourné par les Ardennes. Si Hitler et ses généraux ont jugé utile de la contourner plutôt que de l’attaquer de front, c’est qu’ils ont estimé que son efficacité défensive était réelle. On ignore souvent qu’en juin 1940, les Allemands ont voulu tester sa réelle valeur en l’attaquant en plusieurs endroits. Ainsi, le 14 juin, en Moselle, secteur le plus faible de la ligne Maginot, où les gros ouvrages sont remplacés par une cinquantaine de casemates de taille moyenne, une centaine de petits blocs et une cinquantaine de tourelles, 155 000 soldats allemands, appuyés par 1 100 canons et 300 bombardiers, sont repoussés par 18 000 soldats français, soutenus par seulement 114 pièces d’artillerie : cette offensive coûte, en un seul jour, 1 200 tués et 4 000 blessés aux six divisions allemandes engagées, contre 679 tués et 1 800 blessés aux six régiments français défendant le secteur.
Finalement attaquée de tous côtés à partir du 15 juin, la ligne Maginot résiste à tous les assauts. Sept divisions allemandes tentent de traverser le Rhin entre Rhinau et Neuf Brisach, sur un front de 30 kilomètres, défendu par l’unique 104e division d’infanterie de forteresse. L’organisation défensive comprend une ligne de casemates doubles, espacées de petits blocs. On compte également une série de points d’appui, qui complètent l’organisation. L’ensemble représente moins de 10 000 hommes faisant face à 90 000 soldats allemands. L’offensive allemande dans ce secteur se heurte à une farouche résistance. L’avance de la Wehrmacht ne se fait pas l’arme à la bretelle : on compte dans les rangs allemands 766 tués, 2 567 blessés et 117 disparus en trois jours de combat ! L’impression des soldats français est qu’il suffirait de quelques compagnies pour rejeter l’ennemi dans le fleuve. Mais où les prendre ? L’absence de troupes d’intervalle se fait durement sentir. Pour renforcer les fronts de l’Aisne et de la Somme, on a puisé sur les effectifs de la ligne Maginot.
Le 25 juin 1940, malgré la multiplicité des attaques allemandes et la puissance des moyens employés, 45 des 53 gros ouvrages de la ligne Maginot résistent encore et plus de la moitié des simples casemates. Les Allemands ont subi de lourdes pertes en voulant s’emparer de ces positions fortifiées.
Sur le front des Alpes, fin juin 1940, la Maginot alpine remplit également son rôle : avec seulement 215 000 soldats, 986 pièces d’artillerie et une dizaine de chars, l’armée française tient en échec 377 000 soldats italiens et allemands, soutenus par 797 blindés, 2 599 canons et une puissante aviation. Les Français ont perdu 503 soldats (tués, blessés, disparus ou prisonniers) contre 7 329 soldats germano-italiens. Le béton préserve les vies des défenseurs et inflige de lourdes pertes à l’assaillant. Il est donc totalement faux d’affirmer que la ligne Maginot n’a servi à rien : bien au contraire, elle a repoussé les assauts ennemis en leur infligeant de lourdes pertes.
La bataille de Stonne, les combats de Saumur et les batailles des Alpes sont commémorés comme actes de résistance face aux troupes allemandes et italiennes. L’obstination française a-t-elle marqué les esprits ?
Depuis des décennies, la défaite de 1940 hante toujours la mémoire nationale comme une événement honteux, durant lequel l’armée française se serait effondrée en quelques jours sans combattre, contre des troupes allemandes surpuissantes et invincibles. Les mythes de la propagande des principaux belligérants, l’historiographie anglo-américaine souvent francophobe et les thèses fumeuses de certains auteurs et médias véhiculent encore de nombreux clichés.
Trop souvent, la défaite française de 1940 est présentée comme une « promenade de santé » de la Wehrmacht, marquée par la prétendue débandade des troupes françaises, la facile « chevauchée » des panzerdivisions vers la Manche, le rembarquement des troupes britanniques à Dunkerque, mettant en valeur uniquement la Royal Navy et la Royal Air Force, puis l’occupation allemande de Paris et d’une large partie du territoire national, avec son long cortège de prisonniers militaires français, vaincus et débraillés.
Dans le film anglais Les heures sombres (2017) de Joe Wright, à la gloire de Churchill, on nous explique que le corps expéditionnaire britannique a été en grande partie sauvé grâce au sacrifice de 48 chars anglais à Calais ! Le film Dunkerque (2017) de Christopher Nolan est de la même imposture historique, avec l’omniprésence des soldats britanniques, sans oublier les navires et les avions anglais, et les troupes françaises réduites à une barricade au début et à quelques fuyards par la suite : une véritable honte ! A aucun moment, il n’est fait mention dans ces deux films de la résistance héroïque des troupes françaises, ayant couvert le rembarquement de l’armée britannique.
Lors de la crise irakienne de 2003, les médias et les politiques américains, comme Donald Rumsfeld, ont fustigé l’attitude pacifique de la France, en mettant en avant « la lâcheté historique des paniquards de 1940 ». La légende a la vie dure… Les blagues de l’administration américaine ne font pas non plus dans la dentelle : « Savez-vous pourquoi l’Allemagne a mis trois jours pour envahir la France ? Parce qu’il y avait du brouillard », ou plus féroce encore : « Quelle est la principale compétence d’un officier qui sort de Saint-Cyr ? Savoir dire je me rends en au moins dix-sept langues. »
Les civils, témoins des semaines terribles de mai-juin 1940, n’ont vu de cette campagne que son aspect le plus pénible et parfois le plus dégradant : replis de troupes décimées et démoralisées, omniprésence de l’aviation et des colonnes motorisées allemandes… La légende d’une débâcle générale de l’armée française a, en partie, trouvé là son terreau.
Certains hommes politiques français de la IIIe République, ayant publié leurs souvenirs, ont souvent cherché à minimiser leurs responsabilités dans la défaite de 1940, en mettant en avant « la débandade et l’incompétence de l’armée ». Même attitude chez certains généraux français de premier plan qui, comme le général en chef Maurice Gamelin, se déchargent sur la troupe, fustigent « la défaillance des soldats ».
Certains « historiens » vont même jusqu’à affirmer que les Alliés disposaient d’une écrasante supériorité numérique en mai 1940, afin de mettre plus en évidence l’impardonnable défaite militaire française. D’autres prétendent que les attaques de la division blindée du général de Gaulle n’auraient été que d’inefficaces patrouilles de reconnaissance…
Le lieutenant Jacques Riboud, dont le régiment subit de lourdes pertes sur la Somme en juin 1940, écrit pourtant dans ses Souvenirs d’une bataille perdue : « Il n’y a pas de gloire dans la défaite. Le soldat qui retourne de la guerre vaincu, sait qu’à l’épreuve d’un combat inégal, s’ajoutera l’amertume de la défaite. Mais la mémoire de mon régiment perdu et de la conduite des gradés et des canonniers a toujours été pour moi un motif de fierté, une raison d’espérer. »
La participation militaire française à la Seconde Guerre mondiale demeure un sujet controversé. L’armée française de mai-juin 1940 aurait été défaillante dans tous les domaines. Or il convient de revisiter cette période, trop souvent présentée d’une manière réductrice, avec son cortège de clichés hérités d’une filmographie de comiques troupiers, comme la 7e compagnie.
Il est révélateur de constater que les témoignages des principaux officiers allemands attestent d’une résistance acharnée des troupes françaises en mai-juin 1940. Dans un rapport du 20 novembre 1940, portant sur les enseignements de la campagne de mai-juin 1940, le général Erwin Rommel, commandant de la célèbre 7e panzerdivision, écrit : « Sur les flancs de la Meuse, dans les fortifications de campagne et dans les maisons fortifiées, les soldats français ont combattu avec une extraordinaire habileté et opiniâtrement, et ils ont causé des pertes élevées à nos troupes. Les attaques de chars français et d’infanterie sur la rive ouest de la Meuse n’ont été repoussées qu’avec peine. Au sud de la Somme, les troupes françaises ont combattu avec un acharnement extraordinaire. Les unités antichars et les équipages de chars français se sont partout battus avec courage et ont causé des pertes élevées à nos troupes. »
Le général Heinz Guderian, commandant du 19e panzerkorps (corps blindé) en mai-juin 1940, remarque : « En dépit d’énormes erreurs tactiques et stratégiques venant du haut-commandement allié, les soldats français de 1940, notamment dans les Ardennes, dans les Flandres, sur la Somme et l’Aisne, ont opposé une résistance extrêmement coriace, avec un esprit de sacrifice extraordinaire, parfois digne des poilus de Verdun en 1916. »
Le colonel Wagner, commandant du 79e régiment allemand d’infanterie, écrit dans son carnet de guerre, suite à la bataille de Stonne en mai 1940 : « La défense acharnée de l’armée française est à signaler. Cette défense était offensive, et s’accompagnait de furibondes contre-attaques avec des chars. Les positions étaient bien camouflées, établies en profondeur et très difficiles à reconnaître. La troupe française avait l’expérience des combats en forêt. L’artillerie française se signala par son feu rapide et bien réglée. Grâce à d’excellents observateurs, l’artillerie française prenait sous son feu tous nos mouvements de troupes. »
Le général allemand Schubert, commandant du 23e corps d’armée, rend ainsi hommage à la 14e division française d’infanterie (DI), son principal adversaire sur le front de l’Aisne en juin 1940 : « Les unités de la 14e DI laissèrent l’infanterie allemande s’approcher au maximum pour obtenir une efficacité certaine. En beaucoup de points, des tireurs postés dans les arbres continuèrent à tirer jusqu’à leur dernière cartouche, sans égard à l’avance des forces allemandes. La 14e DI s’est battue les 9 et 10 juin 1940 d’une manière identique aux meilleurs unités françaises de 14-18 devant Verdun. »
Le général, futur maréchal, Keitel tient à souligner : « Le commandement allemand a reconnu le courage et l’héroïsme dont les troupes françaises ont fait preuve dans une suite ininterrompue de batailles sanglantes en mai-juin 1940. »
Quels furent les derniers combats ?
Ils se déroulent dans le centre de la France, à l’Ouest, dans l’Est et sur le front des Alpes, où les troupes françaises opposent en divers endroits de ces fronts une résistance souvent héroïque et méconnue. Certains ouvrages de la ligne Maginot résistent toujours début juillet 1940 !
En quoi le procès de Riom (1942) voulu par le maréchal Pétain, afin de rechercher des responsables de la défaite a-t-il été un échec ?
Il se fait dans un contexte peu propice à l’objectivité historique, parfois sous la pression de l’occupant, avec un régime de Vichy qui a une vision réductrice des causes de la défaite, cherchant à protéger en partie l’armée et à accabler certains politiques. En réalité, certains politiques ont également une lourde responsabilité dans cette défaite, mais ils ne sont pas les seuls. Les causes sont multiples et remontent même à la fin de la Première Guerre mondiale.
Avec un nombre impressionnant de morts et de prisonniers de guerre envoyés en Allemagne, la campagne de mai-juin 1940 sera-t-elle toujours perçue comme un immense gâchis militaire ?
Pas uniquement. C’est une défaite tactique et militaire pour la France. C’est une victoire stratégique pour la Grande-Bretagne qui sauve l’essentiel de son armée professionnelle, se trouve en mesure de poursuivre la guerre grâce au sacrifice de l’armée française. C’est une victoire tactique pour Hitler, mais une défaite stratégique sur le long terme, en condamnant son pays à la guerre sur plusieurs fronts. Il n’a pu vaincre la Grande-Bretagne en 1940, laisse libre l’Afrique française du Nord. De Gaulle parvient à rallier à sa cause une partie de l’Afrique noire française pour poursuivre le combat. Il engage son pays dans une guerre totale conte la Russie soviétique sans avoir sécurisé ses front périphériques contre la Grande-Bretagne, condamnant à la longue sont pays à la défaite. Il disperse ses panzerdivisions devant Dunkerque en 1940 et disperse ses forces sur plusieurs fronts en 1941-1945.
En mai et en juin 2020, vous faite paraître deux nouveaux ouvrages sur mai-juin 1940. Pouvez vous nous les présenter en quelques lignes ?
Le premier livre, Les causes de la défaite : mai-juin 1940, devant paraître le 27 mai 2020 aux éditions Alisio, porte sur les causes militaires, diplomatiques, politiques et intellectuelles ayant entraîné l’occupation de la France en mai-juin 1940. Je remonte à l’année 1918, porte mon attention sur la période controversée de l’entre-deux-guerres, menant au désastre de 1940. Les élites françaises, militaires et politiques ont une lourde responsabilité, de même que celles de Grande-Bretagne, de Belgique et dans une moindre mesure celles des Pays-Bas. Je dévoile également des faits nouveaux et explosifs.
Le second livre, complémentaire avec le premier sans faire de doublon, devant paraître aux éditions Le Rocher le 3 juin 2020, Les vérités cachées de la défaite de 1940, offre un regard nouveau et panoramique sur la campagne de mai-juin 1940, en soulignant la résistance acharnée et méconnue de l’armée française, à travers de nombreux témoignages et documents de soldats et officiers allemands, français et alliés, sans oublier ceux des civils durant l’exode. On comprend, notamment, comment le sacrifice de l’armée française à Dunkerque, Lille, Calais, Boulogne et ailleurs a favorisé le rembarquement de la quasi totalité de l’armée britannique, permettant ensuite de sanctuariser la Grande-Bretagne, comme le reconnaissent Churchill et plusieurs généraux britanniques et allemands, sans oublier les importantes pertes aériennes de la Luftwaffe en mai-juin 1940, jouant un rôle important dans la bataille d’Angleterre par la suite.
1ère et 9ème photos fournies par M. Pierre Marchal
Pour en savoir plus :
Ouvrages parus de Dominique Lormier sur mai-juin 1940 :
Comme des lions, le sacrifice héroïque de l’armée française en mai-juin 1940, éditions Calmann Lévy 2005.
La bataille de France jour après jour mai-juin 1940, éditions Le Cherche Midi 2010.
La bataille de Stonne, Ardennes 1940, éditions Perrin 2010.
La bataille de Dunkerque 26 mai – 4 juin 1940, éditions Tallandier 2011.
Ouvrages à paraître de Dominique Lormier :
Les causes de la défaite : mai-juin 1940, éditions Alisio, 27 mai 2020.
Les vérités cachées de la défaite de 1940, éditions Le Rocher, 3 juin 2020.
De Gaulle intime et méconnu, éditions Alisio, 10 juin 2020.
Présentation de l’auteur :
Dominique Lormier, historien et écrivain, membre de l’Institut Jean Moulin, lieutenant-colonel de réserve, chevalier de la Légion d’honneur, auteur de plus de 140 ouvrages, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, dont la campagne de mai-juin 1940.