« Tel un ornithologue, je regardais ces petits oiseaux parler entre eux. J’avais en face de moi, des personnes qui disaient des phrases si poétiques et ils ne s’en rendaient pas compte. Même les silences sont intéressants. »
Depuis ses fameuses brèves de comptoir, Jean-Marie Gourio n’a jamais vraiment quitté le zinc. Il a bien raison : Les cafés font partie intégrante de nos bourgs, de nos centres-villes et de nos routes. Ce sont les lieux où on refait le monde sans pression, sans modération. Selon les humeurs, on peut également se poser devant sa bière, sa limonade sans réfléchir, écouter, reposer l’esprit.
Bars, cafés, troquets, bistrots, rades, bouges… Les mots ne manquent pas pour qualifier « le temple de la soif ». Qui d’autre que Jean-Marie Gourio pouvait écrire « le Dictionnaire amoureux des cafés »(!)?. Le pavé est d’autant plus passionnant car, à la différence d’un Larousse technique ou d’un froid petit Robert, l’écrivain y met du cœur. Il y raconte ses copains, son enfance, ses joies, ses malheurs… il est bon de se retrouver en lecture.
Après un entretien-portrait, voici un nouveau dialogue avec Jean-Marie Gourio, l’amoureux des cafés.
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Après des années d’écoute et d’écriture pour les Brèves de comptoir, vous revenez au zinc avec « Le Dictionnaire amoureux des cafés ». En quoi ces endroits sont-ils aussi passionnants ?
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Ces endroits sont passionnants car on peut y observer les gens comme on regarde un film, cela peut être une fantaisie muette de Buster Keaton ou un drame social de Ken Loach, il faut ajouter que ce sont des lieux où on vous fiche une paix royale !
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Georges Perec, Jean-Paul Sartre, Nathalie Sarraute, Ernest Hemingway,… tous ont écrit dans les cafés. Antoine Blondin ou Charles Bukowski s’y soûlaient. Le divorce entre la littérature et le café est-il une tragédie selon vous ?
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Non, le divorce entre la littérature et le café n’est pas une tragédie. Le café se fout de tout et c’est sa force. Si la littérature s’en plaint, c’est sa faiblesse.
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Jean Carmet, François Cavanna, Bibi Poirier, le professeur Choron,… qui était le meilleur copain de café ?
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Aucun d’entre eux. Ces gens n’étaient pas des copains. Ces gens étaient mes amours, tous égaux.
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La coupe, le galopin, le demi,… L’ivresse est-elle un « état de grâce » ou une déchéance ?
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L’ivresse est un état de grâce à ne pas confondre avec l’ébriété, qui survient quand l’ivresse s’alourdit des verres en trop. L’ivresse est un état de béatitude fragile et passager.
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Les cafés vous ont-ils permis d’apprécier la compagnie des « flics » ?
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Les cafés m’ont permis sinon de les apprécier, en tous les cas de leur parler et de les comprendre, ce qui est la fonction première du bar.
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Pour quelles raisons, le pub, lieu incontournable de la culture britannique, n’avait pas sa place dans votre dictionnaire ?
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Le pub est un café spécialisé qui a ses horaires, comme le Wine bar. Je m’accoude plus volontiers au comptoir du café du coin, matin, après midi, soir, dans les cafés ordinaires. C’est dans l’ordinaire qu’apparaît l’extraordinaire, comme un coquelicot dans un champ de blé.
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Le succès des bars à vins participe-t-il à la disparition des cafés ?
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Non, la disparition des cafés vient de la disparition d’une classe populaire chassée des villes, on a tué le prolétariat qui s’y accoudait, la fin des zincs vient de la fermeture des usines, de la mort des mines, de la désertification des campagnes. Les bars à vins sont la cerise qui reste sur un gâteau qui a disparu.
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Qu’aimez-vous commander au café ? Regardez-vous toujours en passant l’ardoise avec le plat du jour ?
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Je bois surtout de la bière, qui donne le temps au temps, peu titrée en alcool. Je peux ainsi rester des heures à regarder défiler les gens ; attendre l’apparition surprise de l’ardoise et du plat du jour en pleins et déliés au gros feutre sont la mi-temps de ma journée d’oublié du bout du bar.
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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC