Véritable identité de toute région, le costume breton est pourtant bien multiple. Coiffes, chapeaux, gilets, gants, rubans… Tout est diversifié selon le département, le canton voire la commune. Même si le noir s’impose, il existe également une multitude de couleurs.

Pourtant, le costume breton est mal connu. Lorsque le dessinateur Joseph Pinchon illustre en 1905 Bécassine, ce n’est en aucun cas avec une tenue de l’Ouest. Cette dernière s’apparente plus à un costume auvergnat.

Entretien avec Solenn Boennec, Responsable scientifique du Musée Bigouden.

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Quand apparaît le(s) costume(s) breton(s) et quelles sont leurs particularités ?

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Comme partout, les Bretons ont composé leur façon de se vêtir en fonction des habitudes vestimentaires en usage, de leur situation sociale, des matériaux disponibles sur le territoire et des savoir-faire locaux.

© Frédéric Harster, photographe du Patrimoine

Étaient-ils habillés différemment du reste de la France au Moyen Âge par exemple ? Peu de documentation existe, mais quelques témoignages archivistiques ou quelques statuaires évoquent des éléments assez notables. La documentation devient plus précise au XVIIIe siècle, notamment pour la partie est de la Bretagne, avec de l’iconographie, quelques peintures qui révèlent des coiffes et des habits particuliers. Ici n’apparaissent évidemment que les couches les plus aisées de la population. L’habit des communautés rurales par exemple commence à se lire à travers des documents d’archives comme les levées de cadavre (très chouettes documents 😉 ou bien encore les inventaires après décès. Y sont mentionnés des personnes habillées à la mode de telle ville par exemple. Cela sous-tend qu’on s’y habille de manière particulière.

Au XIXe siècle, les témoignages se font de plus en plus précis, et puis dans les années 1840 arrive l’incroyable invention de la photographie. Le vêtement breton ne se distingue pas du tout comme une entité à part entière. Toutes les femmes sont en coiffe, mais comme partout en France. La Bretagne est divisée en une multitude de modes vestimentaires très distinctes les unes des autres. Il n’y a donc pas de particularité bretonne à mon sens, si ce n’est peut-être une conscience assez forte de ses territoires culturels qui se dit justement de manière très claire à travers le vêtement.

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Y’a-t-il eu des influences de d’autres régions voire étrangères ?

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Les idées reçues au sujet de “l’inertie, de l’immobilité des villages en matière vestimentaire”, “des campagnes où règnent enclavement, immobilisme, voir stagnation” sont pléthores. Or la Bretagne, comme toutes les régions françaises, a toujours vécu dans son temps. Elle n’a jamais été hors de tout circuit commercial, hors de toute administration, même dans les campagnes. Changements profonds, mutations rapides, certes, tous les territoires n’ont pas été logés à la même enseigne. Parfois les périodes furent longues et les transformations lentes. Mais en Bretagne comme ailleurs, il n’est pas un endroit qui ait échappé au temps, aux changements de mode, aux nouveautés textiles, à la modernité en somme.

Les marchands restent des vecteurs essentiels de la mode. Aussi, en fonction de leurs envies, opportunités, capacités, ont-il proposé différents matériaux… Le “costume breton” est couvert de velours noir et de rubanerie. Produit-on du velours en Bretagne ? Non, pas du tout ! C’est Saint-Etienne le grand producteur ! Produit-on des rubans en Bretagne ? Non, pas du tout, c’est à nouveau Saint-Etienne mais également les lyonnais ! Pareillement pour nombre de matériaux comme le coton, le drap de laine, le tulle, les dentelles, la soie… La Bretagne, comme les autres régions, ont été embarquées dans les circuits commerciaux français et européens.

Il y a deux grands types de vêtements en Bretagne. Toutes les modes à châle (les pays de Vannes, des Côtes d’Armor, de Nantes, Rennes et bien d’autres encore) ont des bases vestimentaires qui les rapprochent des modes plutôt françaises. En cela, il est possible de dire que l’influence des vêtements des villes est vraiment notable pour elles. Pour toutes les autres modes, de coupe vraiment spécifique au territoire (les cornouaillais d’une manière générale, le pays de Pontivy, le centre Bretagne…), elles seront juste sensibles aux longueurs des jupes par exemple.

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Pour quelles raisons la coiffe bretonne est-elle aussi diverse (elles sont différentes selon les pays, les villes ou les îles) ?

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Je pense qu’il faut voir là l’importance donnée aux bretons à leur territoire. Une sorte de guerre de clocher, une appartenance très forte à leur pays. Cependant la réalité est assez diverse. En Côtes d’Armor, la coiffe et le vêtement y sont quasiment les mêmes sur plus de 160 communes alors que sur le département du Finistère il existe des dizaines de modes vestimentaires différentes.

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© Frédéric Harster, photographe du Patrimoine
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La couleur noire a-t-elle plusieurs nuances ?

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Quelle belle couleur que le noir ! Jusqu’à la découverte des colorants synthétiques au milieu du XIXe siècle, la teinture de cette couleur était un procédé onéreux. Les textiles noirs deviennent alors plus abordables et toute l’Europe se couvre de noir. Le noir d’un velours de soie n’est pas celui d’un drap de laine évidemment !

Aujourd’hui encore, on peine avec le coton noir. Deux lavages en machine et votre jean noir perd de sa superbe… Je ne sais pas si cela était un avantage, mais les vêtements noirs autrefois étaient pas ou peu lavés. La couleur passait donc bien plus doucement qu’aujourd’hui. Elle passait notamment avec le soleil, au fil des mois (rires).

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Les couleurs chaudes des costumes de Plougastel-Daoulas sont-elles des exceptions ?

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Avant cette mode du noir, la couleur était très présente, partout en Bretagne. Cherchez sur le net les aquarelles réalisées par François Hippolyte Lalaisse en 1843/1844 en Bretagne. Elles sont conservées au Mucem, à Marseille. Elles sont un concentré de teintes incroyables. La Bretagne, comme partout, était vraiment très colorée. Après l’épisode du noir, Plougastel, comme quelques autres, ont conservé quelques couleurs. On peut évoquer les Bigoudens par exemple.

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Les gants au crochet ont-ils eux aussi des motifs complexes ?

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Ils sont d’invention assez récente, dans les années 1930. Les femmes ont ici laissé libre court à leur imagination, ont été largement influencées par la mode française, les revues de mode, par la dentelle irlandaise…

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© Frédéric Harster, photographe du Patrimoine

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Comment ont été perçus les costumes bretons par Paris ?

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Il y a un épisode assez intéressant dans l’histoire de la mode parisienne à ce sujet. A partir des années 1865 et jusqu’à la fin du XIXe, les grands magasins parisiens vont proposer tout un tas de vêtements à la mode bretonne… Des guimpes, des paletots, des chaussures… Plusieurs Maisons bretonnes ayant participé à cette aventure sont connues : la Maison Jacob à Quimper, Levy à Brest et les Pichavant à Pont-l’Abbé.

Le Monde Illustré s’en fait l’écho en 1867 : « L’humeur voyageuse qui, à chaque saison, s’empare de la société parisienne, ne devait pas ou peu contribuer à opérer une diversion dans ses goûts. La Bretagne, aux mœurs et aux vêtements si pittoresques, a laissé une profonde impression sur l’esprit de nos touristes. Ils se sont d’abord décidés à se vêtir à la bretonne, par esprit d’originalité, et il se trouve qu’aujourd’hui les modes de la Bretagne ont envahi le monde parisien ; on rencontre actuellement dans la vieille Lutèce plus de Bretons qu’en Bretagne. »

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Quelle est la place du costume breton dans la peinture (Paul Gauguin, Roderic O’Connor,…) et la publicité ?
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La Bretagne a énormément attiré de peintres, dès la fin du XIXe siècle. Dès les premières années du XIXe siècle, la Bretagne entre dans l’imaginaire français par le biais des témoignages littéraires ou graphiques de voyageurs. En 1808, Olivier Perrin, dans sa Galerie des mœurs et costumes des Bretons d’Armorique, popularise l’idée que les costumes bretons n’ont « pas varié depuis 2000 ans », laissant imaginer une origine celtique authentique et intacte. Aux lithographies richement documentées succède une pléthore d’images imprimées, qui, amalgamant les étrangetés des diverses modes bretonnes, composent le stéréotype désormais bien ancré des petits Bretons en costume traditionnel.

© Frédéric Harster, photographe du Patrimoine

Ce thème breton connaît un succès rapide. Perçue comme une terre d’archaïsme, de sauvagerie et de superstitions, la Bretagne offre à la littérature et à la peinture un décor idéal. Ainsi seront-ils des centaines à Pont-Aven, en Pays Bigouden dès les années 1880 à croquer les habitants.

Ces décors et vêtements exotiques sont largement repris notamment par la publicité des Chemins de fer dès le XIXe siècle.

Au XXe siècle, apposer l’image du vêtement breton était le gage d’un produit de terroir, comme pour les galettes de Pont-Aven par exemple. Et puis, petit à petit l’image de la bigoudène en grande coiffe a émergé. La coiffe bigoudène et le drapeau breton deviennent à la Bretagne ce que le béret et le drapeau tricolore sont à la France. Ils deviennent le point de ralliement des bretons.

La coiffe bigoudène, précieuse relique de la société traditionnelle qu’une poignée de femmes portait encore à la fin du XXe siècle. Un curieux symbole d’une culture bretonne contemporaine et vivante. Tel le logo d’A l’aise Breizh, elle offre l’image d’une résistance aux modes uniformisées, farouche et pleine de panache.
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En quoi l’Après-guerre a-t-elle permis un renouveau du costume breton ?

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La période d’après la seconde guerre mondiale sonne le glas de la société traditionnelle partout en Bretagne. S’il disparaît en termes de vêtement, il revient en force sous forme de “costume” pour le coup. Un habit que l’on ne porte plus que pour les manifestations publiques, culturelles, religieuses, politiques ou bien encore caritatives… S’il reste le reflet d’une identité territoriale, il n’est plus celui de d’un niveau social par exemple. Là où avant les normes sociales faisaient qu’on s’habillait exactement suivant sa condition sociale, tout devient alors possible, le mieux comme le pire ! De costume à déguisement… Le glissement est parfois rapide.

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Depuis plusieurs années, le costume breton est réapproprié par de jeunes designers ou couturiers. Qu’en pensez-vous ?
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Le vêtement en Bretagne, comme partout ailleurs, a toujours été une manière de se dire. Je trouve ça formidable que certains de ces codes vestimentaires soient repris. En cela, ils considèrent que la Bretagne a encore plein de choses à dire, qu’elle sert encore de repère, de racine, qu’elle fait rêver !

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© Frédéric Harster, photographe du Patrimoine

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Photo de couverture : © Frédéric Harster, photographe du Patrimoine

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