Depuis plus de 200 ans, l’histoire des troupes napoléoniennes fait rêver. Certains même parlent d’épopée dès que sont évoqués les fameux grognards. « Sapeur de la Garde » (Editions Pierre de Taillac) ne fait pas exception à la règle. Le lecteur suit, de 1807 à 1815, Adélard Michaudon, soldat barbu de la garde impériale.

Le récit imaginé par Jean-Marc Lainé et le dessin réalisé par Thierry Olivier naviguent entre faits historiques et véritables aventures sous un format comic book. Courage, amertume et révolte sont au rendez-vous.

Entretien (impérial).
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« Sapeur de la Garde » se déroule sur une vaste période (1807-1815) et de nombreux lieux. Avez-vous pris soin d’être le plus proche possible de l’Histoire ou finalement vous avez laissé de la place à la fiction ?

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Jean-Marc Lainé : C’est tout l’enjeu de l’album, trouver des interstices dans l’Histoire afin de faire évoluer et exister notre personnage. On a donc respecté les dates, les lieux, les plans (quand on en trouvait) dans le but de faire bouger notre héros dans un cadre réaliste de manière crédible. Adélard Michaudon lui-même est notre « domaine de fiction réservé », en quelque sorte. Quant à la vaste période, elle correspond à la documentation fournie, et elle s’avère intéressante parce que le récit commence avant la fondation officielle du régiment. Cela permet donc de donner une assise historique à ce dernier, une perspective. Et j’étais intéressé à l’idée de suivre un personnage qui soit déjà un soldat expérimenté, qui a vu passer les régimes et qui a été au front sur plusieurs grandes batailles : en quelque sorte, il incarne la passation, la tradition, l’expérience.

Thierry Olivier : Je pense que Jean-Marc s’est évertué à respecter la vérité historique sur les grandes lignes (personnages connus, batailles, lieux et péripéties historiques diverses…), tout en inventant des personnages de fictions crédibles et servant au mieux le cahier des charges et l’histoire à raconter.

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Les costumes ont-ils été difficiles à dessiner ?

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Jean-Marc Lainé : En soi, pas tant. On a assez vite trouvé des références, en cumulant nos recherches personnelles et la documentation qui nous a été fournie par l’armée via les éditions Pierre de Taillac. Deux anecdotes à ce sujet : en premier lieu, quand on a monté le dossier, Thierry Olivier a tout de suite travaillé sur les uniformes, afin de plonger dans l’ambiance, mais également de montrer au régiment des éléments reconnaissables ; ça permettait de savoir si on était sur la même longueur d’onde. En second lieu, les planches ont été approuvées et validées tout au long de l’album. Mais vers la fin, à cinq six planches de la conclusion, on a eu un retour nous expliquant que le « bonnet d’ours » que porte Adélard n’est pas conforme (et correspond davantage à un autre régiment). Mais il était un peu tard, nos interlocuteurs en ont convenu, et donc on a changé quelques dialogues pour intégrer cette réalité, tout en admettant que, durant des périodes troublées comme la Retraite de Russie ou les Cent Jours, il pouvait arriver que les uniformes ne correspondent pas pleinement au canon. Mais les échanges de mails à ce sujet ont été l’occasion d’une bonne sueur froide.

Thierry Olivier : Selon moi, assez. Mais c’était un défi agréable à relever, la difficulté principale consistant à respecter au mieux la chronologie, la fonction, la nationalité des uniformes, en recherchant et amassant une documentation iconographique importante et parfois contradictoire. Idem en ce qui concerne les canons, les « gabions », les armes…

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La Bataille de la Bérézina a-t-il été un épisode difficile à traiter ?

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Jean-Marc Lainé : Non, au contraire, ça a été, en tout cas de mon côté, une partie facile à découper. Les péripéties sont venues assez facilement, au point d’ailleurs que la séquence finale fait deux pages de plus que ce qui était prévu dans le « séquencier ». C’est d’ailleurs une des scènes que j’ai écrites en premier. La documentation ne manque pas, ainsi que les reconstitutions, avec des acteurs ou en animation. Dans des cas pareils, ça me permet de générer des captures d’écran que j’envoie au dessinateur. Et ce genre de reconstitution a deux avantages : d’une part, ça évite les exagérations héroïsées qu’on peut trouver dans certaines peintures, et surtout ça propose d’autres angles que les sempiternelles vues des ponts de rondins depuis la colline. Avec une reconstitution filmée, on peut obtenir des plans à côté ou sous le pont, et donc proposer autre chose aux lecteurs. Quant à la représentation des ponts, ma foi, ça varie aussi : parfois, le peintre a cherché à mettre en valeur la fragilité et la précarité de l’édifice, et ça ressemble à une maquette en allumettes. Et parfois, ils exagèrent la largeur du cours d’eau, si bien qu’on a un peu du mal à savoir. De notre côté, on a essayé de donner une image plus modeste mais peut-être plus crédible des ponts, qui étaient en partie constitués à partir de charpentes venant de fermes voisines. On peut difficilement construire le Pont de Normandie de la sorte. Ce qui nous importait n’était pas la ressemblance historique avec les vrais ponts (dont on n’a pas de plan et qui ont été brûlés), mais plutôt de mettre en scène le travail des pontonniers et leur épuisement physique.

Thierry Olivier : Tous les épisodes ont comporté un certain nombre de difficultés, parfois différentes les unes des autres, en fonction des divers éléments météorologiques (neige, pluie…), topographiques (terrain boueux, neigeux, fleuve…), de jour, de nuit… Ce qui influence la manière dont les personnages évoluent ainsi que la lumière et les ombres.

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De par son allure, son physique, sa détermination, avez-vous présenté Adélard Michaudon comme un « super-héros » français ?

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Jean-Marc Lainé : En fait, non. On cherchait surtout à avoir un personnage qui soit reconnaissable tout de suite. La barbe s’est imposée. On voulait un look bien défini, emblématique, « iconique » comme dise les Américains, qu’Adélard soit une sorte de synthèse de son régiment et de son époque. Thierry et moi avons un passé de lecteur de comics, donc fatalement quelque chose doit transpirer, mais on a surtout cherché à faire de notre personnage un soldat normal. Banal, presque. Un homme perdu dans les remous de l’Histoire. C’est pourquoi l’album s’ouvre sur une mise en perspective historique, et se conclut sur le fameux « brouillard de la guerre » dans lequel Adélard ne sait pas ce qui se passe ailleurs : on a cherché à montrer qu’il était dépassé par les événements, qu’il était ballotté. Anonyme, en quelque sorte.

Thierry Olivier : Je pense pour ma part qu’Adélard Michaudon est un héros « ordinaire », ce qui n’enlève rien à son comportement héroïque et à son courage, bien au contraire. Je ne crois pas que ce soit un comic, si comic il y a de par l’aspect de l’ensemble, c’est sans aucun doute dû à mes influences graphiques, amplement puisées à cette source. Par contre, j’ai sciemment ajouté dans une case, le super héros « le Garde Républicain » version napoléonienne, crée par Thierry Mornet. Saurez-vous le dénicher ? 

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Napoléon Bonaparte, Louis XVIII, général Chasseloup,… Les personnages historiques sont représentés. « « Sapeur de la Garde » est-il également une œuvre pédagogique ?

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Jean-Marc Lainé : Ma réponse est en lien avec ce que je disais juste avant : on évoque une période précise, où Adélard Michaudon n’est qu’un rouage anonyme, une petite partie d’un grand tout qui le dépasse. De Napoléon à lui, il y a plein d’autres rouages, plus ou moins gros. Et l’idée, c’était de montrer comment l’Histoire avance, et comment lui, de son côté, tente de vivre sa vie, d’exister. Le principe d’origine du projet, quand on a commencé à en parler avec Pierre de Taillac, a été de raconter un parcours particulier, de montrer l’Histoire à hauteur d’homme. On est avec Adélard, pas avec les généraux. Dans la description d’ouverture du siège de Dantzig, Napoléon, même s’il a droit à sa scène, n’est qu’un personnage secondaire de l’histoire d’Adélard. On commence par Adélard, qui regarde la tente de Napoléon, c’est donc Adélard qui fait les présentations, on voit ça selon sa perspective. Et quand Napoléon ressort de sa tente, c’est Adélard qui commente. Si on reprend la notion de « temps du héros », on est dans le temps d’Adélard, pas dans le temps de Napoléon. C’est quelque chose à quoi nous tenions tous, à savoir que l’album ait un personnage fictif et central auquel s’identifier.

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Comment avez-vous pu vous détacher du Sergent Gaye-Mariole, personnage historique ?

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Thierry Olivier : Me détacher ? Certes non ! Quand on a sous la main un personnage aussi attachant, on s’attache ! Il aurait par contre effectivement mérité qu’on s’attarde un peu plus sur son cas, mais ce n’était pas le sujet du récit.

Jean-Marc Lainé : Le Sergent Gaye-Mariole, on en a parlé lors d’une réunion avec Pierre de Taillac (dans un très sympathique restaurant en front de mer, à Villers-sur-Mer, je m’en souviens encore). On a évoqué le personnage tout bonnement à cause de l’expression « faire le mariole », dont il est à l’origine. Mais en fait, ça s’est arrêté là. Néanmoins, Thierry a tout de même dessiné un portrait de Mariole portant un canon à l’épaule : c’était un géant qui avait défilé devant Napoléon avec un canon, et non un fusil, c’est là qu’est née l’expression.

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Les femmes sont absentes de « Sapeur de la Garde ». S’agit-il d’un comic uniquement adressé aux garçons bonapartistes ?

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Thierry Olivier : Que non ! Cette BD s’adresse à tous, sans distinction d’aucune sorte. Le fait est que le contexte et le cahier des charges ne se prêtaient guère à la présence de protagonistes du beau sexe, si ce n’est lors de furtives apparitions, dont celle d’une cantinière fort dévouée qui connaîtra malheureusement un sort funeste, quelques pages plus tard, lors de la retraite de Russie…

Jean-Marc Lainé : C’est faux, elles ne sont pas absentes, il y a la cantinière, à Dantzig. Trêve de plaisanterie, c’est un récit de guerre, qui se passe presque exclusivement dans des tranchées ou des casernes, donc fatalement, on a beaucoup de personnages féminins. N’étant pas moi-même très bonapartiste, c’est un euphémisme, j’ai tenté de ne pas exprimer mon opinion sur le personnage, et de mettre plutôt en avant celle d’Adélard, qui tient l’Empereur en de nettement meilleurs termes que moi. C’est d’ailleurs une dimension qui m’épate : cette fascination pour Napoléon qui les conduit tous à se rallier à lui. Qu’on soit d’accord avec lui ou pas, il y a des scènes qui forcent le respect, et que j’ai voulu mettre en valeur. Ce qui m’a semblé intéressant, une fois encore, ce n’est pas Napoléon lui-même mais les sentiments de ses soldats.

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Ne pas montrer la défaite de Waterloo est-il une façon de donner une fin glorieuse ?

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Jean-Marc Lainé : C’est un peu l’idée. Pour le coup, la fin a été sujette à discussions, on a beaucoup échangé. J’avais plusieurs idées, mais ma préférée fonctionnait un peu comme la fin du film Butch Cassidy et le Kid : les héros suspendus entre deux instants dans une charge héroïque mais qu’on imagine fatale. J’ai proposé ça, avec un découpage, le fameux zoom avant, et visiblement ça plaisait à tout le monde. Cette scène, je l’avais en tête depuis le début quasiment, et j’étais vraiment pressée de l’écrire, c’était un chouette moment. Et l’idée était justement de laisser notre personnage au plus fort de ses convictions et de ses choix. De son engagement, en quelque sorte.

Thierry Olivier : Waterloo est évoqué, ne serais-que par la célèbre scène historique (et parait-il, apocryphe) où le général Cambronne s’adresse vertement à ces messieurs les Anglais après la défaite.

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